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La possibilité d'un rite civil

Illustration représentant une forêt d'arbres morts

Texte d'Anne FORNEROD

Le principe d’un rituel funéraire permet de marquer le passage des défunts de la communauté des vivants à un au-delà à définir. L’appréhension de la mort et des rites qui l’entourent constitue historiquement l’apanage des grandes traditions religieuses.

Dans un contexte contemporain caractérisé par une importante sécularisation et une recomposition des appartenances religieuses, la question se pose du temps et de l’espace rituels d’accompagnement du décès. À cela s’ajoute un renouvellement profond des attitudes face à la mort, dont l’essor considérable du choix de la crémation pourrait être une illustration significative.

→ Texte écrit pour la revue M3 n°6 pour le dossier « La place des morts ».

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Date : 01/12/2013

La nécessité ressentie de marquer ce passage de la vie à la mort n’a pas disparu, même en situation de retrait — relatif — des formes religieuses classiques. Les pouvoirs publics ont-ils dès lors vocation à intervenir et à se substituer aux organisations religieuses lorsque celles-ci ne répondent plus aux attentes des personnes concernées ? En quoi les rites funéraires se distingueraient-ils d’autres étapes de la vie sociale impliquant les autorités civiles, telles que la naissance — avec le baptême civil — ou le mariage et le divorce ? La légitimité et le contenu d’une telle intervention posent question, dans une sphère toujours largement imprégnée, du moins symboliquement, des propositions religieuses, mais dont émanent des attentes nouvelles, qui s’affranchissent précisément de ces propositions. Ces sujets peuvent être abordés d’un double point de vue : celui du rôle de l’État dans l’encadrement de la réception sociétale de la mort et celui de son positionnement sur un terrain qui demeure malgré tout associé aux rites religieux.

 

Quelle légitimité ?

Une tendance contemporaine est à l’appropriation de la mort par les individus et à sa privatisation, loin des regards. Pourtant, l’évolution des modes de vie et des conditions du décès maintiennent la mort comme une question de société qui pourrait légitimer une intervention des pouvoirs publics. « La mort est une vieille compagne pour le droit », nous dit le juriste Norbert Rouland. Si le droit a vocation à régir la vie en société des vivants, son rôle ne s’arrête pas lorsque la vie disparaît, que l’on pense à la législation sur les successions, au refus de l’euthanasie mais également, à la gestion des cimetières. Pour autant, toute intervention des pouvoirs publics dans un domaine où la présence du religieux est centrale pose la question de sa légitimité dans une République laïque. D’autant plus que le sens donné au passage de la vie à la mort échappe a priori à l’État, qui est areligieux, conférant toute sa spécificité à l’idée d’un rite civil.

Selon une conception de la laïcité qui met en avant la neutralité idéologique, la libre expression des convictions religieuses doit être favorisée. Le rôle des pouvoirs publics, par hypothèse, ne résiderait pas tant dans la proposition à l’égard du rite funéraire que dans le fait de donner la possibilité aux individus de créer ce contenu, dans le respect de leurs croyances ou précisément, de l’absence de croyances. Leur rôle se limiterait à la vigilance nécessaire quant aux conséquences sur l’ordre public de la célébration des rites, quels qu’ils soient. Mais si la laïcité correspond à un principe juridique de régulation des relations entre l’État et les cultes, elle coïncide aussi avec un réceptacle de valeurs. La laïcité n’est pas toujours simple abstention, page blanche à l’égard du religieux, mais fait contenu,véhicule une certaine conception du rapport au religieux. Les funérailles représentent un enjeu social : la gestion délicate des « carrés confessionnels » dans les cimetières publics nous le rappelle. Elle vise notamment à favoriser l’intégration des défunts — et de leur famille — au terme d’un parcours d’immigration. Sans être interventionniste quant aux contenus doctrinaux des religions, la législation qui en découle rejaillit sur la manière dont les défunts et leur famille entendent régler leurs funérailles. Plus largement, on peut lire dans certains dispositifs législatifs une volonté de dépasser la logique des considérations d’hygiène. Des textes punissent l’atteinte à l’intégrité d’un cadavre, la violation ou la profanation de tombeaux, de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts, ou traitent du statut des cendres. La loi de 1887 relative à la liberté des funérailles, qui permettait un enterrement civil et ouvrait la voie à la crémation, pouvait aussi être interprétée comme une certaine façon de poser les bases d’un rituel civil. Mais à l’époque, il ne s’agissait pas tant de dessiner les contours d’un rituel civil que de permettre une émancipation républicaine à l’égard des rites religieux.

 

Au delà de l’opposition religieux / profane

Aujourd’hui, des propositions en la matière existent, qui s’appuient sur des constantes ou des invariants communs à la majeure partie des formes de ritualité funéraire, reflétant des emprunts à un fonds commun en réponse à des besoins anthropologiques universels. Guidées par un certain pragmatisme, ces expériences contribuent à une réflexion sur le rôle fondamental des rites funéraires, qui visent à mettre à distance les angoisses profondes et universelles que la mort fait surgir. La question n’est alors plus tant de choisir entre religieux et profane que de trouver les formes rituelles qui répondent au mieux au double enjeu de l’individualisation des croyances et des changements intervenus dans l’appréhension de la mort.