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Urgence climatique : le Giec place l’alimentation au cœur des enjeux de transition écologique

Illustration autour du thème de l'alimentation
© Skoli

Article

Alors que près du tiers de la population métropolitaine déclare manquer de moyens pour se nourrir correctement, que les limites de notre système agroalimentaire apparaissent, que s’affirment des méthodes alternatives, locales voire urbaines, le Giec alerte sur l’urgence d’une véritable révolution alimentaire et productive, afin d’essayer d'endiguer les dérèglements environnementaux et leurs effets.

Au-delà des effets climatiques sur notre système alimentaire, le rôle de celui-ci dans le dépassement des limites planétaires fait courir le risque d’un effondrement généralisé du système-Terre.

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Date : 08/10/2021

Pris en tenaille entre l’impératif écologique et l’accroissement de la demande alimentaire, un système agro-alimentaire à repenser.

 

« Fin du monde fin du mois, même combat », le slogan qui tend à unifier les luttes écologiques et sociales a fait débat en interrogeant notamment l’acceptabilité sociale de la transition écologique. Le rapport du Giec « Changement climatique et terres » paru en 2019 ainsi que l’étude des interactions entre notre système agro-alimentaire et les processus environnementaux permet de poser la question à nouveaux frais : fin du monde, faim du mois, même combat ?

Le système alimentaire subit en effet la pression de facteurs de stress multiples, qui mettent en péril les quatre piliers de la sécurité alimentaire définis par la FAO à savoir : disponibilité, accès, utilisation et stabilité. Certains de ces facteurs de stress sont anthropiques, comme la croissance démographique et la croissance des revenus (et leur conséquence, la demande alimentaire) ; d’autres climatiques. En retour, le système alimentaire mondial (agriculture, utilisation des terres, stockage, transport, conditionnement, transformation, vente et consommation) est tenu pour responsable d’environ 26% des émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques totales.

Saisir la finesse des interactions entre le système alimentaire et l’environnement implique dès lors d’élargir la focale d’analyse. L’approche par les limites planétaires permet une compréhension systémique de l’équilibre dans lequel se trouvait notre planète depuis les débuts de l’holocène. Conséquemment, elle éclaire les processus de dérèglement qui caractérisent l’anthropocène et qui menacent le système-Terre d’effondrement. Dans cette optique, le changement climatique n’est plus “que” l’un des neuf processus environnementaux interdépendants. L’acidification des océans, l’affaiblissement de la couche d’ozone, la perturbation des cycles de l’azote ou du phosphore, la charge atmosphérique en particules, la perturbation du cycle de l’eau, le changement d’affectation des sols, l’atteinte à la biodiversité ou encore l’introduction de nouvelles pollutions chimiques complètent un panorama qui renouvelle considérablement l’approche de l’impact des activités humaines sur son environnement. Tous ces phénomènes agissent sur, et sont agis par notre système alimentaire. Ces interactions et interdépendances invitent à se rendre à la conséquence que notre modèle de subsistance alimentaire n’est pas compatible avec le maintien de conditions d’habitabilité pour l’espèce humaine sur Terre, même si à court terme, son importance est vitale et croissante.

 

À l’horizon 2050, 29% d’augmentation probable du prix des céréales en raison du “seul” changement climatique

 

Les changements climatiques futurs menacent la capacité du système agro-alimentaire mondial à assurer la sécurité alimentaire. Par exemple en 2016, la conjonction d’un automne particulièrement chaud et d’un printemps anormalement humide a conduit à une baisse des rendements d’environ 27% par rapport aux prévisions tendancielles de production de blé en France. La baisse des rendements, la disponibilité des terres agricoles, l’augmentation des maladies et des ravages dus aux espèces invasives, la raréfaction de l’eau, la chute de la population des pollinisateurs, ou encore les conditions de travail intenables du fait du réchauffement climatique font craindre le pire.

À l’horizon 2050, on estime à 29% l’augmentation probable du prix des céréales en raison du “seul” changement climatique quand la FAO estime qu’il sera nécessaire de produire près de 50% de nourriture en plus afin de subvenir aux besoins d’une population mondiale croissante. Et ce alors même que les ressources de phosphore, présent dans une large partie des engrais, s’épuisent déjà. Enfin, entre la réponse aux besoins d’alimentation et aux enjeux climatiques l’humanité est confrontée à un dilemme concernant l’utilisation des sols (accroître la surface des terres cultivables pour répondre à l’accroissement de la demande ou sanctuariser des terres pour préserver la biodiversité ?).

