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LES CONDITONS DE SUCCÈS D’UNE RÉFORME

© crédit : Bruno Mangyoku

Texte d'Alain Byenaimé

Succès sous conditions

Une réforme réussie est d’abord acceptable. Compréhension et confiance conditionnent le succès, souvent silencieux, alors que les échecs font beaucoup de bruit !

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Date : 26/06/2015

Jamais dans nos économies libérales, la demande d’État n’a cessé de peser au nom de la solidarité des citoyens, « du désir que les choses aillent mieux » et avec la conviction que le marché ne peut pas tout. C’est pourquoi les candidats aux élections affichent leur volonté réformatrice dans leurs professions de foi. Par la suite, le camp vainqueur mis au pied du mur doit choisir le moment propice pour lancer les réformes annoncées, mais aussi pour réagir à des aléas de première grandeur. Or, plusieurs contraintes limitent la liberté d’action des gouvernements démocratiques. Le calendrier électoral est exigeant, l’endettement public est démesuré et la mondialisation sous toutes ses formes réduit le pouvoir souverain. Le contexte économique général s’est dégradé en Occident. La croissance forte des trente glorieuses a facilité les réformes, par exemple, dans le domaine de la protection sociale. Une croissance molle, tout en rendant nécessaires la réforme des retraites et celle du marché du travail, les rend aujourd’hui plus difficiles.

 

Le risque d’une efficacité perdue en cours de route

Dès lors, à quelles conditions les réformes que l’autorité publique envisage de mettre en œuvre peuvent-elles réussir ? Et selon quels critères peut-on parler de succès ? Le philosophe et le politologue ont leurs outils pour apprécier les chances de réussite des réformes de société aux retombées multiples, tels que le mariage pour tous, ou les sujets de bio-éthique. Les réformes à dominante économique visent un gain chiffrable. Ainsi, l’efficacité espérée d’un accord de libéralisation des échanges internationaux est estimée en termes de surplus de valeur ajoutée, de décimales de points de croissance supplémentaires par rapport au statu quo. Or, dans une démocratie, la réforme ne se décrète pas ex nihilo, ni une fois pour toutes : elle suit un processus et franchit plusieurs étapes susceptibles d’affecter son efficacité par rapport aux espoirs originels de ses promoteurs.

Le projet initial doit d’abord être rationnel dans son contenu. Une décision possède cette qualité si elle est pertinente au regard du problème abordé et si les moyens sont adaptés aux objectifs affichés, de sorte que les bénéfices attendus font plus qu’en compenser les coûts. Or, la mondialisation en cours réduit la pertinence des initiatives prises par des États isolés dans des domaines tels que la réglementation financière, la lutte contre le terrorisme, la régulation climatique. Il n’est pas de réforme possible en ce cas sans une étroite coopération des États concernés. Et si les techniques de brassage des données numériques éclairent les problèmes de grande complexité, les Big Data ne supprimeront pas le fait que plus un État intervient, plus il s’expose aux contradictions dans les aspirations de la société. C’est le cas, par exemple, pour l’assistance aux personnes démunies, en lien avec les incitations à rechercher activement du travail, ou pour la hausse du smic en lien avec la fragilisation des emplois. L’acteur politique se trouve souvent confronté à des exigences inconciliables. Telle réforme peut être rationnelle en soi tout en complétant un programme et un bilan incohérents.

Il ne suffit pas qu’un projet de réforme soit rationnel dans son contenu pour augurer de son efficacité. L’État doit aussi susciter la confiance dont dépend le bon fonctionnement des marchés. Quand une réforme stabilise une variable commandant les anticipations des agents économiques, il se crée un climat de sécurité propice aux bonnes décisions. Mais il y a aussi des réformes qui inquiètent par leur ampleur, par leur complexité.

 

Les opposants aux réformes, un vrai poids

Pour qu’une réforme soit efficace, il lui faut être comprise et acceptée par ceux qui concourent à son accomplissement. Or, un projet de réforme peut être rationnel et inefficace s’il n’est pas compris. Il peut être inefficace s’il est rationnel et bien compris, mais s’il dépasse ce que les perdants de la réforme peuvent supporter. Une réforme présentée comme rationnelle échouera si elle est mal comprise ou si, étant bien comprise, les lobbies la rejettent, avec ou sans le recours à la rue, comme dans le cas des projets mort-nés relatifs aux retraites (1995) ou aux contrats de première embauche (2006). La concurrence que les partisans de la démocratie participative, les médias et les réseaux sociaux imposent à la représentation parlementaire traditionnelle complique singulièrement la tâche du réformateur.

Pour la plupart, les réformes ouvrent des droits nouveaux assortis d’obligations nouvelles. Le souci du détail technique, les amendements inspirés par des intérêts particuliers et la longueur des textes réglementaires ajoutent à la complexité du projet initial. Par exemple, les dispositions de la réforme américaine de l’assurance maladie ou encore bon nombre d’articles du code du travail français sont très peu accessibles. Le recours aux avocats devient indispensable et alourdit les frais de mise en conformité des catégories visées par les nouveaux règlements.

