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François ROBERT & Loïc BONNEVAL - Le contrôle des loyers est-il contre-productif ?

Loïc Bonneval, François Robert
© DR

Texte de François ROBERT et Loïc BONNEVAL

Texte écrit pour la revue M3 n°6, décembre 2013

Atteinte au droit de propriété, blocage de la mobilité, chute de l’investissement et finalement crise aggravée du logement : rien n’est trop fort pour dénoncer les effets pervers d’un éventuel encadrement des loyers. L’argumentaire est bien huilé, aussi vieux (plus d’un siècle !) que discutable.
Date : 01/12/2013

Le projet de loi sur l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a relancé le débat sur le contrôle des loyers et réactivé les oppositions sur la manière de résorber la crise du logement dans les grandes agglomérations. Il ne s’agit pas d’un gel des loyers mais d’une disposition destinée à limiter les excès. Le montant des loyers ne pourra pas excéder de 20 % la médiane dans une zone donnée. Cette loi vise à combattre la crise du logement aggravée, par la crise économique qui se traduit, entre autres choses, par une baisse du pouvoir d’achat des ménages. La part croissante des dépenses locatives dans les budgets des ménages devient intenable pour les catégories les plus défavorisées, et même pour une bonne partie des classes moyennes. Ce retour récent de l’encadrement des loyers dans l’agenda politique a notamment été défendu par le milieu associatif. La fondation Abbé Pierre l’avait inscrit dans ses propositions pour lutter contre le mal-logement, avec l’idée que l’action en faveur des plus démunis passe par une régulation de l’ensemble du marché.

 

Construire, encore et toujours

La défense de cette mesure repose sur un diagnostic complet de la crise actuelle, qui résulte moins d’une pénurie globale de logements que de tensions localisées, particulièrement criantes en Île-de-France et dans les grandes agglomérations. Elles se caractérisent par des difficultés à trouver un logement et par des niveaux de prix et de loyers très élevés. Il existe un assez large consensus pour affirmer que la réponse passe par un effort de construction, sachant que l’objectif gouvernemental de 500 000 logements par an (dont 150 000 logements sociaux) se discute. Néanmoins, ce défi déjà considérable, même s’il était tenu et ciblé sur du logement abordable en zone tendue, ne garantirait ni la baisse des prix et des loyers ni la fluidification de la chaîne du logement. Construire en zone tendue augmente les prix du foncier et en retour, ceux de l’immobilier. L’offre neuve est toujours minoritaire par rapport aux logements existants qui se libèrent chaque année : l’ajustement entre l’offre et la demande se joue en grande partie dans le parc existant.
Le phénomène n’est pas nouveau : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Insee, en la personne d’Alfred Sauvy, estimait déjà que le cœur de la crise résidait moins dans la pénurie de logements que dans une mauvaise adéquation entre la taille des logements et celle des ménages. Bien plus, les prix pratiqués dans l’existant guident ceux du neuf. Promouvoir ou maintenir, lorsqu’il subsiste, un parc locatif bon marché et bien situé représente un enjeu majeur pour l’accès à la ville des ménages modestes et pour le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne du logement. Cela justifie l’idée d’une régulation des marchés locatifs par le biais d’un encadrement des loyers. Le projet de loi Alur y ajoute une garantie contre les impayés (garantie universelle des loyers, GUL), qui s’inscrit dans la même philosophie. En réduisant le risque d’impayé pour le propriétaire bailleur, ce dispositif facilite la location à des ménages moins aisés et rend les demandes de caution et de garantie moins contraignantes pour les locataires. Comme l’encadrement des loyers, la GUL se présente comme un moyen de desserrer les contraintes de marché pesant sur les locataires.

 

La raison du propriétaire et celle du locataire

À cette lecture s’oppose une vision très négative du contrôle des loyers. Historiquement, cette critique s’est forgée dans l’entre-deux-guerres. Elle émane d’abord des propriétaires eux-mêmes qui, dès le moratoire sur les loyers de 1914, ont dénoncé l’atteinte faite au droit de propriété. Leurs préoccupations se portaient aussi bien sur la diminution du revenu locatif que sur la difficulté de se défaire d’un locataire et de disposer librement de leur bien. Un tel discours se retrouve encore fréquemment au sein des associations de défense des propriétaires. Il s’est doublé à partir des années 1930 d’une critique plus experte, étayée par des raisonnements économiques, sur les effets pervers de l’encadrement. L’affaiblissement de la rentabilité découragerait l’investissement et provoquerait, par contrecoup, une crise de la construction. La perte de revenus locatifs se répercuterait sur l’entretien des logements, qui tendraient à se dégrader, et les avantages procurés aux locataires en place offriraient des rentes de situation. Cela se traduirait soit par un blocage de la mobilité, les locataires restant indéfiniment dans le logement même quand il ne leur convient plus, soit par des reprises de bail, les locataires cédant leur bail à un autre ménage au moment de déménager, de façon informelle et contre rétribution. Les effets seraient donc contreproductifs et à l’opposé des objectifs visés par le régulateur. Ces arguments ont acquis la force de l’évidence, au point que l’on répète souvent, dans les débats sur la question, l’expression attribuée à divers auteurs, selon laquelle le contrôle des loyers est aussi efficace qu’un bombardement pour détruire une ville. Même les expériences étrangères, dont les résultats sont pour le moins divers, tendent à être présentées uniquement sous un angle critique.

