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De l'individu libre et autonome : retour sur un grand mythe contemporain

Article

Résumé de la conférence de Bernard Lahire du 14 février 2008.
Date : 14/02/2008

L’individualisme et l’autonomie, ces conquêtes de l’homme moderne ont déjà une très longue histoire. A travers ce cycle de conférences-débats, le Conseil de développement du Grand Lyon et l’ENS LSH vous invitent à réfléchir sur les modalités du vivre ensemble dans une société d’individus. Le parcours proposé combine 3 questions :
● Quelles sont les formes actuelles de l’individualisme ?
● Les ressources mobilisées par les individus pour agir sur la société doivent-elles confortées ?
● Comment l’acteur public peut-il se saisir de ces évolutions pour concevoir le tissage du collectif aujourd’hui ?Nous avons souhaité vous offrir, à la suite de chaque conférence, une synthèse sous forme de vade-mecum où vous retrouverez la teneur de l’exposé, afin de tisser avec vous un lien tout au long du cycle.

LA CONFÉRENCE

1. La "montée de l'individualisme" : réalité ou mythe ?
Au nom de l’individualisme, on parle souvent du déclin des institutions (famille, école...) en affirmant que les collectifs (groupes, classes, communautés...) ne rendent plus compte des comportements individuels. Ces analyses sont-elles scientifiquement étayées ? Relèvent-elles de discours idéologiques ? Les hiérarchies culturelles, les inégalités sociales d'accès à la culture, les institutions familiales, scolaires et culturelles et leur travail de socialisation disparaissent-elles avec les groupes, classes et leurs cultures ?
2. Individu/société : sortir des oppositions rigides
Pour Galland et Dubet, avec la montée de l'individualisme et le déclin des institutions, le monde serait de moins en moins déterministe. Mais le déterminisme sociologique met en lumière ce qui conduit les individus à opérer des choix différenciés. Le "choix" individuel s'explique par les expériences socialisatrices passées des individus comme par les conditions présentes de leurs actions : parler de "libre-arbitre", c'est abdiquer toute ambition explicative. Le monde n’est pas moins socialisateur aujourd'hui qu'il le fut hier : les cadres de la socialisation se transforment.

3. Les conditions sociales de production d'une individualisation
Selon Norbert Elias, le sentiment d'être un individu original, doté d’un "for intérieur", s’enracine dans les effets d'une division du travail de plus en plus poussée. L'adulte consacre une grande partie de son temps à un travail spécialisé : il inhibe ainsi de nombreuses inclinations et dispositions « générales  » constituées dès l'enfance. Les individus se sentent étrangers au monde social, étouffés en tant qu'être singulier.

4. Les luttes pour exister comme individu singulier et autonome
La publicité télévisée est un hymne permanent à la singularité individuelle : "J'aime être différent. C'est agréable d'être différent. Body smarts c'est différent. Être différent, c'est bien."4 Mais comment se distinguer alors que des millions de consommateurs auront fait le même choix que soi ?

5. La pédagogie de l’autonomie
Alors que certains sociologues soulignent la "montée de l'individualisme", l'école peine à sortir de la pédagogie collective mise au point au XVIIe siècle, pour passer à une pédagogie différenciée qui tienne compte du niveau de performance de chaque élève, et essaye de considérer les enfants comme autonomes. La pédagogie frontale (maître face aux élèves) a été inventée pour instruire des groupes, non des individus.

 

ÉCHO DES DÉBATS
Il faut mettre à distance les enjeux politiques et idéologiques qui se déploient au sein du discours sociologique pour étudier les interdépendances individus/société.
Certains sociologues décrivent leur monde social idéal, un ensemble d’individus atomisés, sapant du même coup la légitimité des revendications collectives.
Les effets de tyrannie de la majorité chez les jeunes sont extrêmement forts, véhiculés par le marché, le cinéma et la culture «jeune ». Peut-on être un « vrai jeune » en disant qu'on aime le jazz ou la musique classique ?
Durkheim et Weber montrent que nos sociétés, en s'étendant, s’organisent en microcosmes à l’intérieur du macrocosme. Affirmer cette pluralité d’espaces sociaux ne doit pas mener à minimiser les grandes fractures de l’espace social.