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Les cours d’eau à Lyon

Photographie des bords de Saône au début du XXème siècle
Les bords de Saône au début du XXème siècle

Texte de Bruno BENOIT

Leur dimension identitaire contemporaine

L'identité cherche à dégager les aspects pérennes d'une cité afin d'en décoder la personnalité. À Lyon, les cours d'eau figurent au premier rang de ces aspects et définissent un territoire original, berceau d'un sentiment d'appartenance qui peut être désigné par le terme de lyonnitude.

Bruno Benoît, professeur d’histoire contemporaine à l’IEP de Lyon fait ressortir la place qu’occupent le Rhône et la Saône mais aussi la confluence dans l’identité contemporaine lyonnaise. Les fleuves ont donné hier et donnent aujourd’hui un sens à l’organisation de l’espace et ils figurent comme élément constructeur de la triple identité lyonnaise.
Date : 30/01/2001

L'identité cherche à dégager les aspects pérennes d'une cité afin d'en décoder la personnalité. À Lyon, les cours d'eau figurent au premier rang de ces aspects et définissent un territoire original, berceau d'un sentiment d'appartenance qui peut être désigné par le terme de lyonnitude1. L'identité étant fille de l'histoire et de la mémoire, toute réflexion sur l'identité contemporaine s'inscrit dans la longue durée. Pour ces raisons, la dimension identitaire contemporaine des cours d'eau à Lyon ne peut être appréhendée que dans une perspective historique, le passé éclairant le présent, voire l'avenir.

La place qu'occupent le Rhône et la Saône, mais aussi la confluence, dans l'identité contemporaine lyonnaise est double. D'abord, ils ont donné, d'hier à aujourd'hui, un sens à l'organisation de son espace, ensuite, ils figurent parmi les éléments constructeurs de la triple identité lyonnaise 2.

 

Le Rhône et la Saône, organisateurs de l'espace lyonnais

La Saône a été le premier marqueur de l'espace lyonnais. Dans l'Antiquité, sur sa rive droite s'étend la ville romaine officielle, tandis que sur sa rive gauche, c'est-à-dire la presqu'île ou île de Canabae, s'étale le quartier des entrepôts et des ateliers. À partir du Moyen âge, elle regroupe toujours sur sa rive droite et autour de la cathédrale le cœur de la ville, ce que l'on appelle aujourd'hui le Vieux Lyon. La Saône est alors l'égout et l'axe principal de la ville qui commence à déborder sur la rive gauche. Les maisons viennent y mourir comme sur le Grand canal de Venise.

À la Renaissance, la Saône est traversée et la presqu'île investie. Parmi les ponts qui la franchissent, le pont du Change offre boutiques et habitations. Le premier dégagement des rives de la Saône date de l'après siège de Lyon en octobre 1793, quand les autorités locales ajoutent, aux démolitions imposées par la Convention, celles que réclament l'hygiène et une meilleure circulation. La Saône, avec l'industrialisation du XIXe siècle, perd sa dimension centrale et économique pour devenir la rivière historique de Lyon. Grâce au plan de ravalement des façades lancé par la municipalité dans les années 1980, elle est devenue un merveilleux ruban de maisons colorées qui ont fortement participé au classement de la ville au patrimoine mondial par l'Unesco.

Le Rhône, quant à lui, a pendant longtemps été un fleuve frontière. Au Moyen-âge, c'est entre le royaume et le Saint Empire. Au XIVe siècle, une fois la rive gauche rattachée au royaume de France, il est alors traversé par un pont de  pierre qui relie la ville au faubourg de la Guillotière. À l'époque moderne, le Rhône sépare le Lyonnais du Dauphiné. En 1790, son nom, associé à celui de la Loire, est donné au département dont Lyon est le chef-lieu. Après le siège de Lyon en 1793, pour punir Lyon de s'être soulevé, le département de Rhône-et-Loire est divisé en deux et Lyon devient le chef-lieu du petit département du Rhône. Cette sanction fait que le fleuve Rhône est désormais associé, pour le meilleur et pour le pire, à la ville de Lyon.

Ce n'est pourtant qu'en 1852 qu'il est pleinement intégré à l'espace urbain lyonnais, lorsque Lyon annexe le faubourg de la Guillotière sur la rive gauche. À partir de cette date, le Rhône structure l'espace lyonnais en rive droite et en rive gauche et devient la véritable "5e avenue" lyonnaise, puisque le long de son cours où tout proches se trouvent la cité internationale, le parc de la Tête d'Or, la mairie, la place Bellecour, la préfecture, l'université, la gare de Perrache et le technopôle de Gerland.

