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Mini-public, maxi-concertation

© Bertrand Pichene

Texte de Sophie Largeau

Face à un certain « impératif » démocratique, les collectivités territoriales diversifient leurs modes de dialogue avec les citoyens. Pour élaborer son plan d’actions pour l’égalité femmes-hommes, le conseil général du Val-de-Marne a fait le choix d’un dispositif « mini-public ». Un groupe mixte de vingt et une personnes s’est réuni en atelier pendant sept jours et a formulé des recommandations. Retour d’expérience de Sophie Largeau, qui a accompagné la démarche.
Article écrit pour la revue M3 n°4.

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Date : 20/01/2013

Le conseil général du Val-de-Marne souhaitait concerter son plan d’actions pour l’égalité femmes-hommes. Il s’agissait de dépasser les représentations individuelles et collectives en matière d’égalité et d’élaborer des réponses aux questions en débat qui étaient posées sur ce thème. L’atelier citoyen était conçu comme l’élément central de la démarche, mais d’autres acteurs concernés par l’égalité (agents et élus de la collectivité ou associations et villes du département) étaient conviés à divers débats afin de contribuer au plan d’actions. Le bilan de l’expérience a permis de mesurer la démarche, ses apports pour les participants, et d’identifier les effets de cette concertation sur le processus décisionnel de la maîtrise d’ouvrage. Car, si ces démarches sont riches pour tous les protagonistes, elles ne sont qu’un moyen au service de l’élaboration d’un projet. L’important est de mesurer si la participation citoyenne contribue à la construction de l’action publique, si les recommandations impriment réellement des changements dans les choix de politique publique. Pour y parvenir, la volonté managériale et la force citoyenne de l’énergie délibérative sont des vecteurs essentiels.

Un processus affirmé et lisible
La concertation en Val-de-Marne a pu s’appuyer et se structurer grâce au portage politique et managérial dans la conduite de l’atelier citoyen, grâce à la volonté d’expérimenter et aux échanges continus entre l’exécutif et l’administration. La démarche et ses objectifs d’enrichissement du plan d’actions étaient clairement affirmés. Les participants, dont le profil avait été défini au préalable, ont été recrutés en face à face dans les équipements du conseil général. Le recueil de la parole des plus éloignés des instances habituelles de participation a été privilégié. Cela a permis une diversité sociale, géographique et d’âge des participants, qui connaissaient au moins une compétence exercée par la collectivité. Les citoyens ont d’abord été écoutés sur la façon dont la question de l’égalité se posait pour eux, de façon que le mandat et les questions soumises au débat correspondent à ce qui les intéresse ainsi qu’aux champs d’action du conseil général. Les recommandations du groupe ont été formulées par écrit dans un recueil, ce qui a valorisé le travail réalisé et a soutenu l’après – concertation et l’irrigation des idées dans les espaces de décision. Les citoyens ont présenté eux-mêmes cet « avis citoyen » au comité de suivi composé des élus et des directeurs concernés. Après l’atelier citoyen, plusieurs participants ont assisté au vote par l’assemblée départementale et à la rencontre finale avec la vice-présidente, où les décisions prises pour le plan d’actions « Égalité », issues ou non de la concertation, leur ont été présentées.

