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Réformes obligatoires

© Pierre Tesson - Trafik

Texte de Gilbert CETTE

Tout le monde s’accorde sur un point : le temps des réformes ambitieuses est venu, pour sauver la société française de la paupérisation. Mais les erreurs de stratégies de réformes peuvent être pire que le mal, et sont souvent liées à une méconnaissance des rouages réels de l’économie ou une approche très idéologique.

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Date : 26/06/2015

La nécessité d’engager des réformes très ambitieuses en France fait consensus. Ce constat est commandé par les déséquilibres structurels multiples dont souffre l’économie française et qui, par exemple, concernent le marché du travail. On y observe un chômage massif permanent et une dualité qui rend difficile l’accès des jeunes à l’emploi. Déséquilibre aussi sur le plan de la compétitivité avec un solde courant négatif et une désindustrialisation continue. Du côté des finances publiques, on déplore l’échec du respect de nos engagements européens en termes de solde public et l’augmentation vertigineuse de la dette publique qui flirte désormais avec les 100 % du PIB. Par ailleurs, la situation financière moyenne des entreprises est très dégradée…

 

Une ignorance mortelle

Seuls les aveugles discutent ces éléments de diagnostic. Les avis sont plus partagés, en revanche, sur les causes de cette situation. Elles sont certes multiples, mais leur matrice est une représentation totalement erronée, car avant tout idéologique, du fonctionnement de l’économie et de la société. Ainsi, en vertu de ce que nous appelons le « keynésianisme primitif », chaque épisode d’augmentation du chômage est perçu comme la conséquence d’une insuffisance de la demande. Elle appelle, dans cette logique, une augmentation de la demande publique, alors que la France souffre avant tout d’une insuffisance d’offre compétitive. En réalité, le déficit courant traduit le fait que la demande adressée aux producteurs résidant en France est supérieure à leur offre compétitive.

Il en est ainsi également du déséquilibre des comptes publics, auquel on répond par l’augmentation de l’impôt. La France est devenue le pays développé où il est le plus élevé en proportion du PIB. Il paupérise les employés de la fonction publique alors que le problème n’est pas que ces employés sont trop payés, mais qu’ils sont trop nombreux.

Même chose pour les inégalités. Leur principale source, à savoir une mobilité sociale faible et en déclin, n’est pas au cœur de l’analyse habituelle. La France est très inégalitaire en matière de revenus et, par ignorance des causes de cette situation, la fiscalité et les transferts ne la corrigent que trop faiblement. L’approche totémique est partagée en ce domaine très idéologisé. De nombreuses études montrent avec robustesse qu’un salaire minimum élevé est totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté, alors que des outils plus ciblés comme le RSA y réussissent. Mais qu’importe ! Beaucoup prétendent encore qu’il faut augmenter le SMIC. Le fonctionnement du marché du travail est lui aussi mal compris. On pense que le développement sans fin des règlementations renforce les protections des travailleurs. Outre qu’il peut être préjudiciable à l’efficacité économique, il déresponsabilise les partenaires sociaux en vidant de son contenu la négociation collective et, pire encore, des enquêtes montrent qu’il n’est pas ressenti comme protecteur, bien au contraire, par les travailleurs.

C’est aussi au nom d’une approche faussement égalitariste que l’on renforce les inégalités à l’école. La recherche inadaptée d’une plus grande justice économique produit une fiscalité qui dissuade l’innovation et la croissance. La politique sociale du logement, inefficace et onéreuse, dans ses modalités actuelles, réduit les mobilités. La formation professionnelle viciée par son intervention dans le financement des partenaires sociaux, est également onéreuse et inefficace.

Des pays ont engagé des programmes de réformes d’une très grande ambition. Les exemples des Pays-Bas, au début des années 1980, ou de la Suède, de l’Australie et du Canada au début des années 1990, sont pertinents. Mais la France doit trouver son propre chemin, adapté à ses institutions et à sa culture. Une certitude seulement : l’ambition doit être au rendez-vous, sans quoi, à terme, la paupérisation de notre pays deviendra inévitable. L’engagement de réformes très ambitieuses peut aboutir à un surcroit de croissance annuelle d’un demi-point au minimum sur une longue période. Les pays évoqués, qui ont engagé leur propre programme de réformes, ont bénéficié d’un surcroit de croissance bien supérieur.

Ces réformes ne constituent en rien un abaissement des protections des citoyens et des travailleurs. Par exemple, dans le domaine du fonctionnement du marché du travail, il s’agirait de donner très largement la possibilité aux partenaires sociaux d’élaborer des compromis permettant de mieux concilier l’efficacité économique et la protection des travailleurs. Mais pour cela, il faut autoriser les accords collectifs à déroger à de multiples dispositions du code du travail, en épargnant les dispositions qui correspondent à la transposition du droit international (dont communautaire) dans le droit français et ce qui ressort de l’ordre public social (respect de la dignité et de la vie privée des travailleurs, en particulier). La loi du 20 août 2008 oblige, pour qu’un accord, soit légitime, à ce qu’il soit majoritaire (position commune des partenaires sociaux). Celle du 14 juin 2013 va même plus loin avec une position super-majoritaire (accord collectif interprofessionnel). Tout cela responsabilise les acteurs de la négociation et légitime les signataires d’accords. Laissons aux acteurs de la négociation collective de branches et d’entreprises la possibilité d’apprécier eux-mêmes les voies et modalités de la défense des intérêts des travailleurs ! Dans le domaine social, il s’agirait par exemple de réviser complètement le fonctionnement du salaire minimum pour développer fortement le rôle des outils plus adaptés à la lutte contre la pauvreté.

 

Des réalisations toujours remises à plus tard

Le contraste est fort, dans la dernière décennie, entre un discours très offensif des pouvoirs publics sur ces questions de réformes et les concrétisations, pour le moins modestes. L’urgence est sans cesse décrétée, mais les véritables réalisations toujours remises. Pourquoi ? La réponse est double. D’une part, bien sûr, le risque électoral. L’exemple de Gerhard Schröder réformant l’Allemagne pour les suivants est dans toutes les têtes. Mais à cet exemple, il faut opposer celui des autres pays évoqués plus haut et dont le choix de réformer ne s’est pas traduit par un rejet dans les urnes.

Les réformes peuvent même être électoralement payantes, si elles sont comprises. Par ailleurs, le rejet dans les sondages et les urnes de la majorité actuelle signalent qu’un report des réformes ambitieuses effectives présente aussi un fort risque électoral.

L’autre raison est plus liée aux représentations erronées des réalités économiques et sociales, qui aboutissent à des programmes de politiques économiques inadaptés. Ces deux raisons se tiennent : faire siennes les erreurs de représentations et les mettre en avant dans le discours politique rend illisible tout discours de réformes ambitieuses et adaptées. L’exécutif de gauche comme de droite pratique, en France, cette schizophrénie. Les analyses sur la situation économique se bornent souvent à des postures et des totémisations. Au-delà, les difficultés, sinon le refus, à élaborer des approches transpartisanes brident bien entendu le changement effectif.

La France, comme d’autres pays européens, s’engage de plus en plus vers une situation où les changements pourraient devoir être opérés dans l’urgence, le dos au mur. De telles situations sont les moins appropriées pour opérer des changements ambitieux mais respectueux d’une culture spécifique. N’attendons pas ce moment.

 

 

 

 

Changer de modèle, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, Editions Odile jacob, 2014

 Refonder le droit social, Jacques Barthelemy et Gilbert Cette, La Documentation française, 2e édition, 2013