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Controverse / Quels attendus à l’égard de l’individu : assistanat ou contrepartie ?

Étude

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Date : 30/03/2012

Faut-il exiger une contrepartie des personnes qui bénéficient d’une allocation chômage ou du RSA ?

Posée clairement au printemps 2011 par Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes, qui proposait alors que le Revenu de Solidarité Active – RSA soit assujetti à une contrepartie de cinq heures de service social, cette question a de nouveau été évoquée durant l’hiver 2011/2012 et ce, directement par le Président de la République, candidat à sa réélection. L'idée est appliquée aux Etats-Unis depuis le début des années 1990, et est souvent appelée workfare, contraction de work for your welfare (travaillez pour votre aide sociale). L'aide sociale reçue par les personnes en situation de pauvreté n’est alors pas considérée dans une logique d’aide ou de solidarité, mais comme un prêt que les bénéficiaires remboursent par leur travail bénévole. Cette question, récurrente dans le débat politique, notamment depuis le XVIIIe siècle et ce aussi bien en Europe qu’en Amérique, suscite systématiquement de vives réactions qui révèlent de profondes divergences de points de vue.
Assujettir une contrepartie à l’aide attribuée est, pour les uns, une question de respect de la dignité des individus et d’efficacité pour la société et, pour les autres, une véritable double peine.
Ces positions s’appuient chacune sur une considération totalement opposée de la personne sans emploi et/ou pauvre : est-elle la victime d’un système qui ne sait pas garantir un emploi à chacun ou bien le profiteur d’un système qui permet aux gens de vivre sans travailler, d’être des assistés ?
En fait, il semble que le débat soit particulièrement fort dans les périodes de crise où la peur du déclassement affecte particulièrement les classes moyennes qui partagent par ailleurs le sentiment de « payer » pour tout le monde, d’être les boucs émissaires d’un système en faillite. Cette peur est exacerbée par les discours ou prises de décisions « populistes » qui renforcent les sentiments d’insécurité et d’inquiétudes face à un avenir incertain et conduisent à opposer les individus d’une même communauté, d’une même nation, les uns contre les autres.
Dans un entretien de la « Vie des idées » sur le thème « Pauvreté et solidarité » publié en 2008, Serge Paugam décrit l’évolution considérable du regard que porte la société sur ses pauvres, ces derniers passant en vingt ans, d’un statut de « victimes » à celui de « responsables de leur défaillance » : « Au moment du vote de la loi sur le RMI (1988), l’idée partagée était que la société française avait une dette à l’égard des plus défavorisés ; c’était la dette de la nation à l’égard des plus pauvres. Aujourd'hui, on a le sentiment que cette explication de la pauvreté par l’injustice a considérablement régressé dans notre pays, au profit d’une autre explication qui serait l’explication par le fait de ne pas être suffisamment courageux, de ne pas être suffisamment responsable de soi, de ne pas être suffisamment mobilisé dans la recherche d’emploi. En quelque sorte, il y aurait l’idée que les pauvres ne seraient plus les victimes du système mais seraient en quelque sorte des victimes d’elles-mêmes, c’est-à-dire de leur propre incompétence et de leur propre irresponsabilité ».

 

Une majorité de Français pour une contrepartie au RSA

65 % des personnes interrogées, toutes tendances confondues, estiment qu'il faut «plafonner le cumul de tous les minima sociaux à 75 % du smic». La proposition recueille l'adhésion de 83 % des sympathisants de l'UMP, mais 55 % de ceux du PS l'approuvent également, ainsi que 74 % de ceux de l'extrême gauche. Un vrai plébiscite, qui transcende largement les clivages partisans. Seuls les électeurs écolos se distinguent des autres : 54 % sont contre la mesure.
67 % des sondés souhaitent que soient imposées des contreparties aux bénéficiaires du RSA. Seuls les sympathisants d'Europe Écologie-Les Verts y sont majoritairement hostiles, à 62 %. 51 % des électeurs du PS et 66 % de ceux de l'extrême gauche sont d'accord sur le principe.

 

« Sondage OpinionWay pour Le Figaro » 12 mai 2011

 

Dans une interview réalisée par Josée Pochat en juillet 2010 et publiée dans Dossier d'actualité de Valeurs actuelles, Michel Godet, économiste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, précise les raisons et l’intérêt de la mise en place de contreparties pour lutter contre l’assistanat. « Les politiques n’ont jamais eu le courage d’accorder une aide en exigeant une contrepartie d’activité. Ce devrait pourtant être une règle d’or : pas de revenu sans contrepartie d’activité. C’est une question de dignité pour les individus et d’efficacité pour la société. » Pour Michel Godet, il est essentiel d’aider les gens à s’en sortir en les mettant en situation d’emploi et non pas en les maintenant dans l’assistance, ce qui, pour lui, revient à les condamner à y rester. Il met en évidence les tensions qui apparaissent sur le terrain entre ceux qui pensent qu’il faut partir du soutien social par les aides pour accompagner les individus vers l’économique, et ceux qui croient au contraire, comme lui, que l’insertion se fait grâce à l’économique. « L’argent sert à entretenir la réparation plutôt qu’à faire de la prévention en s’attaquant aux vraies causes de l’exclusion.» Michel Godet en appelle à la responsabilité des personnes et notamment des pères qui n’assument pas leur devoir d’éducation : « Face à toutes ces femmes qui élèvent seules leurs enfants, que fait-on pour retrouver les pères et les contraindre à participer réellement à l’éducation de leurs enfants ? Rien. On préfère dire à la mère qu’elle va bénéficier de l’allocation parent isolé. En réalité, les travailleurs sociaux entretiennent une politique de guichet. »

