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Alexandre Lacassagne, précurseur en médecine légale

Portrait d'A. Lacassagne

Étude

Médecin légiste, professeur à la faculté de médecine de Lyon et médecin expert auprès des tribunaux, Alexandre Lacassagne (1843-1924) a ouvert la voie à l’anthropologie criminelle et à la médecine légale scientifique en France.

Clinicien de qualité, il avait la maîtrise des techniques biologiques de l’époque et possédait des compétences en psychiatrie, sociologie et criminologie.

Il fut l’un des premiers à appliquer l’ensemble des techniques scientifiques connues lors d’affaires médico-légales (autopsie et identification des cadavres).

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Date : 17/08/2007

Une carrière exemplaire

Né à Cahors en 1843, Alexandre Lacassagne fait ses études à l’Ecole de Santé Militaire de Strasbourg. Partageant pendant 15 ans sa carrière entre l’Armée et l’Université, il soutient sa thèse de doctorat sur les « effets physiologiques du chloroforme » en 1867. Au moment de la guerre de 1870, il est répétiteur à l’Ecole de Santé. En 1872, il soutient sa thèse d’agrégation sur « la putridité morbide au point de vue des théories anciennes et modernes », excellente mise au point avant l’ère pastorienne.

Il séjourne par deux fois à Sétif, en Algérie, où, en tant que médecin militaire, il côtoie le «  Bataillon des Joyeux », bataillon de soldats ayant fait l’objet d’une condamnation. C’est là qu’il commence la rédaction d’une publication1  sur le « rapport de la taille et de la grande envergure : étude anthropologique sur 800 hommes criminels » et qu’il se passionne pour l’étude des tatouages. De retour en France, il obtient la Chaire d’hygiène et de médecine légale du Val de Grâce en 1874. Il fonde alors la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle. En 1879, il rejoint de nouveau l’Algérie comme médecin militaire. La Faculté de Médecine de Lyon est créée en 1878. Le titulaire de la Chaire de médecine légale et de toxicologie décède rapidement. Sollicité, Alexandre Lacassagne accepte de prendre sa suite à condition que la Chaire soit dédoublée : la toxicologie est alors rattachée à la chimie organique car Lacassagne ne s’y estime pas suffisamment compétent.

Il occupe la Chaire de médecine légale jusqu’en 1913, date de sa retraite. Sa carrière militaire se déroule en parallèle à la direction du Service des Maladies Infectieuses, de 1880 à 1890. Durant la Guerre de 1914-18, il sera délégué auprès de l’administration des Hospices Civils de Lyon. Il épouse en 1882 la fille du professeur Rollet, chirurgien major à l’Antiquaille, qui lui donne 3 enfants. Il meurt à 81 ans en 1924, renversé par une automobile. Son autopsie, qu’il avait prescrite, révèle un hématome intracrânien post-traumatique… Son nom est attribué le 27 septembre 1925 par le Conseil Municipal de Lyon au Chemin des Pins dans le 3e arrondissement.

 

Créateur de la médecine légale à Lyon

Dès sa nomination, Lacassagne s’entoure d’une équipe pluridisciplinaire de médecine légale : chimiste, physiologiste, toxicologue, entomologiste2. Il s’associe avec un magistrat, Gabriel Tarde, pour lancer l’édition des « Archives d’Anthropologie Criminelle, de Criminologie, Psychologie Normale et Pathologique ». Remarquables par la qualité des travaux réalisés, notamment en épidémiologie criminelle, ces publications sont diffusées pendant plus d’une trentaine d’années dans le monde entier.

Les prises de position de Lacassagne sur la genèse du crime, face au spécialiste italien Lombroso, font l’objet de débats internationaux. Auteur de « L’Huomo Delinquente »3 Lombroso développe la théorie de l’atavisme criminel. La morphologie fait alors l’objet de sérieuses études 4: jusqu’où les corrélations entre personnalité individuelle et formation du crâne peuvent-elles s’établir ? Quelle est la part due à l’hérédité dans la prédisposition à la criminalité ? Pour Lombroso, il ne fait aucun doute que l’on naît délinquant. Hygiéniste de formation, Lacassagne défend la thèse de l’acquis par le milieu. Selon lui, la morphologie crânienne ne joue aucun rôle dans l’origine de la criminalité, seul joue l’environnement psychologique et sociologique dans lequel a grandi l’individu.