Une question d’énergie délibérative
Au coeur d’une démarche de concertation, le dialogue réel entre les participants ne va pas de soi. Il faut concevoir et inventer les conditions de sa réalisation, de telle sorte que la qualité délibérative du groupe stimule les personnes et les travaux collectifs. L’animation d’une démarche de concertation de type « mini-public » doit impulser à la fois dynamique de groupe, coopération et production collective d’idées. Le groupe qui s’est créé dans l’atelier citoyen « Égalité », a pris conscience de ses capacités à agir, à trouver des idées par l’écoute respectueuse des points de vue de chacun ; il a appris à surmonter les différences en travaillant sur les représentations de chacun. La capacité du groupe à s’autoréguler et à manifester un désaccord sur le déroulement de l’atelier atteste d’une prise en charge et d’une responsabilisation des participants sur les résultats produits. Certains d’entre eux ont exprimé avoir été surpris de la progression de la discussion jusqu’à la production de l’avis final. Lors de l’évaluation, 85 % ont exprimé que les discussions ont permis de faire avancer le projet. Enfin, plus de la moitié ont eu le sentiment que les discussions ont fait évoluer leur opinion. La liberté d’expression, le développement du sens de l’écoute, la qualité du dialogue et des échanges sont apparus dans plusieurs témoignages. Plutôt qu’une juxtaposition de points de vue différents, l’organisation de la confrontation des avis nourris de connaissances objectives a facilité l’argumentaire individuel et collectif ainsi que la formulation de recommandations.
Les participants ont trouvé dans l’atelier une forme d’empowerment et une réponse au défi d’une meilleure justice sociale. La coopération et l’altérité expérimentées dans un espace de délibération citoyenne ont contribué à développer de nouvelles capacités individuelles et collectives. Le groupe a bénéficié d’apprentissages pluridimensionnels qui ont pu être observés : une plus grande confiance dans la capacité créatrice collective et individuelle, des savoirs accrus sur les enjeux de l’égalité femmes-hommes, une meilleure connaissance et compréhension de l’action de la collectivité, ce qui augmente la confiance dans les institutions publiques. Des initiatives ont été prises en dehors de l’atelier. Une participante a profité de la période précédant les élections cantonales pour présenter la démarche dans l’espace d’insertion qu’elle fréquente. Elle voulait témoigner de la capacité démocratique de chacun. Quatre participants ont choisi de s’investir dans une autre démarche de concertation du conseil général.
Cette expérience montre que les effets de ces démarches se mesurent autant pour les participants que pour tous les acteurs du processus, agents et élus, dans une dynamique d’« autopoïèse ». Chacun s’enrichit réciproquement des apports de l’autre, s’en trouve transformé et contribue ainsi à une production interactive générée par l’action avec les autres. Ce vécu partagé nourrit et renouvelle le dialogue entre gouvernants et gouvernés et le sens de la relation aux citoyens et du service « pour » et « avec » le public. Nous l’avons observé dans un autre atelier citoyen animé récemment avec des personnes en situation de handicap mental. Il s’agissait de dépasser les limites de l’accessibilité du débat démocratique pour l’ouvrir à tous, au moyen de différentes formes d’animation. Là aussi, la force de l’expérience vécue a mis chacun en mouvement. L’« effet de groupe », s’il a pu surprendre ou désarçonner dans l’atelier, a créé une impulsion positive pour la conduite du plan d’actions « Égalité ». Et ce mouvement a été conforté par la qualité et l’originalité de l’avis final produit par les citoyens.

Une grande exigence managériale
Dans le plan d’actions pour l’égalité femmes hommes qui a été voté, les apports de la Concertation des citoyens ont été significatifs. Sa structure générale reprend celle de l’avis citoyen, et 60 % des actions proposées ont été reprises. La politique de l’égalité a été pour une grande partie reformulée et structurée dans une politique globale cohérente. De nouvelles priorités révélées dans le processus de concertation ont été formulées, comme l’accès aux droits, l’équilibre et le partage des rôles dans la vie quotidienne, la mixité professionnelle dans certains secteurs. Des recommandations ont néanmoins été rejetées. Certaines dépassaient les compétences du conseil général. Certaines demandaient encore un temps de débat interne avant d’être appropriées.
Ténacité et accompagnement méthodique sont indispensables pour que les avis soient pris en compte dans le rapport final. Sinon, trop souvent, tout s’arrête après l’engouement de l’événement participatif, au risque de décrédibiliser les pouvoirs publics et toute nouvelle initiative. L’organisation d’un dialogue direct entre les citoyens et l’institution crée une responsabilité forte et une obligation de mise en oeuvre, que les participants exigent vigoureusement. Cette mise en oeuvre repose sur une organisation spécifique du management de l’après concertation, qui doit être adaptée à la construction complexe de l’action publique. Un processus itératif long doit être conçu pour mettre des avis au travail auprès des différentes parties prenantes et instances décisionnelles qui, chacune dans leur champ, concourront à la définition et à la validation du projet. Il faut créer des espaces nouveaux et des outils pour travailler la prise en compte de l’avis citoyen et faciliter l’appropriation des propositions auprès des secteurs concernés et leur traduction en actions.
 L’atelier citoyen, par sa forme relativement nouvelle, a pu bousculer les modes de faire. Il y a des obstacles à ce que les avis citoyens irriguent réellement les choix d’une politique publique transversale. Un mouvement collectif constructif a cependant été perceptible. En témoignent une forme d’acceptation de la démarche, une maturation de son sens et de sa portée et une certaine valorisation.
 Cette expérience montre que les démarches de concertation accélèrent les conditions de mise en ouvre de politiques transversales et confrontent nos collectivités à leurs capacités de décloisonnement, qui répondent pourtant aux injonctions de modernisation de l’action publique. L’étape de prise en compte des avis pose la question du fonctionnement politico-administratif et des lieux de la décision. Au-delà de la mobilisation des citoyens et des agents pendant la démarche,  La concertation est un processus qui oblige ensuite un temps d’imprégnation et d’analyse de leurs avis par tous les échelons de l’organisation. Sans cela, la « greffe » des avis ne peut prendre et irriguer les circuits décisionnels. Aussi, les tensions accompagnent et les dynamiques de changement s’accompagnent. Le travail au coeur de nos systèmes d’organisation se trouve stimulé par l’impulsion de la « force » citoyenne et l’engagement de faire un retour aux citoyens sur leurs propositions.