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Pittsburgh, renaissances contrastées

Pittsburgh
Pittsburgh, le quartier du Hill District© Justine Swordy-Borie

Texte de Maryame AMAROUCHE, Marie SENG, Chloé SERME MORIN, Justine SWORDY-BORIE et Selene Villalejo Cota

Leçon de ville

Ancienne Steel City phare de l’Amérique industrielle, la ville de Pittsburgh, Pennsylvanie, est souvent présentée comme un modèle de conversion réussie à une économie de la connaissance. C’est passer un peu vite sur une trajectoire urbaine singulière qui remonte au début du XXème siècle.
Date : 22/06/2015

Passée de plus de 675 000 habitants en 1950 à 305 000 en 2010 – avec une perte approchant 100 000 personnes entre 1970 et 1980 –, la ville gagne de nouveau des habitants depuis 2010.  Ce contexte post-industriel encore fragile ne doit pas masquer les stratégies de (re)développement économique conduites depuis les années 1940 dans la région. Sans être uniformes, elles se caractérisent par une implication majeure des acteurs privés, notamment des grandes firmes présentes localement et des interventions urbaines de grande ampleur, comme la rénovation du centre-ville commencée dès 1945.

Les revitalisations de Pittsburgh se sont appuyées sur d’anciennes alliances nouées (plus fortement ici que dans de nombreuses villes américaines) entre les décideurs urbains et d’influents industriels et financiers. Dès la fin du XIX° siècle, Andrew Carnegie, industriel majeur dans l’histoire de la ville, s’est engagé dans l’aménagement du quartier d’Oakland, aujourd’hui haut-lieu universitaire.

Question d'image
Actualisée dans les années 1930, cette collaboration entre acteurs urbains a pour emblème le couple formé par le maire démocrate David Lawrence (1946-1959) et l’industriel et financier Richard King Mellon, épaulés par l’Allegheny Conference on Community Development créée en 1943 [1]. Leur stratégie combine des actions fortes sur les espaces urbains centraux dévalorisés – la rénovation du Golden Triangle où parc, hôtels et immeubles de bureaux prestigieux remplacent équipements industriels et logements insalubres – et la volonté de changer radicalement l’image d’une ville polluée, enfumée et mal équipée [2]. Elle s’appuie sur l’Urban Regeneration Agency, dispositif soutenu par l’Etat fédéral, toujours actif comme opérateur foncier, aménageur et développeur. Contestée, cette stratégie a été poursuivie sous le mandat démocrate de Richard Caliguiri (1977-1988). Il a renforcé le soutien au développement universitaire des entreprises de services et de haute technologie, assuré l’extension de l’aéroport, déployé les infrastructures de transport et a poursuivi le réaménagement des berges. En 1985, l’équipe municipale a associé au programme Strategy 21 le comté d’Allegheny – changement d’échelle important dans une aire métropolitaine où la ville-centre ne représentait que 15 % de la population –  et les deux grandes universités de la ville : Pittsburgh University et Carnegie Mellon University (CMU). Les partenariats public-privé qui façonnaient les politiques urbaines locales ont ainsi été actualisés.

Nouvelles activités, nouveaux habitants
Pour visibles qu’elles soient, les transformations urbaines ne constituent que le pendant de profondes mutations économiques. Esquissées dès les années trente, elles visent à sortir Pittsburgh d’un déclin industriel tragique, en aménageant les conditions de développement d’une économie tertiaire, créative et à haute valeur ajoutée. Le secteur de la santé, via l’émancipation de l’University of Pittsburgh Medical Center (UPMC), est aujourd’hui un vecteur économique de premier plan, notamment en termes d’emplois. Le secteur de l’énergie – appellation commode pour l’exploitation controversée de gaz de schistes du Marcellus Schale – est en plein essor tandis que les fondations privées au statut de non-profit organizations, nourrissent une économie financière et fournissent des emplois qualifiés. Aujourd’hui, les quelques 133 000 emplois perdus dans l’industrie entre 1982 et 1985 sont largement compensés, même si ce ne sont pas les mêmes catégories sociales qui sont désormais appelées à les occuper. 

