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Maison de l’écologie : la forme associative, gage d’autonomie

Illustration représentant un arbre dont le feuillage est fait de mains.

Texte d'Olivier Givre

La dimension associative est fondamentale pour ce domaine qui se définit souvent en opposition aux formes entrepreneuriales et institutionnelles qu’est le milieu alternatif car il permet à des groupements aux objectifs très variés de trouver une viabilité et une aisance.

La Maison de l’écologie permet aux association qui fonctionnent sous ce mode d’être un lieu- ressources mais les impératifs économiques les obligent aussi à réfléchir sur leur engagement et à clarifier les objectifs de leur action militante.

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Date : 01/01/2002

Une échoppe d’aspect rustique, des volets en bois ; dans les vitrines, des livres, des jouets naturels, des jeux coopératifs, du papier recyclé... Passée la porte de la Maison de l’Ecologie, on pénètre dans la "boutique": toute une gamme d’objets écologiques, de la radio solaire à l’argile en passant par la farine bio ; un choix d’ouvrages militants ou traitant de questions sensibles aux yeux des membres de l’association (des minorités ethniques à la "malbouffe" en passant par l’énergie nucléaire) ; enfin, un coin lecture et information, qui met à disposition des visiteurs des revues, lettres et fanzines, en général alternatifs, un classeur garni des pétitions en cours et une caisse de solidarité, baptisée "non à Big Brother", contre la vidéosurveillance. Un peu partout, des affiches, des autocollants, des t-shirts, des cartes postales, beaucoup de messages, d’images... La salle est d’assez petite taille, mais haute de plafond et garnie d’une mezzanine, les coulisses en fait de la Maison de l’Ecologie : en haut, le secrétariat, les archives, des bureaux, du matériel, des livres, et un petit salon...

A Lyon, les pentes de la Croix-Rousse sont un véritable vivier pour le milieu "alternatif", terme qui désigne une large gamme de modes de pensée et d’action protestataires ou contestataires et se définissant comme indépendants par rapport aux pouvoirs institués et aux partis politiques. Une culture, ou plutôt des cultures, des courants de pensée très polymorphes, alliant conceptions écologiques, économiques et politiques et défendant des modes d’organisation sociale "libertaires". Dans un domaine qui se définit souvent en opposition aux formes entrepreneuriales et institutionnelles, la dimension associative est fondamentale : il y va de l’existence même de groupes de taille et d’importance variables.

Ces groupes entretiennent une vie collective intense concrétisée par des réseaux de relations au sein desquels certaines structures, telles que la Maison de l’Ecologie, jouent un rôle de lieu-ressource : une association déjà ancienne, dotée d’un programme idéologique et d’une structure viable, et vers laquelle convergent une multitude de petits groupes, un "nœud" dans le réseau alternatif local en somme. Pour preuve, plusieurs associations sont logées dans l’immeuble dont la Maison de l’Ecologie est propriétaire, tandis que d’autres mouvements utilisent la Maison comme boîte aux lettres. D’autres enfin utilisent à l’occasion les locaux ou le matériel, à l’exemple du S.E.L. (Système d’Echange Local) de la Croix-Rousse. Bref, la solidarité est la moindre des choses entre des mouvements qui se reconnaissent souvent une "fibre" contestataire commune :"on est une structure de soutien et de diffusion d’idées, en fin de compte", estime Corinne Thomas, une militante d’une trentaine d’années.

Reflet de la diversité et de la liberté du milieu alternatif, les bénévoles, militants et sympathisants ont souvent des implications multiples et des expériences diversifiées : compte tenu de l’intense circulation des idées et des personnes, la forme associative permet à des groupements aux objectifs très variés de trouver une viabilité et une audience. Le goût pour l’indépendance et le particularisme conduit souvent les militants à former leur propre micro-mouvement, sur des sujets très particuliers. Mais l’éclatement et la fragmentation des initiatives condamnent un certain nombre d’associations à la confidentialité, d’où la nécessité de structures intermédiaires telles que la Maison de l’Ecologie.