 

Le paradoxe de la rentabilité

Pourtant, chacun de ces effets pervers peut être discuté et remis en perspective. Une recherche sur l’histoire de l’immeuble de rapport a montré que les taux de rentabilité étaient restés assez élevés en période de contrôle des loyers. De la même façon, on peut revoir l’argument selon lequel une réglementation des loyers conduirait les propriétaires bailleurs à sortir leurs logements de la location et à les revendre. Ce phénomène aurait déjà dû se produire puisque ces dernières années, les prix ont augmenté plus vite que les loyers, rendant la recherche de plus-value plus intéressante que la mise en location. Et pourtant, c’est le niveau des prix et non le contrôle des loyers qui a entamé la rentabilité sur la période récente. Par ailleurs, si les ventes étaient massives, elles conduiraient à une baisse des prix qui limiterait l’intérêt de l’opération. La rentabilité elle-même tient un rôle paradoxal. Là où la demande est forte, une bonne rentabilité ne stimule pas automatiquement l’investissement. Le phénomène est bien connu pour les « marchands de sommeil » ou encore pour les taudis du XIXe siècle. Ils fournissent au propriétaire un revenu important, surtout rapporté au prix de l’immeuble, qui rend la rénovation économiquement peu intéressante et ralentit la résorption de l’habitat insalubre. On a observé un processus assez proche dans les immeubles de moyenne et haute gamme : lorsque les loyers sont repartis à la hausse après la loi de 1948 et surtout, à partir du milieu des années 1950, les rendements nets ont dépassé ceux du XIXe siècle sans pour autant provoquer de dynamique d’entretien ni de rénovation. Le cercle vertueux « rentabilité, investissement, qualité de l’offre de logement » est donc loin de s’enclencher systématiquement.

 

Impossible transparence

Mesurer l’ampleur de chacun de ces effets nécessite des instruments d’observation qui font actuellement défaut. Une connaissance approfondie des niveaux de loyer (en stock et en flux) mais aussi de la mobilité des locataires et des pratiques et choix d’investissement des propriétaires est nécessaire pour cibler au mieux une politique de régulation des marchés du logement. La possibilité de discuter le dispositif actuel est aussi limitée par ces lacunes. Il prévoit par exemple que les loyers ne pourront pas excéder le loyer médian majoré de 20 %. Le territoire pris en compte et le mode de calcul de la médiane (pour l’instant, il y a plusieurs catégories selon le nombre de pièces) auront tous des répercussions sur l’efficacité de la loi. Il importerait de pouvoir les évaluer et d’analyser leurs effets. L’observation, portée localement par les agences départementales d’information sur le logement (Adil), mais aussi par d’autres instances comme l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap) ou les agences d’urbanisme, et qui pourrait donner lieu à une implication du monde de la recherche, est donc un volet important de la loi.
L’accès aux données en particulier relative au marché et au peuplement du parc, est un enjeu apparemment technique, mais très important pour le devenir des politiques du logement. Sur la connaissance des prix de logement, des progrès ont été réalisés ces dernières années avec le développement des bases notariales, ou sont en cours, avec les DVF (demandes de valeurs foncières, transmises par l’administration fiscale aux collectivités locales). Mais l’information reste lacunaire sur les loyers. Les bases émanant des professionnels de l’immobilier ont pris de l’importance, comme celle de la Fnaim pour les prix ou de l’observatoire Clameur (Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux) pour les loyers. Ces bases de données sont régulièrement critiquées pour leur manque de transparence (traçabilité des données, méthode d’agrégat) et pour leur usage à des fins de communication. Dans son ensemble, le marché reste largement opaque. Dans cette perspective, l’instauration d’observatoires des loyers prévue par la loi apparaît comme le premier pas en vue d’une régulation des marchés du logement. Au-delà du dispositif lui-même, la transparence est un moyen d’éviter que les loyers excessifs ne deviennent des loyers de référence, ce qui a été depuis plusieurs années un des moteurs de la hausse. Les récentes péripéties liées à la mise en place de ces observatoires, en particulier le retrait d’organisations représentant les professions immobilières, ne doivent pas faire oublier qu’une plus grande transparence sur les marchés du logement va dans le sens de l’intérêt commun.