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La tarification, un outil de solidarité ?

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Texte de Martine LONG

Méconnue dans ses fondements, la tarification des services publics locaux fait l’objet d’une attention pratique certaine. Le tarif est en effet un levier important et un élément déterminant d’accès au service.
Le choix du tarif n’est pas anodin. Hormis les secteurs pour lesquels la gratuité est imposée par un texte (Education, SDISS), les collectivités ont le choix de faire peser la charge d‘un service public sur le contribuable ou sur l’usager. Traditionnellement en France le principe de solidarité est incarné par l'impôt et par l'Etat qui demeure la figure de la solidarité. Pour autant, face à la montée des individualismes, à l’iniquité des impôts locaux et aux nécessités de trouver de nouvelles ressources, les logiques marchandes tendent à se généraliser. La figure de l'utilisateur /payeur se substitue à celle du contribuable/financeur.

Cette évolution n'est pas linéaire et s'accompagne d’une redéfinition des enjeux sociaux de la tarification. Ainsi, si jusqu’à une époque récente les modulations tarifaires ont été bâties autour de statuts spécifiques, le fait de bénéficier de certains minima sociaux donnant un droit d'accès à un tarif privilégié, les références aujourd’hui se sont affinées.
La volonté est ici de garantir l'accès de tous aux services publics locaux tout en mettant en place des grilles tarifaires plus justes. L’ambition sociale est présente même si les enjeux demeurent appréhendés dans une sphère donnée et ne font pas l'objet d'une analyse concentrique.

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Date : 01/03/2014

Alors même que le chantier de la réforme fiscale vient d‘être si ce n'est ouvert du moins annoncé, il n’est pas inintéressant de questionner les recettes tarifaires des collectivités territoriales. Un grand nombre de ces dernières s’est effectivement  lancé dans la  refonte de leur politique tarifaire en réaction à la crise économique. L’objectif est ici variable : rendre plus solidaire leur système de tarification (Angers), trouver de nouvelles ressources (Bergerac, Eybens), réfléchir à une gratuité ciblée (Rennes en matière culturelle) ou encore revenir sur cette dernière (Strasbourg en matière de transports publics). Pour les départements et les régions il peut s'agir d'harmoniser, par exemple, les tarifications applicables en matière de restauration scolaire (Région Ile de France), compétence dont ils ont héritée en application de la loi du 13 août 2004.

La construction des politiques tarifaires des collectivités territoriales s’est le plus souvent faite de façon empirique, service par service. Chaque service a son histoire, bien souvent son quotient et sa grille associée. Jusqu’à une époque récente il n'existait pas de vision transversale des différentes politiques, chaque élu référent imposant sa vision, sa logique gestionnaire. Dans les petites communes, bien souvent le tarif unique est de mise à des fins de simplification notamment en matière de restauration scolaire. Des sensibilités demeurent, la culture par exemple est plus ouverte, la tarification en fonction du domicile a tendance à être questionnée. Les politiques enfance / jeunesse sont dominées par les contrats passés avec la CAF qui limitent les possibilités de modulations tarifaires aux exigences imposées par cette dernière. Les CCAS sont également tenus par les décisions qui émanent des autorités de tarification que sont le Président du conseil général et l’Agence Régionale de Santé. Les choix tarifaires en matière de transport varient d’une volonté de préserver un certain volant de ressources (20 à 30% du budget) à une ambition plus globale, certaines villes ayant fait le choix de la gratuité et donc d’une mobilité ouverte (Châteauroux).

Méconnue dans ses fondements, la tarification des services publics locaux fait l’objet d’une attention pratique certaine. Le tarif est en effet un levier important et un élément déterminant d’accès au service.Le choix du tarif n’est pas anodin. Hormis les secteurs pour lesquels la gratuité est imposée par un texte (Education, SDISS), les collectivités ont le choix de faire peser la charge d‘un service public sur le contribuable ou sur l’usager.

Traditionnellement en France le principe de solidarité est incarné par l'impôt et par l'Etat qui demeure la figure de  la solidarité. Pour autant, face à la montée des individualismes, à l’iniquité des impôts locaux et aux nécessités de trouver de nouvelles ressources, les logiques marchandes tendent à se généraliser. La figure de l'utilisateur /payeur se substitue à celle du contribuable/financeur.

