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Les transformations de l’autonomie financière locale

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Texte de Michel BOUVIER

Nombre de concepts utilisés dans le cadre des finances publiques paraissent aujourd’hui plus ou moins brouillés, plus ou moins flous, du fait des transformations nationales et internationales qui se sont produites dans ce champ depuis environ une trentaine d’années. Ainsi, des termes qui allaient jusqu’alors de soi ne procèdent plus d’un sens commun.

C’est le cas, entre autres, de la notion d’autonomie financière qui ne fait pas l’objet d’une définition unanime, et ce alors même qu’elle tient depuis toujours une place centrale dans les débats relatifs à la libre administration des collectivités territoriales. Intimement liée à la décentralisation, elle en épouse les évolutions ou, ce qui revient au même, celles de l’Etat. Et si elle a d’abord été posée comme « la » solution à la crise pendant environ trois décennies, l’aggravation considérable du déficit et de l’endettement publics  a amené ces dernières années à reconsidérer l’action de l’Etat comme indispensable.

Alors, après avoir assisté  au début des années 1980 à la revanche du « local » sur le « central, est-on aujourd’hui en présence d’une revanche du « central » sur le « local » ? ou ne se dirige-t-on pas  inéluctablement vers une intégration du « local »et du « central »?

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Date : 01/03/2014

La revanche du « local » sur le « central : une illusion ?

 

La revanche du « local » sur le « central » est apparue avec une particulière vigueur dans la seconde moitié des années 1970 lorsque les difficultés économiques, annonciatrices d’une crise profonde et de longue durée ont conduit, en France comme ailleurs, à appréhender l’Etat comme un problème et la décentralisation comme une solution [1]. L’Etat-Providence qui avait été magnifié pendant  « les 30 glorieuses » s’est vu alors frappé de discrédit tandis que parallèlement un processus de profonde transformation s’est amorcé donnant une place essentielle à l’autonomie financière des collectivités locales. Celle-ci était posée non seulement comme une voie vers le renouveau économique mais aussi comme le moyen de répondre à la crise des finances publiques qui commençait à se développer. Une ère nouvelle s'est alors ouverte pour les collectivités territoriales, caractérisée par une responsabilisation financière en net essor du fait non seulement d’impôts propres mais aussi de la mise à disposition de fonds globaux et non plus spécifiques à telle ou telle opération.

Dès 1976 une expérience de globalisation des prêts (généralisée en 1979) fut engagée pour des communes de plus de 10 000 habitants par le groupe formé par la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d’épargne et la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales. Cette expérimentation est importante car elle a représenté un premier pas tangible vers l’autonomie de gestion. Cette voie vers l’autonomie financière s’est poursuivie par la création en 1979 de la dotation globale de fonctionnement. Aussitôt après, une loi du 10 janvier 1980 autorisera les assemblées délibérantes des collectivités locales à voter les taux des principaux impôts directs locaux (taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties, taxe professionnelle [2]). Ainsi, à l’autonomie de gestion des fonds mis à disposition s’est ajoutée une autonomie de décision fiscale. Les lois de décentralisation de 1982/1983 sont venues couronner ce mouvement d’émancipation des collectivités territoriales.

Pendant des décennies il est par suite allé de soi que la notion d’autonomie financière locale ne pouvait s’entendre que de l’association de l’autonomie de gestion et de l’autonomie fiscale. Or, ce sens commun s’est vite trouvé en décalage par rapport aux évolutions du système fiscal local. En effet, dès les années 1980, des allègements concernant aussi bien les impôts d’Etat que les impôts locaux furent accordés aux contribuables, particulièrement aux entreprises dans le cadre de politiques fiscales visant à soutenir l’économie. L’Etat a alors compensé le « manque à gagner » pour les collectivités territoriales [3] ce qui a progressivement abouti à faire disparaître des pans entiers de la fiscalité locale. Du reste ces compensations [4] ont progressivement été transformées en dotations forme ultime de la décadence de l’autonomie fiscale locale.