Notre système agro-alimentaire contribue aux dérèglements climatiques observés et sape à moyen terme sa capacité à répondre aux besoins croissants d’une population mondiale en hausse.

 

Un modèle alimentaire responsable de 80% de la déforestation et de 70% de la consommation d’eau.

 

Depuis 1961, l’offre alimentaire par habitant a augmenté de plus de 30% et l’on estime que, sans intervention, les émissions de GES dues à l’agriculture devraient encore augmenter de 30 à 40% d’ici 2050 en raison de l’augmentation de la demande liée à la croissance de la population et des revenus et à l’évolution des régimes alimentaires. Plus encore que le seul réchauffement climatique, c’est l’ensemble du système-Terre, ici étudié au prisme des limites planétaires, qui est mis en péril par les modes d’élevage et de culture actuels. Les processus interdépendants et cumulatifs présentés ci-dessous donnent une idée des externalités négatives de la production agro-alimentaire sur les écosystèmes naturels. Une externalisation qui risque de n’être pas compensable.

 

© Skoli

 

Du côté de la production, des mesures insuffisantes sans une évolution de la consommation alimentaire

 

Profondément affecté par le changement climatique, notre système alimentaire participe aussi lui-même de ces dérèglements. Comment repenser le modèle d’une industrie qui pèse pour 3,5% du PIB de la France et représente 80% de l’alimentation des français ? Le Giec avertit que des mesures d’adaptation du côté de la production ne suffiraient pas à elles seules à assurer durablement la sécurité alimentaire dans le contexte du changement climatique. Aussi c’est bien le rapport à l’alimentation dans son ensemble qui doit être repensé à l’aune de l’impératif écologique.

Du point de vue de l’offre alimentaire, le Giec insiste sur la nécessité d’une révolution dans notre manière de produire l’alimentation. Par une amélioration de la gestion des cultures (fin des monocultures, augmentation de la teneur en matière organique des sols, agroforesterie, amélioration des procédés d’irrigation, etc.), une amélioration de la gestion du bétail (sylvo-pastoralisme, inhibiteurs de méthanisation, etc.), un raccourcissement et une relocalisation de la chaîne logistique (développement de l’agriculture urbaine, promotion des circuits courts, réduction du gaspillage alimentaire), les pistes sont nombreuses pour faire évoluer les pratiques en vue d’une plus grande soutenabilité de notre modèle de production alimentaire.

Cet état des lieux plaide pour la fin du modèle industriel et intensif dans l’agriculture et sa réimplantation au cœur de la vie de la cité, notamment à travers les pratiques d’agriculture urbaines qui contribuent à l’adaptation au changement climatique en réduisant les effets d'îlot de chaleur urbain ou en favorisant l’infiltration de l’eau dans les sols. Ainsi, les systèmes de culture diversifiés et pratiques agricoles intégrées renforcent la résilience du système alimentaire face aux évènements climatiques extrêmes, même si les petites exploitations agricoles sont, à l’échelle mondiale, plus vulnérables au changement climatique et à l’insécurité alimentaire.

Toutes ces mesures nécessaires du côté de l’offre, seront insuffisantes sans une évolution de la demande alimentaire, notamment l’adoption de régimes moins carnés ou la réduction du gaspillage alimentaire (32% au niveau de la production,  21% pour la transformation, 14% pour les circuits d'approvisionnement et 33% pour la consommation). Ainsi , la réduction de moitié de la consommation de viande, produits laitiers et d’œufs dans l’Union européenne, permettrait d’obtenir une réduction de 40% des émissions d’ammoniac, une réduction de 25 à 40% des émissions de GES autre que le CO2 et une diminution d’un quart de l’utilisation des terres cultivés pour la production alimentaire. Au-delà des impacts bénéfiques pour l’environnement, le Giec souligne l’intérêt de cette évolution d’un point de vue de santé publique, un renforcement de la sécurité alimentaire et donc de la résilience de nos sociétés.

Un nouveau modèle est à inventer,  il passera par le renouvellement prochain des exploitants agricoles, le développement des techniques de permaculture ou d’agroforesterie, la diversification des cultures ou encore le développement des fermes urbaines. Il ne suffira pas néanmoins à endiguer l’emballement des dérèglements planétaires et devra être accompagné d’un changement dans les habitudes de consommation des citoyens. Une révolution qui passera par des armes étonnantes : la fourche des agriculteurs et la fourchette des citoyens.