François Enaud et Denis Clerc, respectivement président et membre fondateur de l'Agence nouvelle des solidarités actives s’inscrivent en opposition à cette approche, dénoncent une pente dangereuse et parlent de double peine. Pour François Enaud et Denis Clerc, exiger des contreparties revient à dire que les pauvres doivent payer deux fois leur pauvreté : une fois en termes de conditions de vie, une autre fois en termes d'obligation de travail gratuit. « Leur pauvreté n'est plus considérée comme un état qu'il s'agit de soulager, mais comme un mode de vie qu'il convient de punir. (…) Le préambule de notre Constitution précise que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi". L'immense majorité des allocataires du RSA socle ne demandent qu'à se soumettre à ce devoir constitutionnel. Mais encore faut-il, qu'en face, la collectivité respecte également le sien, et pas au rabais. Alors seulement l’équilibre des droits et des devoirs sera réalisé. » (LEMONDE.FR - 10 juin 2011)

Dans son ouvrage « L’Autonomie des assistés », Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’université Paris Descartes, rappelle aussi que si l’assistance se développe, c’est parce que le chômage reste massif et que son indemnisation n’a cessé de baisser depuis le milieu des années 1990. Selon Nicolas Duvoux, l’assisté, c’est celui qui est pauvre, qui doit être aidé par la solidarité nationale. Utiliser le terme d’assistant plutôt que d’assistance relève d’une volonté politique de stigmatiser une population très hétérogène. Et, contrairement aux idées reçues, les minimas sociaux sont moins élevés en France que dans d’autres pays européens et les personnes assistées sont loin de vivre dans une situation confortable.

 

L'idée que des personnes refuseraient des emplois parce qu'ils ne seraient pas intéressants financièrement n'a jamais été vérifiée dans la réalité. Les enquêtes statistiques montrent au contraire avec constance que ce sont des problèmes de santé, de transport et de garde d'enfants qui empêchent certains bénéficiaires de minima sociaux de chercher un emploi, bien plus qu'une attractivité financière insuffisante. La Caisse nationale des allocations familiales a évalué à 2 % la proportion d'allocataires fraudeurs : cela justifie qu'on s'intéresse à la lutte contre la fraude mais pas qu'on en fasse un enjeu majeur ni qu'on jette le discrédit sur les 98 % d'autres allocataires. Il est légitime de demander aux personnes sans travail de se mobiliser dans leur recherche d'emploi, car cette implication personnelle est une des conditions de la sortie du chômage. Mais la focalisation excessive sur cet enjeu conduit à des politiques déséquilibrées et inefficaces. Une société ne peut continuer sans dommage à faire porter aux personnes les plus en difficulté les carences des institutions publiques dans la mise en œuvre des moyens d'accompagnement prévus par la loi.(…) En période de chômage de masse, il est invraisemblable de vouloir rendre les chômeurs responsables de l'indigence du marché de l'emploi.

Extrait de l’article de Jean-Marc Borello, délégué général du Groupe SOS ; Nicolas Duvoux, sociologue ; Christophe Sirugue, député (PS) de Saône-et-Loire ; Nicole Maestracci, magistrat et présidente de la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) ; Marc-Olivier Padis, directeur éditorial de Terra Nova, publié sur LEMONDE.FR le 10 juin 2011

 

De votre point de vue, faut-il demander une contrepartie sous forme d’heures hebdomadaires de travail aux bénéficiaires d’allocations chômage ou du RSA : cela ne faciliterait-il pas l’insertion de ces personnes dans l’emploi ?
Mettre en avant ce type d’idée relève de la démagogie. C’est tout simplement oublier que les chômeurs ne sont pas responsables du chômage. Bien sûr, il y a des tricheurs, des personnes qui peuvent profiter du système, et il faut leur faire la chasse, mais l’enjeu est de se concentrer sur l’immense majorité des personnes qui aspirent tout simplement à vivre décemment.  C’est un principe de base de notre modèle de solidarité français et il est primordial de ne pas le remettre en cause  aujourd’hui alors que nombre de nos concitoyens connaissent des situations particulièrement difficiles.

 

Extrait de l’interview de Jean-Luc Martinez, premier adjoint au Maire de Décines délégué au développement urbain, Président d’UNI-EST gestionnaire du PLIE de l’Est de l’agglomération lyonnaise.millenaire3.com -  2012