Cette évolution n'est pas linéaire et s'accompagne d’une redéfinition des enjeux sociaux de la tarification. Ainsi, si jusqu’à une époque récente les modulations tarifaires ont été bâties autour de statuts spécifiques, le fait de bénéficier de certains minima sociaux donnant un droit d'accès à un tarif privilégié, les références aujourd’hui se sont affinées.

La volonté est ici  de garantir l'accès de tous aux services publics locaux tout en mettant en place des grilles tarifaires plus justes. L’ambition sociale est présente même si les enjeux demeurent appréhendés dans une sphère donnée et ne font pas l'objet d'une analyse concentrique.

 

I - LE TARIF,  UN CORRECTIF A L’INÉQUITÉ DE LA FISCALITÉ LOCALE

 

Le transfert du financement d'un service public du contribuable vers l’usager n'est pas neutre, il présuppose un changement de logique et part du principe que certains besoins et infrastructures ne doivent pas être essentiellement financés par la solidarité au travers de l'impôt mais par les catégories d’usagers concernés. Cette évolution n'est pas neutre au regard des enjeux de solidarité.

 

A – UN MARQUEUR POLITIQUE FORT

 

D'un point de vue conceptuel les fondements de la tarification des services publics locaux se sont construits dans une stricte opposition avec ceux des services publics nationaux. Alors même qu'au niveau national le caractère unitaire de la notion de service public, alliant une conception organique et matérielle, a fondé une gestion en monopole, la gestion locale est quant à elle par définition plus morcelée. Ainsi, si le principe d'égalité a légitimé à l'échelon national l’adoption d'un prix uniforme au nom du principe d’égalité, le prix du timbre en étant une belle illustration, ce même principe d'égalité a amené à un positionnement strictement inverse en matière de services publics locaux.

Très rapidement en effet au lendemain de la décentralisation les élus locaux ont manifesté leur volonté de mettre en place un accès différencié aux services publics locaux. Cette politique a pris deux voies : une volonté de garantir un accès privilégié pour les résidents, avec une tarification en fonction du domicile. Un souci de prendre en compte les revenus des familles afin de mettre en place des grilles tarifaires adaptées et de garantir l'accès de tous au service.
Juridiquement d'ailleurs ces différenciations ont posé question. La tarification en fonction du domicile est questionnée au regard de son euro-compatibilité alors même que le Conseil d’État en matière de tarification sociale faisait à l'origine une distinction entre les services publics sociaux pour lesquels la tarification sociale était légitimée et les services publics culturels pour lesquels au regard de l'objet du service, aucune considération d'intérêt général ne justifiait cette différenciation.

La Haute juridiction a opéré un revirement de jurisprudence sous menace législative. L'article 147 de la loi du 29 juillet 1998 autorise en effet une tarification sociale pour tous les services publics administratifs facultatifs, sous réserve cependant que le tarif le plus élevé ne dépasse pas le coût de revient réel du service.
La mise en place d’une tarification sociale s'est ainsi généralisée dans les collectivités d’une certaine taille, le référentiel pris en compte étant généralement le seuil de revenus matérialisé par la feuille d'imposition ou encore le statut de l'usager. La mise en place d’une tarification sociale a été alors présentée comme un correctif de l’iniquité des impôts locaux qui ne prennent en compte qu’à la marge les revenus des familles.  

 

B -  UNE SYMBOLIQUE POLITIQUE FORTE

 

Si le tarif se présente comme une ressource résiduelle dans les budgets locaux, il constitue pour autant un marqueur fort pour les familles.

Les enjeux sont ici multiples, développer une politique vérité des prix, responsabiliser l'usager, garantir l'accès de tous au service, orienter les comportements vers un usage éco-responsable. Ils se doublent d'une volonté de garantir l'accès à certains droits et biens fondamentaux, derrière chaque service public se trouve en effet une logique de droits et libertés : liberté d'aller et venir, droit à l'eau, droit à des conditions de vie décente....
La réflexion engagée depuis quelques années sur les politiques tarifaires manifeste bien la volonté de préserver la cohésion sociale au travers d'un panier de droits accessibles à tous, appelé dans certaines collectivités bouclier familial.

