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Autour du Défilé de la Biennale de la danse

Photo d'une personne jouant du saxophone lors du Défilé de la Biennale de la danse, en arrière plan - l'opéra de Lyon
© Stéphane Rambaud // Biennale de Lyon

Article

Ce texte est issu de l'étude intitulée "Lyon, la banlieue et leur centre entre la rue de la République et la Part-Dieu", produite par Jean-Marc Berthet et publiée su Millénaire 3 en 2007.
Date : 22/11/2007

En 1996, dans le cadre de la Biennale de la Danse, un défilé est organisé rue de la République qui fait sensation tant il attire un public de masse. À l’époque, les lectures de cet événement abondent de superlatifs : « de mémoire de lyonnais, on n’avait jamais vu autant de monde rue de la République. » ou encore « on n’avait jamais vu autant de monde depuis la venue du pape » …

Entre 100 et 200 000 personnes ont vu défiler plus de 2000 danseurs, autour du thème du Brésil et de ses écoles de samba. Le Défilé est surtout présenté comme une manière de réinscrire la banlieue dans le centre et l’opérateur symbolique de cette transformation sera la danse hip-hop qui accède enfin à une scène publique de reconnaissance.

Le Progrès dans l’une de ses éditions appréhende ainsi le Défilé : « une culture de banlieue, celle du hip-hop arrive en ville ». Libération insiste aussi sur le symbolisme : « que les danses urbaines dont le hip-hop se retrouvent sur le devant de la scène et que les excentrés se réapproprient le centre-ville était hautement symbolique. »

On retrouve évidemment à travers ce Défilé une tendance lourde de la culture urbaine qui s’attache à penser symboliquement les liens du centre et de la périphérie. « C’est là également, l’emprunt d’un langage symbolique (le scénario) pour dépasser la rupture qui se crée entre les quartiers neufs de la périphérie et le centre, pour reconstituer l’unité de la ville. »

Le projet ne naît pas de nulle part et cette construction symbolique a une histoire longue des liens noués entre le directeur de la Maison de la Danse et les compagnies lyonnaises de danse hip-hop, le soutien de financeurs institutionnels (DRAC et FAS en particulier) mais aussi une implication forte d’une association lyonnaise Inter Services Migrants (ISM) auprès des cultures émergentes. La personne responsable pour ISM du projet sera consultante, tout au long du Défilé auprès de la télévision locale TLM qui retransmettra l’événement en direct.

En 1996, donc, la banlieue est dans le centre. En 1998, nouveau Défilé, le thème en est la Méditerranée, sous fond de conflit important avec le conseil régional qui refuse une subvention au prétexte de l’alliance tortueuse entre une partie de la droite régionale et le Front National. Le Défilé se déroule sous une pluie battante qui rebute même les plus hardis spectateurs.

En 2000 le Défilé est consacré au thème des routes de la Soie, les commentaires de la presse locale continuent à saluer l’événement. Les deux journalistes chargés de son suivi pour le Progrès répètent dans deux articles juxtaposés : « Pas d’incidents. Que du bonheur » et « Pas d’incidents à déplorer, rien que de beaux souvenirs » ; ce qui par effet inversé, fait penser que l’on craignait bien le pire. Mais pour que le pire se produise, il eut fallu que les publics que l’on accuse du pire soient présents à la fête…

Certains parlent déjà de rituel d’agglomération. Entre 1996 et 2000, la « banlieue » a disparu de la presse locale. Cela s’explique évidemment par l’élargissement du Défilé à différentes communes de la région Rhône-Alpes. Cela s’explique aussi par l’institutionnalisation obligée d’une opération de ce type. En 2002, la symbolique du centre de la ville a disparu, ou plutôt elle s’est élargie. Le défilé se déroulera rive gauche, le long du Rhône et traversera trois arrondissements.

Philippe Dujardin estime qu’en 1996, « le Défilé a pris la ville par surprise ». Surprise de voir une ville qualifiée de secrète s’ouvrir en son sein à la richesse des expressions artistiques venues d’autres mondes et d’autres cultures. Et là réside bien le paradoxe du Défilé que cela même qu’il souhaitait promouvoir, une rencontre entre le centre et la périphérie, se dissout au profit de l’ouverture de la ville vers un rayonnement international. Comme s’il avait fallu en passer de l’ouverture du cœur à ses bords pour aller s’affirmer vers d’autres cieux… Ceux de la ville internationale à venir. Lyon a le regard tourné vers le Sud et Barcelone constitue l’axe de ce regard.

 

photo de danseurs lors du Défilé de la Biennale sur la rue de la République avec des perruques jeunes et oranges
Défilé de la Biennale de la danse© Stéphane Rambaud // Biennale de la danse

 

L’histoire du Défilé à travers la manière dont il est symbolisé localement, c’est le passage que la ville opère vers son affichage international, en réactivant dans un premier temps les oppositions du centre et de la périphérie pour les unifier dans un second temps et enfin pour mieux les diluer au profit d’une autre ville, une ville plus « méridional », dans un troisième temps.

Effectivement, le Défilé est bien un rituel au sens de Lévi-Strauss : morcellement et répétition. Morcellement des séquences bien découpées, multipliées, qui laissent place à des variantes et répétition immuable de la pratique rituelle…Mais pour qui exactement, ce rituel fait-il sens ? N’est-il pas plutôt un rituel pour les édiles locaux et ne constitue-t-il pas dans la manière dont se symbolise la ville un rituel de transition au sens où l’entendaient Turner et Van Gennep. « Tous les rites de passage ou de “ transition ” sont marqués par trois périodes : celles de séparation, de marge (ou limen qui signifie “ seuil ” en latin) et d’agrégation. »

La première période comprend un comportement symbolique qui signifie le détachement de l’individu par rapport à la structure sociale. La seconde constitue « un moment dans le temps et hors du temps », dans et hors de la structure sociale régulière ; l’individu « passe par un domaine culturel qui a peu ou aucuns des attributs de l’état passé ou à venir ». La troisième période marque la réintégration dans la société avec ses contraintes et ses hiérarchies. Rite de transition. C’est fini. Il n’y aurait plus le centre et sa banlieue mais Lyon, son agglomération et les communes de la région qui bénéficient de son attractivité… Et pourtant à un autre niveau, l’opposition du centre et de la banlieue travaille la rue.