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La ville sous influence estudiantine

Emmanuel Thimonier-Rouzet, Emmanuelle Henry, AU Lyon

Texte d'Emmanuelle HENRY et Emmanuel THIMONIER-ROUZET

Texte écrit pour la revue M3 n°7

Après avoir été éloigné dans des campus  en périphérie, l’étudiant est aujourd’hui un acteur clé de la cité, qu’il contribue à façonner. Habitat, déplacement, rayonnement, mixité : l’ensemble des politiques urbaines doit prendre en considération sa place et son rôle. Il en est de même pour l’université, élément essentiel, constitutif du territoire.

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Date : 01/06/2014

L’enseignement supérieur, la recherche et plus largement la vie étudiante constituent de véritables leviers de développement et de visibilité internationale pour les grandes métropoles. L’étudiant est une ressource : à la fois futur professionnel et futurambassadeur de sa ville d’accueil, en particulier s’il est étranger. La vie étudiante est de plus en plus prégnante dans les stratégies urbaines et certains quartiers anciens, à l’image de la Guillotière à Lyon, constituent de nouveaux creusets pour l’accueil de cette population cosmopolite. Très attentifs aux évolutions rapides des comportements et des pratiques étudiantes, les décideurs ont à mettre en place des politiques ciblées et adaptées, à différentes échelles de territoire.

 

Un poids croissant des étudiants

L’étudiant est-il une catégorie spécifique de citadins ? Il est jeune (le plus souvent) et suit des études supérieures pour accéder à un emploi qualifié. Cette brève définition suffit-elle ? Être étudiant, c’est être en « construction », vivre une transition durant laquelle l’adolescence est quittée pour entrer progressivement dans la responsabilité de l’âge adulte. C’est aussi vivre une transition professionnelle qui permet d’acquérir des connaissances et des compétences dans un domaine disciplinaire donné.

Être étudiant, c’est aussi tenir une posture personnelle et professionnelle, avec des comportements, des pratiques urbaines et des usages spécifiques d’équipements et d’infrastructures. « La vie étudiante » est faite d’une agrégation de parcours individuels et de comportements collectifs, capable d’ambiancer des quartiers entiers, vivant intensément selon des temporalités décalées. Finalement, la figure de l’étudiant apparaît comme un acteur passionné dans ses activités et son mode de vie, s’appropriant, à sa manière, l’espace public. De profondes mutations en font un acteur de plus en plus singulier de la société mais aussi et surtout, un acteur atypique de la fabrique de l’espace public. Le plus souvent, la vie étudiante est d’abord envisagée
à partir des équipements mis en place pour l’enseignement. Son accueil est perçu comme une source de développement.

Les étudiants, en constante augmentation avec la hausse du nombre de bacheliers, évoluent aujourd’hui dans un contexte de massification de l’enseignement supérieur et de diversification des filières. De plus, l’incertitude liée à l’insertion professionnelle les conduit à être plus diplômés que leurs aînés, donc à s’engager sur une période plus longue. Sur le plan territorial, cette augmentation importante depuis 1960 a conduit à la création, dans l’urgence, de nouveaux sites universitaires dont les sites secondaires d’enseignement implantés dans les villes moyennes.

La région lyonnaise s’organise par exemple, sur la forme d’une aire métropolitaine multipolaire, avec une grande agglomération-centre dotée d’agglomérations moyennes (pôles secondaires) qui drainent des effectifs étudiants non négligeables. Ces pôles constituent des lieux de formation de proximité, alternatifs à l’agglomération lyonnaise, par le biais d’antennes d’universités lyonnaise, stéphanoise et grenobloise. L’offre de formation évolue : des filières courtes, pratiques et très spécialisées, sont proposées en lien avec le tissu économique.

Néanmoins, ces filières spécifiques ne captent qu’une partie des bacheliers / étudiants et la tendance à la concentration des étudiants vers Lyon, Saint Étienne et Grenoble demeure. Pourtant, le maintien des pôles secondaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ES&R) constitue un enjeu important. Ils participent à la mise en réseau des territoires de l’aire métropolitaine lyonnaise et contribuent très largement à son attractivité. Si le coeur de la vie étudiante demeure à Lyon, il faut qu’il irrigue et participe au dynamisme d’un territoire beaucoup plus large. L’équilibre entre taille critique, spectre de l’offre, et densité territoriale est au coeur des réflexions d’aménagement. L’autre élément structurant concerne l’offre de logement qui doit répondre à un public souvent précaire et amené à déménager plus fréquemment. Par nature, produire une telle offre mobilise des ressources importantes. Le parc dédié aux étudiants est dominé par les résidences services privées (10 411 places ou 8 %) tandis que les logements étudiants Crous couvrent 5 % de la population étudiante dans l’agglomération lyonnaise (6 900 places) : un des plus faibles pourcentages des agglomérations françaises (8 %).