La question de savoir si l’on pouvait continuer à parler d’autonomie financière des collectivités locales dans un tel contexte se posait inévitablement. C’est à cette question qu’a entendu répondre le législateur par la loi de révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République. Celle-ci a clairement posé un principe d'autonomie financière des collectivités territoriales qui a pu sembler ancré dans leur autonomie fiscale. En effet, l’ article 72-2 qui a été inséré dans la Constitution dispose :

  • D'une part, que les collectivités territoriales peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures et que la loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine ;
  • D'autre part, que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.

Les éléments permettant de déterminer la notion d'autonomie financière, et par conséquent ce que l'on entend par « ressources propres » ont été définis l’année suivante par la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités locales. Selon ce texte, entrent dans la catégorie des ressources propres les impositions de toutes natures, dont la loi autorise les collectivités territoriales à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette. Y figurent également les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers et les dons et legs.

En revanche ne sont inclus dans la  catégorie des ressources propres ni les emprunts et recettes de trésorerie ni les subventions et dotations versées par l'État ou d'autres collectivités. Le même texte explicite la mesure de l’autonomie financière qui, selon lui, doit être calculée en faisant le rapport entre les ressources propres et le total des ressources, à l'exclusion des emprunts (ce rapport ne pouvant  être inférieur au niveau constaté en 2003). Au vu de cette définition de l’autonomie financière, et dans la mesure où les ressources fiscales constituent les principales ressources propres des collectivités, il pouvait sembler clair que leur place est essentielle dans la définition de l’autonomie financière.

Ce qui a pu faire penser à un renouveau de l’autonomie fiscale locale n’a toutefois été qu’un rendez-vous manqué. Il convient de souligner que c’est dans un contexte de disparition progressive de la fiscalité locale qu’a été institué cet ancrage fiscal de l’autonomie financière locale. Le Conseil constitutionnel ne s’y est pas trompé lorsqu’il a dissocié l’autonomie fiscale de l’autonomie financière, dont il reconnaît le principe, en considérant « qu'il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale » [5].

 

La revanche du « central » sur le « local » : une réalité?

 

La réforme de 2003 /2004 n’a pas constitué un coup d'arrêt à une perte de substance de l’autonomie fiscale locale. Elle a au contraire confirmé une logique allant dans le sens d’une dissociation de l’autonomie de gestion et de l’autonomie fiscale.

La suppression de la taxe professionnelle (TP) en a constitué une étape nouvelle. Par ailleurs la mise en place d’une norme de dépenses pour l’Etat en a été une autre dans la mesure où elle se répercute sur les capacités de financement des collectivités locales, réduisant ainsi leur autonomie de gestion.

 

Une réduction de l’autonomie fiscale

 

La taxe professionnelle était un impôt, créé en 1975, auquel étaient assujetties les entreprises et dont le produit était collecté au profit des communes et de leurs groupements à fiscalité propre, des départements et des régions. Elle comportait une assiette composée de deux éléments : les salaires versés et les équipements de l’entreprise, ce qui en faisait un frein à l’embauche et aux investissements. C’est la raison pour laquelle la partie salaire de la base fut supprimée dans un premier temps, par la loi de finances initiale (LFI) pour 1999. Sa suppression totale fut décidée par la LFI pour 2010 qui la remplaça par la Contribution économique territoriale(CET).

La CET est un impôt composé de deux contributions, la Cotisation foncière des entreprises (CFE) dont le produit revient au seul « bloc communal » (communes et leurs groupements à fiscalité propre) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont le produit est partagé entre le « bloc communal », les départements et les régions. La CFE est assise sur les valeurs locatives des propriétés bâties et non bâties de l’entreprise, son taux est décidé par le conseil de la collectivité comme l’était celui de la TP. La CVAE est un impôt partagé entre les communes et leurs groupements qui en perçoivent 26,5 %, les départements (48,5 %) et les régions (25 %). À chaque collectivité est alloué un produit de CVAE correspondant à la valeur ajoutée des entreprises situées sur son territoire. Le taux de la cotisation, fixé par le Parlement, est de 1,5 %.