De la lecture de la future charte de cette association, il ressort ainsi que les causes soutenues sont très variées : du droit au squat à la cause kurde en passant par les repas de quartier, le mouvement coopératif ou la participation à des carnavals, on défend ici une écologie engagée au-delà des seuls problèmes environnementaux : "on se préoccupe d’écologie environnementale et sociale, ce qui inclut les droits de l’homme en général" précise Corinne. Au-delà des idées (la lutte contre toute forme d’oppression, la pensée libertaire, l’économie alternative, les droits des minorités) et des principes de vie (le végétarisme, le refus de la voiture ou de la télévision, le tri de tous les déchets), c’est la méfiance vis-à-vis des institutions qui constitue le point de consensus entre la plupart des groupes qui gravitent autour de la Maison de l’Ecologie. L’autonomie et l’indépendance politique et financière sont un préalable : "on ne veut avoir de comptes à rendre à personne, n’être dépendant d’aucune politique. On ne demande pas de subventions, donc pas de rattachement".

L’embauche de deux salariés cette année, un CEC et un emploi jeunes, avec des taux de prise en charge importants, permet à l’association de se structurer, à l’heure où on constate un essoufflement du bénévolat, car si un noyau de bénévoles s’est formé autour de la Maison de l’Ecologie, beaucoup hésitent à franchir le pas de l’adhésion, "par peur de se sentir liés" pense Corinne. Cette "professionnalisation" implique pourtant un réel changement de mentalité par rapport à certains préceptes radicaux, et s’avère une étape difficile à franchir lorsqu’il s’agit d’auditionner des candidats et de donner des directives aux nouveaux personnels, ce que certains perçoivent comme un manquement à l’éthique de l’association : une direction collégiale, sans présidence, le refus de toute relation de pouvoir... "Il y avait toujours eu des personnes sous contrat, des objecteurs de conscience comme moi ", explique Olivier Large, le plus ancien membre encore présent, avec dix années de Maison de l’Ecologie. "Mais c’était avant tout des militants, qui faisaient déjà partie de l’association : on ne comptait pas les heures, et on ne faisait pas la différence avec les bénévoles.

Maintenant, le CA est plus là pour donner les orientations et prendre des décisions que les salariés mettent en œuvre". Mutations du monde associatif, professionnalisation, nouvelles logiques, structuration des procédures de décision et d’application : la période charnière des trois années écoulées reflète les préoccupations et les conditions de vie de nombreuses associations. Le fait que, pour l’embauche de ces personnels, la Maison de l’Ecologie a également du accepter les primes d’aide à la création d’emplois, n’a pas été bien accepté par tout le monde, certains y voyant une perte d’autonomie.

Le corollaire de ce changement d’échelle, c’est un nouveau projet, qui tente de mettre davantage en harmonie "l’idéologie" et "les actes", à l’aide de la future charte : "on s’est rendus compte que beaucoup de gens venaient, adhéraient même, sans avoir des idées très précises en matière d’environnement ou de droits de l’homme", estime Corinne. "La première chose, c’est quand même de savoir quelles idées on défend". Plus profondément, cette évolution est aussi l’indice de mutations assez profondes des notions d’engagement, de militantisme, de contestation, des notions d’autant plus actuelles que le débat politique classique intéresse beaucoup moins que les grandes questions de société que l’on a souvent tendance à englober sous le terme de "mondialisation", et auxquelles aucune des idéologies dominantes jusque-là ne semble d’ailleurs pouvoir apporter de réponses.

La montée de mouvements de revendication rassembleurs, transnationaux, mais sans étiquette politique traditionnelle, indique la volonté d’une partie significative du corps social de redéfinir les ordres sociaux, politiques et économiques ; elle n’est pourtant pas sans faire débat au sein de groupes qui se sont quant à eux toujours refusés à des contacts soutenus avec les pouvoirs publics, fonctionnant de manière véritablement alternative, mais qui dès lors ne sont plus seuls à occuper la scène de l’action militante. Ce besoin de clarification des objectifs de l’action militante, on le retrouve également chez Olivier lorsqu’il réfléchit à voix haute sur l’avenir de l’engagement : "qu’est-ce qui est le plus efficace ? Des mouvements radicaux condamnés à rester confidentiels ou des mouvements consensuels qui confinent parfois à la démagogie ? Nous, qui défendons des idées plutôt radicales mais avec des moyens assez conventionnels, on se trouve entre deux eaux".