 Les prévisions d’augmentation du nombre d’étudiants dans l’agglomération lyonnaise, la tension visible sur le logement social et sur le parc privé diffus imposeraient une production conséquente de logement social étudiant. L’objectif théorique est de 4 400 logements étudiants pour 2017, mais de nombreux points de blocage freinent la production (compétence partagée, contraintes foncières et techniques, coût de gestion…). L’outil du PLU-H pourrait lever le frein du coût de la construction en agissant sur les règles de stationnement et sur l’inscription de « Secteur de mixité sociale » pour encourager une production de logement social étudiant. Mais il faut également prendre en compte les besoins de logement social familial. Les effets de concurrence entre publics demandeurs tempèrent le rythme de production.

D’autres pistes de solutions doivent être recherchées. Par exemple celles concernant les étudiants logés dans le parc privé (qui joue le rôle de parc social) : la Caution locative étudiante (CLE) portée par le Crous constitue un projet de gouvernement (testé à Bordeaux depuis plusieurs années et à Lyon depuis 2013) et devrait faciliter l’accès au logement aux étudiants.
Face à ces enjeux, comment encourager d’autres initiatives qui diversifient le produit logement étudiant, comme l’habitat intergénérationnel ou la colocation solidaire ?

 

Une mixité programmatique utile à tous

L’étudiant impulse de nouveaux rythmes qui touchent l’animation de la cité. Il influence l’évolution des pratiques vers davantage de mixité programmatique et de réversibilité des fonctions. Les pouvoirs publics locaux doivent être en mesure de proposer des politiques dédiées pour « fabriquer la ville universitaire de demain ».

Au-delà des périodes de vacances, l’organisation de l’année universitaire en deux semestres distincts implique des variations de mouvements et de flux étudiants en cours d’année. Le second semestre, qui correspond aux périodes de stages professionnels ou d’échanges avec l’étranger, modifie pratiques et temporalités quotidiennes. L’impact des rythmes universitaires se traduisent dans l’espace public par une perte d’animation urbaine, et une vacance des logements dans les résidences étudiantes.