Les politiques tarifaires récentes se caractérisent ainsi à la fois par leur diversité et la complexité des enjeux.
Le marqueur politique est également présent entre une logique de préservation de nouvelles ressources et une vision plus sociale en termes d'accès.

De nouveaux impératifs ont ainsi vu le jour avec l'intégration dans les grilles tarifaires d'une prise en compte des revenus réels qui transcende l'appartenance catégorielle. La volonté a été de développer une logique égalitaire au travers d'un précepte « à revenu égal, droits égaux », d’intégrer des situations nouvelles comme celles les travailleurs pauvres, des familles monoparentales, ou des personnes nouvellement touchées par le chômage en raison de la crise. De la même façon si pendant longtemps les grilles tarifaires ont favorisé mécaniquement uniquement les bas revenus, la refonte opérée amène à intégrer dans la problématique les classes moyennes.
La construction de grilles tarifaires n'est plus ainsi essentiellement mécanique mais participe d'une réflexion globale sur le vivre ensemble, la signification du tarif et la place du service public dans la cité.

 

II -  LA REFONTE DES GRILLES TARIFAIRES, UN OUTIL DE POLITIQUE PUBLIQUE

 

Le passage d'une tarification sociale à une tarification solidaire manifeste la volonté des élus locaux de mener une analyse fine autour de leur système de tarification. Si pendant longtemps les différenciations tarifaires ont obéi à des enjeux quasi mécaniques, les collectivités sont aujourd’hui attentives aux référentiels retenus.

 

A - A LA RECHERCHE DU JUSTE PRIX

 

Dans la pensée économique le juste prix est le prix du marché. Cette conception ne peut être appliquée pour les activités de service public. Si l'ère du tarif réglementé est révolue, la fixation de la grille tarifaire d'un service public obéit davantage à une logique administrative qu'à des considérations purement économiques. Certes, les services prospectives et d'analyse des coûts mis en place dans les grandes collectivités permettent aujourd’hui de faire une analyse poussée du coût de revient d'un service public. Pour autant par définition cette logique ne peut s’appliquer de façon stricte à l'acte de tarification d'un service public.

L’élément coût de revient permet cependant d'analyser l'impact financier d’une décision politique, toute refonte tarifaire se traduisant par un basculement du contribuable vers l’usager ou vis versa. Les référentiels sont ici intéressants, ainsi si personne ne remet en question la quasi gratuité des bibliothèques, la gratuité des musées pose davantage question. De la même façon la distinction service public administratif et service public industriel et commercial reste un marqueur important, doublé à l’échelon local par la règle de l’équilibre financier (art. L.2224-1 du CGCT). Le juste prix serait ici le prix acceptable pour chaque catégorie d'usagers. La recherche du juste prix demande ainsi une analyse approfondie à la fois du contexte local, des capacités contributives de la population locale et des enjeux en termes de cohésion sociale.

La volonté de mettre en place des grilles tarifaires davantage solidaires a amené à l’apparition de nouveaux référentiels. Ces derniers se présentent comme autant d'outils aux caractéristiques intrinsèques, certaines collectivités n'hésitent pas d’ailleurs à s'appuyer sur des logiques croisées afin de rechercher une plus grande justice sociale.

Si pendant longtemps l’élément pris en compte en terme de justificatif de ressources a été la feuille d'imposition, force est de constater que cette dernière ne traduit qu’imparfaitement la situation financière du bénéficiaire. Les revenus de transfert ne sont ainsi pas saisis, n'étant pas considérés comme des revenus imposables. Face à cette critique beaucoup de collectivités travaillent aujourd’hui sur le quotient familial CAF qui présente l'avantage de tenir compte de l'ensemble des revenus de la personne et de la composition familiale, quelle que soit la provenance des ressources. Cette évolution amène cependant les collectivités à retravailler ce quotient pour les personnes qui ne sont pas connues de la CAF, parce que non bénéficiaires d'une prestation de cette dernière (40% de la population d'un bassin de vie en moyenne). Un certain nombre de collectivités profite d’ailleurs de cette nécessité  de mettre en place un service spécifique pour retravailler les quotients accessibles sur le logiciel CAF-Pro, en combinant quotient familial et par exemple patrimoine des personnes.

