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L'inclassable Naples

Naples
Naples© Istockphoto

Texte d'Adelina Miranda

Article réalisé pour la revue M3 n°3.

Au carrefour de la Méditerranée et de l’Europe, Naples est une ville où le mélange des cultures, la cohabitation de couches sociales et la coexistence des inégalités économiques se confondent dans une identité locale forte. Ville frontière de la zone euro-méditerranéenne, ses dynamiques économiques interrogent les dialectiques des villes globales ; elle garde son âme plébéienne et elle regarde le monde à travers son port. Son histoire montre comment les configurations urbaines se redéfinissent continuellement.
Date : 01/10/2012

Un modèle méditerranéen du chômage
La croissance de Naples a été ordonnée par de nombreuses interventions royales, de l’Église catholique et de la noblesse. L’entremise de ces institutions sur la ville a déterminé une forte congestion du tissu urbain, déjà à partir du XVIIe siècle. À cette époque, Naples rayonnait en Europe pour sa dimension démographique, son rôle politique, sa position administrative. Mais Naples ne s’est jamais transformée en une grande métropole au sens « moderne ». Le développement de l’industrie a été soutenu par une politique d’intervention qui avait l’objectif de résoudre les problèmes découlant de la « questione méridionale ». Ainsi, au cours des années 1960, la « capitale nationale du chômage » a été la troisième ville industrielle de l’Italie. Après la crise des années 1970, l’économie napolitaine s’est diversifiée grâce au développement d’une industrie de pointe et la progressive consolidation du secteur tertiaire, notamment le tourisme. Mais, malgré cette situation économique, le chômage est un élément structurel du marché de l’emploi napolitain : son taux dépasse 30 % de la population active et il concerne notamment les jeunes et les femmes. Ce « modèle méditerranéen du chômage » intéresse les chômeurs expulsés du secteur agricole, ceux qui ont été exclus du cycle industriel et ceux qui n’ont jamais connu un emploi régulier et qui sont liés à une économie urbaine dite de subsistance (« l’economia del vicolo »). Par ailleurs, dans la région de Naples, on a dénombré presque 70 000 immigrés, dont presque la moitié est représentée par des femmes. La présence des étrangers est associée à différents secteurs économiques : les immigrés Nord-Africains sont employés dans l’agriculture, la vente ambulante et le tertiaire non qualifié ; les Ukrainiennes et les Polonaises notamment dans le secteur domestique ; les Chinois et les Skrilankais exercent dans le commerce et la production textile. Malgré sa situation sociale précaire, l’espace napolitain a connu un processus d’urbanisation important au cours du XXe siècle. La région de Naples compte actuellement plus de trois millions d’habitants, dont presque 1 million vit dans la ville : il s’agit de l’agglomération la plus importante du Mezzogiorno, la troisième au niveau national. La densification du tissu a été la conséquence tant des constructions de logement de la part des particuliers que des interventions de l’État. Le 23 novembre 1980, Naples et sa banlieue ont été frappées d’un tremblement de terre qui a détruit de nombreuses communes de la Campanie et de la Lucanie. Suite à ces catastrophes, environ vingt mille nouveaux logements ont été bâtis dans la banlieue de Naples. L’expansion urbaine, souvent sous l’emprise de la Camorra et de la collusion de cette organisation criminelle avec la sphère politique, s’est structurée selon un modèle polycentrique.

Une croissance urbaine continue
Naples se situe au centre d’une région gravitant autour d’autres villes chefs-lieux de département (Avellino, Salerno et Caserte). Le centre, densément habité, fait partie d’une circonscription incluant des villes historiques (comme Pompéi), des centres de renommée touristique internationale (comme Sorrente et Capri) et un « parc naturel urbanisé », autour du Vésuve. Malgré le risque d’éruption constamment évoqué, la spéculation immobilière a fortement transformé l’organisation de l’espace : depuis les années 1970, le parc immobilier de la périphérie continue d’augmenter de 5 % chaque année. Les connexions entre le centre-ville et sa banlieue n’ont pas été prises en compte lors du lancement du projet de renouveau de Naples. Au cours des années 1980, il s’est mis en place un programme de « marketing urbain ». Avec l’arrivée à la municipalité d’une coalition du centre-gauche, l’action politique a essayé d’améliorer une image « culturelle » de la ville. Depuis 1995, le « Centro storico » est classé Patrimoine mondial de l’Unesco et il est devenu l’objet de nombreuses interventions urbaines. Le projet d’attirer le tourisme en valorisant le patrimoine architectural et naturel aurait dû modifier l’image que les habitants ont de leur propre ville et parvenir à une sorte de réappropriation symbolique du centre urbain. Mais ce processus de gentrification ne s’est jamais vraiment réalisé. La représentation de Naples continue à osciller entre les pôles du charme méditerranéen et du laisser aller, comme la crise des ordures l’a montré. Les formes de participation de Naples aux processus d’internationalisation de l’économie et de laculture posent de nombreuses questions. Naples est toujours prolongée dans la Méditerranée mais, avec le temps, elle s’est redéployée dans l’espace régional, national et international, prise dans la mobilité de capitaux, biens, marchandises et hommes et femmes qui suit tant une logique formelle qu’informelle, voire criminelle. Et c’est au travers de la coexistence de ces tendances apparemment contradictoires que Naples – comme d’autres villes internationales – continue à jouer un rôle spécifique dans la création de la nouvelle géographie urbaine planétaire.