L’évolution de la gestion de ces résidences et leur ouverture à d’autres publics est aujourd’hui un double enjeu de coût de fonctionnement des équipements et de vitalité des quartiers. Les retours d’expériences européennes montrent l’impact de ces réalisations sur les comportements collectifs, sur les rapports entre l’équipement, les fonctions et représentations sociales de la vie urbaine. La résidence du Collegi Major Sant Jordi à Barcelone, par exemple, dispose d’environ 215 places pour les étudiants et le corps professoral de l’université de Barcelone. Sa particularité ? Les chambres sont modulables selon les saisons : en période estivale, la résidence universitaire se reconvertit
en auberge de jeunesse, rentabilise la résidence, mais garantit aux étudiants de retrouver leur logement après une période d’absence. La résidence, qui affiche des prix attractifs, contribue toute l’année au maintien de l’animation urbaine et au développement du tourisme dans le quartier. Autre innovation : la mutualisation des équipements. Les étudiants et les habitants du quartier peuvent accéder depuis la rue aux équipements de la résidence : une piste sportive avec vestiaires (transformable en amphithéâtre de 400 places), une salle de conférence de 200 personnes (divisible en deux espaces), des salles de cours et d’informatique (louées pour des séminaires), un bar, une salle à manger avec cuisine, un garage à vélos, etc. S’appuyer sur l’empowerment des étudiants, favoriser leur engagement citoyen et solidaire est également possible. Le nombre d’associations étudiantes augmente chaque année. À Lyon, la forte représentation d’associations étudiantes (par exemple, Lyon Campus, une pépinière associative) est essentielle pour ouvrir le champ des activités et créer un univers interactif pour des étudiants- acteurs. Ainsi, toujours concernant l’habitat au-delà de l’objectif théorique de production de 4 400 logements étudiants pour 2017 et au-delà de la question du « toit » (limites des résidences services fonctionnant en vase clos), l’enjeu porte
sur la construction du « vivre ensemble » par la conception et l’intégration des résidences dans la ville. La mutualisation des équipements et la mixité programmatique des résidences étudiantes avec des services de proximité (maison de santé, MJC, locaux associatifs, crèches) favorisent le rapprochement, le lien social et l’engagement de l’étudiant dans la vie urbaine. Les projets innovants d’habitat intergénérationnel comme ceux du « Pari solidaire Lyon » et des « Kap’s » (Kolo’c à projets solidaires) portés par l’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) favorisent l’implication et la
solidarité des étudiants dans les quartiers. Cette participation de l’étudiant-citoyen à la vie urbaine lui permet d’acquérir des compétences utiles à son cursus universitaire. Ensuite, pour être plus proche du rythme de vie des étudiants, il faut développer des services consuméristes ajustés à des horaires
de plus grande amplitude, voir décalés (nocturnes) des équipements culturels et sportifs. Une offre d’activités pourrait cibler les jeunes adultes dans le fonctionnement des équipements comme les MJC qui semblent être surtout utilisées par les jeunes enfants et les personnes âgées. Autre sujet clef : la mobilité. L’obligation de salariat demande à l’étudiant d’être plus mobile. Ses pratiques sportives, culturelles et de loisirs spécifiques, qui se traduisent par une vie diurne et nocturne, peuvent le rendre très captif des transports en commun et des modes doux. Pour répondre à cet enjeu de mobilité de l’étudiant, l’agglomération lyonnaise a défini une stratégie de développement universitaire avec le SDU (Schéma de développement universitaire). Elle a mis en réseau différents sites universitaires, développé les lignes structurantes de transport en commun et les liens mode doux, et favorisé une localisation préférentielle du logement étudiant autour des arrêts et des sites.

 

Universitariser la ville

Le projet urbain, aux échelles du quartier, du campus, d’une opération d’aménagement ou d’un îlot, cherchera à concilier enjeux universitaires et enjeux territoriaux, dans les deux contextes de la périphérie et de la ville historique.

Comment urbaniser le campus situé en périphérie par l’ouverture sur la ville tout en intégrant ses propres éléments d’urbanité ? En créant des lignes de transport en commun et des liens urbains (mode doux + nature en ville + espace de proximité) ; en mutualisant les équipements sociaux, sportifs, culturels ; en recherchant la mixité programmatique dans les projets universitaires et en favorisant les évènements. Les campus de la Doua et de Porte des Alpes sont les plus représentatifs du projet urbain pour faire de ces campus des lieux de destination pour tous.

L’intégration des programmes universitaires dans la trame urbaine historique, levier de régénération urbaine, permettra aussi d’  universitariser la ville ». Par exemple, le campus Charles-Mérieux, et notamment le secteur de la Guillotière (dont le Schéma de développement universitaire, affiche son rôle de quartier de vie étudiante) pourrait être exemplaire. Il contribuerait à valoriser / préserver le patrimoine identitaire de « la Guille », lutter contre l’habitat indigne (opérations d’habitat social « évolutives » à la demande, partenariat innovant Crous-bailleurs, logements conventionnés pour étudiants via Opah…) et régénérer le tissu économique par des activités créatives (dont les rez-de-chaussée commerciaux dégradés).

C’est un fait nouveau : après avoir été éloigné dans des campus en périphérie, l’étudiant est aujourd’hui un acteur à part entière de la vie de la cité à qui il apporte une réelle plus-value. Il ne peut donc plus faire l’objet de politiques sectorielles. L’ensemble des politiques urbaines doit prendre en considération sa place et son rôle à tous les niveaux (habitat, déplacement, rayonnement…), tout comme l’université doit être reconnue comme un acteur essentiel, constitutif du territoire.

Villes et agglomérations sont les acteurs pertinents pour gérer les questions de logements étudiants, mobilité, stratégie territoriale liées aux projets universitaires, dans un dialogue constructif avec l’État, la région et les universités dont le Pres, Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (demain la Comue, Communauté d’universités et d’établissements). La gouvernance universitaire doit rassembler les acteurs et porter des partenariats de projets dont l’image la plus emblématique serait une Cité internationale universitaire à la lyonnaise.