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Identités urbaines et communauté urbaine - 2 - Promotion des identités, pièges de l'identité

Texte de Jean-Marie Auzias

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Date : 01/01/2001

Assez parlé du collectif Millénaire 3. Parlons des débats.

Avec le changement de municipalité, on sentait venir un problème sérieux. De  même qu'on ne détruit pas une ville à chaque mutation de pouvoir, de même on n'allait pas dissoudre les citoyens qui, plus de mille, avaient bénévolement  contribué à l'élaboration des projets pour le siècle à venir, même si ces projets  ne reflétaient pas une vision prophétique de l'avenir de la Courly.

Gérard Collomb n'a pas raté le tournant. Plût aux dieux de la cité qu'il eût pratiqué la même sagesse politique dans le domaine culturel. Monsieur not'maire, donc, vient de prononcer à New York où Jean-Michel Daclin l'accompagnait, à l'ONU, un discours dans lequel il retraçait l'expérience passée et dessinait  les projets qu'elle avait proposés. C'était le reflet des travaux de ce groupe  devenu entre-temps Conseil de développement de la Communauté urbaine. Tellement  qu'on aurait cru que Gérard Collomb y avait participé.

N'empêche ! Le trio Collomb-Moulinier-Daclin a donné une impulsion nouvelle aux travaux, démontrant aux participants qu'ils étaient entendus. Vous ne me verrez pas souvent aussi approbateur. C'est que j'avais eu peur qu'un petit groupe, autour du nouveau pouvoir, ne prît une autre direction et biffât d'un coup de tampon le travail entrepris depuis des années. Non, nous voici reconnus.
Bien. Naturellement le Conseil de développement n'est pas un organisme proprement  politique. Il n'est pas élu. C'est un peu, en plus étendu, une reprise de l'idée  qui présidait, il y a vingt-cinq ans environ, aux groupes d'action municipale (Gam) qui, dans certaines villes, préparèrent le tournant des années quatre-vingt.  Néanmoins, ce conseil consultatif est riche de débats et d'enseignements.
Car, naturellement, les questions urbaines mettent en cause, en dehors des problèmes économiques et gestionnaires, des attitudes sociales et sociologiques, culturelles et anthropologiques, scientifiques et épistémologiques, éducatives  et pédagogiques, des histoires, des traditions, des manifestations, des loisirs,  etc. pas toujours compatibles. Au fond, l'idée qui conduisait les débats - à  quoi la tribune veillait - c'était avant tout l'idée républicaine. Les problèmes  de niveau de société, de culture, de pouvoir économique, d'identités ethno-culturelles  et linguistiques furent versés dans ce creuset qui souligne l'emploi du terme  de citoyen, nom devenu curieusement adjectif. Par exemple, on s'apercevait très vite que les responsables de quartiers comme Michel Chevreton liaient les questions de la convivence à celles de la culture.

Un responsable de maison pour tous comme Marc Colin, avec son projet de faire  connaître les cultures du monde à la Maison pour tous du Vieux-Lyon, reliait  à la fois la pédagogie du citoyen et la connaissance des cultures. Par là, consciemment  ou non, s'élaborait un mode de promotion des cultures et des identités qui marquait  nettement sa volonté de ne pas céder aux pièges de l'identité.

Il n'est pas évident que toutes les formes de cultures soient acceptables pour vivre "en citoyen" dans un ensemble urbain. Un simple recours à la philosophie la plus vulgarisée, celle de Bergson (1) permet de s'accorder sur un axe anti-intégriste (car tout intégrisme comporte en lui un risque d'intolérance et de terrorisme contradictoire avec une participation citoyenne). Bergson établit que, s'agissant  de morale et/ou de religion, le critère le plus sûr, c'est celui de l'ouvert et du fermé.

J'aurais aimé que tous ceux qui, dans notre ensemble urbain, promeuvent leur  identité soient prêts à mettre en pratique cette orientation vers l'ouverture.  Ayant quelque peu étudié les cultures du monde, je me suis aperçu que la plupart du temps, beaucoup de ceux qui luttent pour leur identité culturelle se contentent de la proclamer sans en connaître le contenu. Ils s'en remettent alors à des
clercs comme dit Régis Debray, qui sont soit les intellectuels censés être les réservoirs de la culture, soit les religieux réservoirs de la culture et de la morale. La tentation est quasi insurmontable alors de substituer l'observance  rituelle à l'esprit de générosité qui fut celui des fondateurs. En ce domaine,  plus on se réfère à des pratiques de purification et plus on contribue à se  séparer d'une communauté réputée porteuse de souillure. Et plus, désormais la  Cité est confrontée à des demandes de promotion identitaires qu'elle doit refuser de cautionner.

(1) Cf. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion. Presses Universitaires de France.