Dans le downtown, le Cultural District concentre des activités artistiques et culturelles dans une ancienne red-light zone (quartier rouge) tandis que le musée Andy Wharol constitue une attraction de niveau international. L’espace central et sa skyline,  – avec les emblématiques sièges sociaux de PPG et Alcoa–, témoignent des mutations de l’économie locale. Pour autant, la configuration socio-spatiale de la ville n’est pas bouleversée. La ségrégation est omniprésente à  Pittsburgh, encore marquée par la pratique du red-lining [3] des années soixante. Les politiques de régénération, malgré la recherche – et parfois l’instrumentalisation – de mobilisations communautaires ont plutôt délaissé ces quartiers « parias », même si depuis 1977 le Community Reinvestment Act encourage les banques à favoriser l’accès au crédit des plus pauvres et à soutenir des actions communautaires localisées.

Le rôle de l’action citoyenne
Le district de Larimer, quartier d’immigrés européens à l’Est de la ville, est l’un des plus pauvres de Pittsburgh : 29 % des résidents ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté fédéral, et 40 % des logements sont vacants. Depuis 2008, le Larimer Community Plan structure des actions en matière d’environnement, d’éducation, de vie sociale et d’emplois, dans un contexte de gentrification des districts alentour [4]. Par le community building, il tente de pallier le manque d’infrastructures et d’équipements tout en projetant un horizon « vert et durable ». Hill District, quartier afro-américain proche du centre-ville, haut-lieu du jazz dans les années cinquante, aujourd’hui stigmatisé et défavorisé, est le siège de nombreuses initiatives de community organizing . Dépendantes des financements privés, ces organisations sont de véritables entreprises de développement local, voire immobilier, loin parfois de l’esprit social qui animait leur création [5].                

Si la ville a diversifié son économie et transformé certains de ses quartiers, les défis sont encore nombreux à relever pour asseoir cette « renaissance » et parler de « ville phénix ». L’action citoyenne, indispensable complément aux investissements ciblés des coalitions municipales, ne peut corriger les difficultés liées à la pérennité de la pauvreté et de la ségrégation [6]. La faiblesse des ressources municipales, comme celle des services urbains,  et la fragilité des équipements plaident pour une régulation métropolitaine qui peine à s’affirmer.

[1] Dieterich-Ward A., “From Steel to Silicon: Urban Development and Image Making in Twentieth-century Pittsburgh”: Bauman, J. F., and Muller, E. K. (2006). Before Renaissance: Planning in Pittsburgh, 1889-1943, Journal of Urban History, 36, November 2009, p. 1059-1066.

[2] Pallagst K., “Shrinking Cities in the United States of America”, in Pallagst K. and al., The Future of Shrinking Cities – Problems, Patterns and Strategies of Urban Transformation in a Global Context, Institute of Urban and Regional Development, Center for Global Metropolitan Studies and The Shrinking Cities Research Network Monograph Series, 2009,  p. 81-88.

[3] Dès les années 60, les investisseurs, banquiers, assurances identifient des zones où les habitants, jugés insolvables, ne pourront bénéficier d’aucun prêt. Malgré l’interdiction récente de ce marquage, les quartiers visés portent toujours les stigmates de cette exclusion et des difficultés économiques qu’elle a contribué à renforcer.

[4] Deitrick S. and Ellis C., “New Urbanism in the Iner City. A Case Study in Pittsburgh”, Journal of the American Planning Association, Vol. 70, No. 4, p. 426-442.

[5] Bacqué M.-H., « Associations “communautairesˮ et gestion de la pauvreté », Actes de la recherche en sciences sociales, 160 (5), 2005, p. 46–65.

[6] Jezierski M., “Neighborhoods and Public-Private Partnerships in Pittsburgh”, Urban Affairs Review, 26, 1990, p. 217-249.