Les publics ciblés interprètent le sens d’une réforme en fonction des réponses concrètes qu’elle peut apporter à leurs problèmes propres. Ce qui introduit un biais dans la compréhension. Ainsi, les syndicats jugent tout changement destiné à améliorer le dialogue social dans l’entreprise à l’aune des conséquences sur leur pouvoir, plus volontiers que du point de vue des difficultés des Français à travailler ensemble. Les contrats CPE n’ont pas résisté à l’hostilité d’une jeunesse qui s’est d’emblée sentie stigmatisée du fait de ses difficultés d’entrée sur le marché du travail.

Les débats préparatoires au lancement d’une réforme n’évitent pas toujours le risque d’être faussés par l’activisme des corporations et leur pouvoir de nuisance. L’arbitrage d’un « spectateur impartial » affranchi des passions et des intérêts en jeu, mais compétent, pourrait aider à éclairer la situation. Encore faut-il trouver l’oiseau rare, que les acteurs acceptent d’y recourir et que le décideur politique respecte ses conclusions.

 

Deux types de réformes

Une fois raisonnablement comprise, une réforme est rarement gagnante pour tous à court terme. Ce qui pose la question de son acceptabilité. Elle crée provisoirement un clivage entre des gagnants et des perdants et peut imposer aux perdants des sacrifices en termes d’argent et de temps. Le succès d’une réforme en projet tient alors à la manière dont les perdants accepteront la légitimité des avantages offerts aux gagnants.

À cet égard, deux types de réformes se distinguent ; celles dont le coût est dilué sur une grande partie de la population au bénéfice d’une minorité, et celles qui avantagent un grand nombre de bénéficiaires et dont le coût est répercuté sur un petit nombre. L’ouverture de nouveaux droits sociaux au profit d’une catégorie sociale étroitement ciblée passe souvent inaperçue ou laisse indifférents les contribuables chargés d’en financer le coût. On découvre, plusieurs années plus tard, que l’accumulation de petites réformes de ce type a débouché sur des hausses d’impôts et taxes et un endettement insoutenables.

Les réformes du deuxième type sont censées plaire au plus grand nombre, satisfaire la « passion des Français pour l’égalité », parfois aux dépens de la croissance économique.

S’il faut convaincre les perdants d’accepter le bien fondé de la réforme proposée, le promoteur devra parfois consentir des accommodements, voire des dédommagements. Ces concessions, tardives, parfois improvisées peuvent alors aboutir à des demi-mesures. L’ambition et la rationalité supposée du projet initial en souffre. Le sort ultime réservé à la loi Macron censée relancer l’emploi et la compétitivité du pays est en jeu, ainsi que, plus largement, celui du pacte de responsabilité. Il aurait été par exemple plus judicieux d’alléger les charges sociales pesant sur les salaires moyens et élevés pour inciter les entreprises à renforcer la qualification des personnels et à innover dans des produits vendables sur le marché mondial. Au lieu de cela, on a choisi d’alléger les charges pesant sur les bas salaires.

 

Gare aux effets pervers

Quand le projet initial échoue à concilier des intérêts contradictoires opposant par exemple les locataires et les propriétaires de logements, le nombre des chantiers en construction chute et laisse entier le problème. La reconfiguration des territoires en cours doit déboucher sur une répartition des compétences capable de conjuguer les avantages de la décentralisation nationale au profit des métropoles, mais aussi de concilier à l’échelle de la région les avantages de la proximité et ceux du regroupement des moyens d’action des acteurs publics et d’interconnexion avec les entreprises. Ce qui retentit sur la politique du logement, des transports et la répartition des aides.

Enfin, des effets pervers, inattendus et opposés à l’objectif recherché, peuvent réduire la portée de la réforme. Ils naissent du comportement d’évitement des agents que le gouvernement entend voir agir dans un sens souhaitable. Quand le port de la ceinture de sécurité a été rendu obligatoire en voiture, certains conducteurs animés d’un sentiment accru de sécurité ont commis des excès de vitesse, ce qui a incité les pouvoirs publics à installer des radars de contrôle destinés à mettre fin à ces effets pervers… avant que ces panneaux ne suscitent à leur tour des imprudences de conduite.

Les réformes visant les activités financières sont particulièrement sujettes aux effets pervers et de la dynamique du glaive et du bouclier.

Le réformateur ne peut se satisfaire ni de la pertinence du contenu de son projet, ni de sa cohérence ; il lui faut convaincre les publics concernés du bien fondé de son entreprise et obtenir leur concours sans trop sacrifier son ambition initiale. Les réformes s’apparentent à de grands investissements éclairés par la perspective de gains à venir. Ce sont des paris sur structures neuves qui remettent en cause bien des routines. Beaucoup s’apparentent à des transformations silencieuses en phase avec l’évolution générale de la société ; elles réussissent discrètement. Les échecs sont d’autant plus dénoncés qu’elles furent vivement débattues.

Contrat de première embauche (CPE)

Annoncé début 2006, il s’adressait aux moins de 26 ans et permettait à l’employeur, durant deux ans, de rompre le contrat sans motif. Face à l’opposition des mouvements étudiants et lycéens, et des syndicats, le CPE est finalement retiré en avril de la même année.