Ce n’est pas tout. La Loi de Finance Initiale pour 2010 a également procédé à une redistribution de la fiscalité locale entre collectivités territoriales. Outre les deux parties de la CET, le « bloc communal » bénéficie de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ainsi que de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’habitation. Le département ne dispose plus que de la CVAE et de la taxe foncière sur les propriétés bâties. La région est la grande perdante en ne bénéficiant  plus que de la CVAE.

D’autre part si les communes conservent la faculté de faire varier les taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation et de la cotisation foncière sur les entreprises, il n'en est pas de même pour les départements qui ne peuvent plus agir que sur le taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Quant aux régions, leur possibilité de jouer sur les taux pour accroître leurs ressources est nulle puisqu'elles disposent essentiellement d'un impôt, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dont le taux est fixé au niveau national.

 

Une réduction de l’autonomie de gestion

 

Ainsi, selon ce nouveau schéma, l’autonomie financière se réduit à une autonomie de gestion vouée à se restreindre, et à une autonomie fiscale limitée et inégale selon les catégories de collectivités. Cette évolution répond à un souci de pilotage central des finances publiques vu comme le moyen le plus adapté pour en réguler les flux. Et si elle s’apparente à un retour de l’Etat il faut plutôt y voir une intégration du « local » et du « central » qui, nolens volens, tend à s’installer sous la pression d’une augmentation de moins en moins soutenable de la dette publique combinée avec les normes de l’Union européenne obligeant les Etats membres à respecter une certaine discipline budgétaire.

Depuis 1983, l’État s’est efforcé de s’en tenir à la règle selon laquelle, d’une année sur l’autre, la croissance des masses budgétaires ne devait pas être supérieure à celle du PIB. Cette règle a cependant souffert de nombre d’exceptions jusqu’aux années 2000. Toutefois, une norme de dépenses de l’Etat est respectée depuis 2003. Elle consiste à faire évoluer les dépenses au même rythme que l’inflation (norme « zéro volume). En outre, depuis 2011 s'ajoute à cette norme une norme dite « zéro valeur » qui fait que le budget est élaboré sur la base d'une stabilisation des crédits en euros courants. C'est la norme la plus contraignante qui est retenue. Bien qu’appliquées uniquement à l’Etat, ces normes concernent indirectement les collectivités locales en touchant les dotations versées par l’Etat.

La maîtrise des dépenses publiques locales pourrait également passer par une norme de dépense les visant, une proposition qui revient périodiquement depuis le rapport Feuilloley-Raynaud [6]. Ce dernier préconisait, en 1986, de fixer des normes de référence (taux de croissance des dépenses de fonctionnement civiles de l’Etat par exemple) pour les dépenses locales.  Le rapport Balladur a poursuivi dans le même sens et propose un débat annuel au Parlement qui définirait « un objectif annuel d’évolution de la dépense publique locale » qui ne serait qu’un simple « point de repère » [7].

Ainsi, dans un contexte où les besoins augmentent tandis que la capacité des collectivités locales d'agir sur les taux ou sur les bases d'imposition est très réduite, voire même quasiment nulle, c'est vers les dotations de l'État que les pressions les plus fortes risquent de se déplacer. Or, du fait de la politique menée pour parvenir à respecter un équilibre budgétaire [8] , ces dotations sont vouées à diminuer. Plusieurs dispositifs ont été successivement mis en place depuis 1996 pour mieux contrôler la dépense que représentent les concours financiers pour l’État ; le dernier en date a consisté à geler une grande partie des subventions au niveau de 2010 et jusqu'à 2013. A compter de 2014 et jusqu'à 2017 elles font finalement l'objet d'une réduction.