A plusieurs reprises, il affirme : « la société a les criminels qu’elle mérite ». Il base sa conception sur de nombreuses observations de terrain. Lacassagne passe tous ses dimanches matins dans les prisons, discute avec des détenus et recueille leurs écrits (autobiographies, chansons, poésies…). La position qu’il choisit d’adopter légitime l’importance de l’éducation, de la prévention, voire des initiatives sociales et hygiénistes envers les criminels… Pour autant, c’est quelqu’un qui reste partisan des châtiments corporels5 , de la déportation et de la peine de mort.

 

Les débuts de la police scientifique

Médecin judiciaire, Lacassagne s’est fait connaître à travers plusieurs affaires, souvent largement couvertes par la presse nationale. Les plus célèbres sont :- La Malle à Gouffé  Huissier parisien, Augustin Gouffé disparaît le 27 juillet 1889. Le 13 août, un cadavre est découvert à Millery, enfermé dans un sac et en état de putréfaction. L’identification est difficile. Une première autopsie révèle une fracture traumatique du cartilage thyroïdien, suggérant que la victime a été étranglée. Le 15 août, une malle brisée est découverte à Saint-Genis Laval, malle dont la clef a été trouvée près du cadavre. Le 13 novembre, une exhumation complémentaire est réalisée par le professeur Lacassagne.

Il rédige un rapport d’autopsie très détaillé, diagnostiquant scientifiquement que le cadavre de Millery est bien celui de Gouffé assassiné. La clarté de la rédaction, la précision de l’exposition des faits et les déductions logiques en font un modèle de littérature médico-légale. A sa suite, l’assassin Eyraud et sa complice Melle Bompard sont arrêtés. - L’affaire Jaboulay1913. L’Université de Lyon dispose de deux chaires de clinique chirurgicale, occupées par Antonin Poncet et Mathieu Jaboulay. Lors du décès du premier, deux candidats briguent sa succession : Louis Tixier, soutenu par le clan « conservateur » du Conseil des Facultés, et Léon Bérard, candidat du clan « libéral ». Les luttes de pouvoir entre les deux camps sont d’une grande âpreté. Le Professeur Jaboulay disparaît alors dans une catastrophe ferroviaire lors d’un déplacement à Paris ! Les wagons en bois ayant pris feu, l’identification des corps se révèle quasiment impossible. Or, sans cadavre, il n’est pas possible d’établir de certificat de décès et la chaire ne peut être libérée…

S’appuyant sur sa technique anthropologique, Lacassagne parvient à retrouver le cadavre d’un homme de l’âge et de la taille de Jaboulay. Le prêt-à-porter n’existant pas encore, le bottier et le tailleur du disparu reconnaissent à leur tour ses chaussures et sa chemise. L’identification du corps est faite, le certificat de décès rédigé, la chaire peut être attribuée et la paix restaurée dans la faculté…- Enfin, lors de l’assassinat du Président Carnot à Lyon, c’est Lacassagne qui effectue l’autopsie et fournit un rapport avec des dessins très précis.

 

Un citoyen influent

Au cours de sa longue carrière, Lacassagne marque de son empreinte la vie de la cité. Président à deux reprises de la Société d’Anthologie Lyonnaise, il prend aussi la Vice-Présidence de la Commission de Surveillance des Prisons et la fonction de Directeur Technique de la Morgue. Amarrée sur le Rhône, celle-ci se constitue d’une « platte »  où les corps sont exposés pour les identifications et les autopsies. En 1881, Lacassagne rédige un rapport sur la nécessité de construire un établissement public mortuaire rattaché à la Faculté de Médecine.

Soutenu par E. Herriot en 1908, le projet n’aboutira qu’en 1933, après qu’une crue du Rhône un peu plus violente que les autres ne fasse s’écraser la platte (et ses cadavres) contre les piliers du Pont de la Guillotière. Lacassagne édite un « Précis d’Hygiène privée et sociale  »7 qui reste un classique en médecine légale, et résume son expérience dans le « Précis de Médecine Judiciaire ».