En revanche, la confluence du Rhône et de la Saône a, jusqu'à maintenant, joué un rôle secondaire dans l'organisation de l'espace lyonnais. Est-ce à cause de sa mobilité? Cela peut se concevoir, puisque, de l'Antiquité au Moyen-âge, elle s'est située à la hauteur des Terreaux, pour n'être fixée au sud d'Ainay qu'à la fin du XVIIIe siècle, à la suite des travaux de l'ingénieur Perrache. Ou est-ce à cause de sa non valorisation dans l'espace lyonnais ? On peut le penser quand on considère la construction de la gare de Perrache au milieu du XIXe siècle qui a littéralement coupé la confluence du reste de la ville. L'édification du centre d'échanges sous la municipalité Pradel n'a fait que rejeter encore davantage la confluence à la périphérie.

 

Le Rhône et la Saône au cœur de l'identité lyonnaise

N'est-ce pas l'existence de cours d'eau qui a fait de Lyon, et ce depuis l'Antiquité, un grand foyer économique ! Son site de confluence et sa situation de carrefour entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud ont été exploités depuis l'Antiquité. Ils lui ont assuré sa prospérité économique grâce aux ateliers, aux entrepôts, aux foires et au négoce qui ont pu se développer. Aujourd'hui, passent par Lyon voies fluviales, routes, rail, autoroutes qui font de cette ville un grand carrefour européen. Cette identité économique, excepté à de rares moments, a toujours prévalu entre Rhône et Saône. De ce fait, cette dimension entrepreneuriale a donné naissance à une bourgeoisie dynamique associant fonctions bancaires et industrielles, mais aussi à un monde du travail nombreux et original. L'existence d'un couloir de la chimie le long du Rhône au sud de la ville ne fait que confirmer l'association entre cours d'eau et dynamisme économique, même si aujourd'hui vient s'y adjoindre la notion de dangerosité.

Les cours d'eau sont aussi associés à l'identité culturelle de la ville. Le martyrologe de 177, qui a valu à Lyon le titre de primatie des Gaules, a vu les cendres des martyrs jetées en Saône. Les brouillards, élément fondamental du paysage lyonnais traditionnel, ainsi que la dimension sexuée de la confluence, ont donné à Lyon une réputation, encore bien tenace, de ville secrète, ésotérique et mystérieuse. Enfin les joutes, distraction populaire certes un peu oubliée mais à redécouvrir, avaient lieu sur le Rhône et la Saône, particulièrement lors du 8 décembre, véritable fête "nationale" de la patrie lyonnaise.

Le livre d'images de l'identité politique lyonnaise, qui date de la Révolution française et particulièrement de 1793, contient de nombreuses illustrations où les cours d'eau sont associés à des moments forts de sa construction. Chalier, l'emblématique figure du révolutionnaire exagéré que les Lyonnais rejettent par attachement à un modérantisme en politique, ne veut-il pas installer la guillotine sur le pont Morand pour que les têtes tombent directement dans le Rhône ?

C'est en longeant les berges de la Saône le 29 mai 1793 pour rejoindre l'hôtel de ville situé entre Rhône et Saône que les Lyonnais renversent la municipalité "Chalier", point de départ de leur soulèvement fédéraliste. N'est-ce pas le Rhône qui sert de rempart naturel à la défense de Lyon face aux armées de la Convention qui va décréter le 12 octobre 1793, après la prise de la ville, que "Lyon n'est plus" et ainsi faire naître chez les Lyonnais un sentiment antiparisien !

Le Rhône et la Saône, encore peu fréquentés par des navettes fluviales, et la confluence, encore peu valorisée, coulent bien dans les veines de la lyonnitude. Ils sont donc un élément fondamental de l'identité contemporaine lyonnaise, véritable "entre-deux", entre nord et midi, entre violences et modérantisme, entre terre et eau, entre Rhône et Saône.

 

1 - Bruno Benoît, La Lyonnitude. Dictionnaire historique et critique, Elah, 2000, 141 p.
2 - Bruno Benoît, "Les identités lyonnaises", dans Les cahiers millénaire 3, n° 1, pp. 5-15.