Si la situation financière de l’Etat venait à s’aggraver, une solution directement financière pourrait consister dans le développement d’une mutualisation des moyens entre collectivités locales. Cette perspective se voit aujourd’hui conférer un intérêt renouvelé sous la forme de « péréquations horizontales » [9] . Toutefois si la crise venait à s’amplifier plus encore, les masses pouvant faire l’objet de telles péréquations en viendraient nécessairement à se réduire ce qui accélèrerait le recours à des sources alternatives de financement telles que les redevances ou encore les partenariats public/privé, ou à une réduction drastique des dépenses publiques.

 

L’intégration du « local » et du « central » : une condition de l’autonomie financière des collectivités territoriales

 

Il reste qu’une réelle maîtrise de la dépense publique implique d’aller au-delà du périmètre de l’Etat en intégrant l’ensemble des dépenses publiques (Etat, collectivités locales, sécurité sociale) pour aller dans le sens des mesures  impulsées par l’Union européenne depuis le traité de Maastricht (1992). On le sait, l’objectif est celui d’une réduction du déficit public et de la réalisation d’un équilibre comptable des finances publiques. Le processus visant à respecter une « règle d’or » s’est considérablement accéléré sous la pression des difficultés rencontrées par la zone euro. La signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), qualifié de «pacte budgétaire européen », signé le 2 mars 2012 par les chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’Union [10], a marqué une étape importante dans cette évolution.

La France, conformément aux engagements découlant du traité, en a intégré les normes en droit interne. C’est dans ce sens qu’une loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a été adoptée par le Parlement. Cette loi reprend l’essentiel des mesures figurant au traité. Les lois de programmation pluriannuelles  des finances publiques y sont posées comme des instruments de pilotage de la trajectoire de l’objectif d’équilibre pour l’ensemble du système financier public. Ce sont elles qui définissent l’objectif à moyen terme du solde structurel, ce solde concernant l’ensemble des administrations publiques comprend par conséquent  les collectivités locales.

Au final, il apparaît qu’une réorganisation du processus de décision au sein du système financier public est indispensable. Ce qui suppose que l’autonomie financière locale ne soit plus envisagée autrement qu’intégrée au sein d’une gouvernance financière publique entendue d’une façon globale et selon une logique partenariale. Cette voie n’a pas encore trouvé une formalisation. Il n’existe pas en effet de dispositif institutionnel permettant d'assurer une cohérence aux décisions budgétaires prises les collectivités locales, l'État et les organismes de sécurité sociale.

 

Références :

[1] Ce changement total de paradigme fut parfaitement illustré par les propos que tint Ronald Reagan lors de son investiture en tant que Président des Etats- Unis le 20 janvier 1981 : « In this present crisis, government is not the solution to our problem. Government is the problem ».
[2] La taxe professionnelle sera supprimée par la loi de finances initiale pour 2010 et remplacée par la Contribution économique territoriale.
[3] C’est alors que l’on a commencé à qualifier l’Etat de « premier contribuable local ». En fait pour être exact il s’agit d’une substitution du contribuable national au contribuable local. 
[4] Les compensations représentaient 35 % du produit des grands  impôts directs locaux en 2003
[5] Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009
[6] Le rapport avait été demandé par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Monsieur Charles Pasqua, et lui fut remis le 10 juillet 1986. Il partait du constat que les dépenses locales évoluaient plus vite que celles de l’Etat. Le constat  mettait également en évidence le coût de plus en plus élevé des compensations d’exonérations et dégrèvements. cf M Bouvier, Les finances locales , LGDJ 2013. 15ème édition.
[7] Proposition N°14 du rapport Balladur.
[8] M Bouvier, La « règle d’or » : d’un imaginaire financier à une mutation du pouvoir politique ? in Pouvoirs locaux N° 95-2012
[9] La « péréquation horizontale » consiste à redistribuer des ressources entre collectivités locales en fonction de critères de ressources et de charges. Elle peut être associée à une «péréquation verticale », dans ce cas l’Etat décide d’allouer une dotation.
[10] A l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque