Une carrière discrète de chercheur atypique et modeste
De 1957 à 1960, il travaille chez Rhône-Poulenc, puis il entre au laboratoire de recherche de l’Institut français du pétrole (IFP) à Feyzin où il est resté jusqu’à sa retraite. A l’IFP, il fait surtout de la recherche appliquée et un peu de recherche fondamentale sur les oléfines, molécules obtenues lors du raffinage du pétrole, possédant des liaisons doubles et qui, au départ ne correspondent pas aux besoins du marché. Yves Chauvin reconnaît que dans le secteur industriel, le lien entre le fondamental et l’appliqué est plus facile qu’à l’université, trop tournée vers la seule recherche fondamentale. De plus, à l’IFP n’ayant pas de patron comme à l’université, il est libre de ses recherches, d’autant plus que l’IFP ne s’intéresse pas alors à ces molécules, mais laisse les chercheurs libres de leurs recherches.
C’est au milieu des années 1960 qu’Yves Chauvin, à la suite des publications de plusieurs chercheurs sur le thème de la liaison entre un atome de carbone et un métal, se consacre à la métathèse des oléfines. Selon ses propos, il trouve, après des années de recherche, la solution un dimanche de 1971 alors qu’il est chez lui. Il en parle alors autour de lui, mais il ne publie rien, il a donc de la chance que personne ne récupère son idée, il faut dire que ses travaux n’ont l’air, à l’époque, d’intéresser personne. Il publie sa découverte en 1971 dans un journal allemand peu connu, publication qui suscite peu d’intérêt, voire même des réactions d’opposition. La nouvelle voie explorée par Yves Chauvin n’est reconnue que lorsqu’un grand chimiste américain, Charles Casey, après avoir réalisé à nouveau l’expérience de Chauvin, en fait la publicité.
Prix Nobel pour la métathèse
Yves Chauvin, en devenant le père de la métathèse, est un précurseur de la catalyse, domaine de recherche qui, depuis 1971 a intéressé beaucoup de chercheurs. C’est pourquoi Yves Chauvin est associé lors du Nobel de Chimie 2005 à deux autres chercheurs américains qui ont développé ses premiers travaux, Richard Schrock et Robert Grubbs. Métathèse vient du grec meta et tera, signifiant « changer » et « place ». L’Académie royale de Stockholm a parlé de « danse avec changement de partenaire » pour décrire la métathèse. Pour habiller cela plus scientifiquement, on parle de métathèse, lorsqu’une réaction de synthèse mettant en jeu les deux paires d’électrons de liaisons entre deux atomes de carbone, les groupes d’atomes portés par ces derniers peuvent passer d’une molécule à une autre. Cette réaction a de multiples applications dans l’industrie chimique, en particulier dans la pétrochimie, l’industrie pharmaceutique où deux médicaments sur dix résulteraient d’une métathèse, les biotechnologies et l’agroalimentaire. De plus, Yves Chauvin soutient le règlement Reach adopté par l’union européenne fin 2006 en faveur d’une « chimie verte ». En effet, si l’industrie chimique a apporté d’incontestables bienfaits aux sociétés modernes, elle a une face obscure fort préjudiciable à la santé et à l’environne ment que la « chimie verte » a pour but d’éliminer en développant des produits propres.
Un nobélisé modeste
Il déclare n’être pas le meilleur chimiste de sa génération, mais que le prix Nobel de Chimie récompense ceux qui travaillent à l’industrialisation de la science. Il avoue avoir été embarrassé par ce prix qui l’a obligé à faire un discours et à devenir pour un temps un homme public. Il ne veut pas donner de conseils, déclarant, cependant, que ce qui fait un bon chercheur c’est la curiosité qu’il manifeste, mais aussi le milieu dans lequel baigne le chercheur. Il continue à mener une vie ordinaire, à s’occuper de son jardin, à venir une fois par semaine à Lyon, en tant que directeur de recherche émérite, pour conseiller les jeunes chercheurs au laboratoire de Chimie organométallique de surface de l’Ecole de Chimie Physique Electronique de Lyon (CPE), fille de l’Ecole supérieure de Chimie industrielle de Lyon dont il fut l’étudiant. Il se déclare écologiste, tout en étant non militant, puisqu’en 1999 il est allé dépolluer les plages de Bretagne après la catastrophe de l’Erika. En tant que chimiste, il reconnaît que si la chimie peut polluer, la chimie de synthèse est facteur de progrès dans tous les domaines de la vie.
Avec Yves Chauvin, premier Français nobélisé en Chimie depuis Jean-Marie Lehn en 1987, la chimie française et régionale retrouve le moral. Son prix montre également que le modèle français de recherche est un modèle efficace qui peut redonner le goût aux étudiants de faire de la chimie. De plus, cette distinction ne peut que soutenir le pôle de compétitivité chimie environnement de Rhône-Alpes.
Bibliographie :
- Entretien avec Yves Chauvin dans La Recherche n° 394 de février 2006.