Le taux d'effort est également un concept intéressant, il permet en effet, dans la limite d’un certain plafond, d'affecter d'un coefficient le coût d'un service public dans le budget familial. Plus les revenus sont élevés, plus le tarif le sera également avec un élément d'égalité qui est le pourcentage prélevé sur les ressources globales.
Ce mécanisme du taux d'effort est d’ailleurs bien souvent couplé à une approche par quotient. La ville d'Angers  par  exemple à l'occasion de la refonte de ses tarifs a mis en place un Quotient de Tarification Solidaire calculé sur les mêmes bases que le quotient familial de la CAF. Ce dernier se double pour certains services d'une analyse au regard du taux d'effort.

La logique du reste à vivre est également utilisée. Les logiques tarifaires ont été construites uniquement par référence aux revenus et non aux charges des familles. Il est cependant patent que le prix des loyers ou le coût de la vie n'est pas similaire en région parisienne et dans certains départements ruraux. Dans cette optique le reste à vivre vise à mettre en parallèle ressources et charges incompressibles d’une famille. Le bénéfice d'une tarification sociale sera ensuite appliqué au regard de ce reste à vivre.

La reconstruction des politiques tarifaires de la cité est une opération de longue haleine. Elle fait intervenir différentes variables qui ne sont pas toujours faciles à analyser. La variable sociale est un élément d'entrée qui ne doit pas occulter les autres dimensions de la politique tarifaire.

 

B - UNE VOLONTÉ DE SIMPLIFICATION DES PROCÉDURES

La refonte des grilles tarifaires s’accompagne dans beaucoup de collectivités d'une recherche de simplification pour les usagers. La solidarité va ici se manifester par une volonté de neutraliser le statut social de ce dernier et de facilitation des démarches.

La création de cartes vie quotidienne ou citoyenne participe de cette évolution. L’intérêt est ici que les identifiants de l'usager et ses caractéristiques sont inscrits une seule fois, ce qui lui donne accès à tout un panier de services sans devoir à chaque fois prouver son identité ou son revenu de référence. Les formalités nécessaires peuvent se faire directement sur internet avec achat d‘un certains nombre de points qui serviront ensuite à accéder aux différents services.

La ville de Vendôme a mis en place, par exemple, un tel système ainsi qu'un site internet de simulation tarifaire qui permet à chaque famille de connaître en temps réel le montant qui lui sera appliqué. La communauté des usagers n'est plus ainsi appréhendée catégorie par catégorie ou service par service mais bien dans son ensemble dans une logique de service au public. Pour autant cette communauté est réduite ici aux habitants, dans la mesure où le bénéfice d’une telle carte est conditionné à la résidence sur le territoire de la collectivité. La solidarité s’exerce ainsi entre les habitants au nom des charges de centralité que sont amenées à assumer certaines villes. Les non résidents devront ainsi payer plus cher pour une même prestation.

Des efforts demeurent à faire, les files d'attente au moment des inscriptions, les frustrations d’une inscription pour les premiers arrivés ou encore la difficulté à traiter les situations des familles séparées à qui l'on va demander de faire deux fois les formalités pour avoir accès à une même prestation sont des choses sur lesquelles ils convient de travailler. Pour autant, la ville de demain accessible, ouverte et soucieuse de ses habitants se dessine avec une carte qui permettra de payer l’ensemble des services et qui ne sera pas différenciée selon son statut social.

 

Conclusion

 

La politique tarifaire des collectivités territoriales fait l’objet aujourd’hui d’une réflexion stratégique. Il s’agit pour autant d’une réflexion spécifique à la France, une telle différenciation tarifaire étant inimaginable dans un grand nombre de pays de l’Union Européenne. Si la finalité sociale est certaine il est cependant dommage que cette ambition ne soit pas couplée avec une réflexion globale sur la pression fiscale exercée sur les classes moyennes.

La question du juste prix ou du prix acceptable sera très certainement la prochaine étape des travaux menés au risque de bloquer l’accès à un certain nombre de services publics à des familles qui travaillent et qui sont dans l’entre deux, pas assez pauvres pour bénéficier de quotients qui restent relativement bas et pas assez riches pour pouvoir faire face à toutes les dépenses sans compter.