Il ouvre le premier enseignement en France de Médecine Légale et Judiciaire à la Faculté de Droit. Pièce après pièce, il rassemble en outre instruments chirurgicaux, représentations anatomiques, moulages, bustes et peintures qui constituent selon lui les meilleurs outils pédagogiques pour les étudiants. Au final, ce sont plus de 300 objets qui seront cédés à la Faculté pour fonder un Musée d’Histoire de la Médecine.  

 

Le Fonds Lacassagne

Grand lecteur, Alexandre Lacassagne amoncelle tout au long de sa vie une série d’ouvrages d’une richesse exceptionnelle : romans, travaux médicaux, psychologie, sociologie, philosophie, biologie, sciences juridiques, criminologie… Parmi d’autres livres sur la Révolution, il acquiert les œuvres originales de Jean-Paul Marat, et rédige des milliers de fiches sur des personnages célèbres. En 1921, Lacassagne donne à la Ville quelques 12 000 documents. Le fonds est toujours consultable à la Bibliothèque Municipale de Lyon.

 

Rayonnement de la police judiciaire lyonnaise

Elève direct d’Alexandre Lacassagne, Edmond Locard8 est régulièrement présenté comme son digne successeur. Etudiant en droit, il soutient une thèse médicale en 1902 : « La médecine légale sous le grand roy ». Locard élargit le principe des recherches scientifiques de la médecine légale aux enquêtes policières : balistique, toxicologie, identification des écritures, dactyloscopie 9 ... En 1912, il créé à Lyon le premier Laboratoire de Police Scientifique de France. Locard se fait mondialement connaître en publiant «  Le Traité de Police Scientifique  ». En 7 tomes, celui-ci contient une étude détaillée de l’enquête criminelle, la recherche des empreintes et des traces, les preuves de l’identité, l’expertise des documents écrits et la recherche des falsifications.

Il fonde également un musée rassemblant les éléments des grandes affaires auxquelles il a participé, musée qui se trouve à l’Ecole nationale de Police à Saint-Cyr au Mont-d’Or. Depuis, les avancées scientifiques de la police judiciaire ont été légion. Lyon reste à la pointe avec la Police Technique et Scientifique d’Ecully, qui exerce des missions d’aide à l’enquête en recherches criminelles, missions d’identité judiciaire, travaux d’analyse et mise en œuvre d’outils informatiques. Le Service coordonne l’action des cinq Laboratoires de Police Scientifique de Lyon, Lille, Marseille, Paris et Toulouse.

Le Laboratoire de Lyon reste le plus grand de France. Enfin, depuis 1989, la Cité Internationale accueille Interpol10chargée de faciliter la coopération transfrontalière entre les services de police criminelle. Présente sur 5 continents, cette organisation internationale s’appuie sur 181 pays membres. Ses activités prioritaires sont le terrorisme, les organisations mafieuses, les stupéfiants, la criminalité financière, le trafic d’êtres humains et le soutien aux enquêteurs à propos des malfaiteurs en fuite.

 

Bibliographie

◼ La malle à Gouffé. Alain Miras, Docteur en Médecine, Institut Médico Légal, Lyon. Conférence prononcée le 26 février 2002. Conférences de l’Institut d’Histoire de la Médecine de Lyon, cycle 1991-1992. Collection Fondation Marcel Mérieux.

◼ Alexandre Lacassagne (1843-1924), L. Roche, Professeur honoraire de Médecine Légale. Conférence prononcée le 17 décembre 1991. Conférences de l’Institut d’Histoire de la Médecine de Lyon, cycle 1991-1992. Collection Fondation Marcel Mérieux.

◼ La médecine légale, par Louis Roche. La Médecine à Lyon, des origines à nos jours. Fondation Marcel Mérieux. Editions Hervas.

 

Nota Bene

1 Editée en 1882
2 Etude de la faune des cadavres
3  « L'Homme criminel »
4 Voir la théorie de Gall sur les localisations cérébrales de l'amour, du sens de la justice, de la mélodie, etc.
5 Fouet
6 Bateau lavoir à fond plat
7 1876 et 1895, Masson.
8 1977-19669 Etude des empreintes digitales 10 International Criminal Police Organization