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Pour une approche globale et équilibrée des usages du fleuve

Photographie de gravières sur le Rhône Amont (1970)
Gravières sur le Rhône Amont (1970)

Texte de Michel Raffin

Michel Raffin, géographe, Président de l’Alliance des Rhodaniens explique pourquoi l’espace fluvial lyonnais doit relever le défi du développement durable, c’est à dire trouver un nouvel équilibre économique, touristique et écologique.

A cet égard les collectivités territoriales et l’Etat doivent partager avec les acteurs locaux la décision politique relative au fleuve.
Date : 30/01/2001

Un fleuve est un système très complexe, compte tenu de la multiplicité de ses fonctionnalités : navigation, énergie, tourisme, environnement, sport, équipements portuaires, ressources en eau, patrimoine…

L’espace fluvial lyonnais devrait donc être le terrain privilégié d’un concept très à la mode depuis quelques années et pourtant méconnu : celui du développement durable. Rappelons que le développement durable ou soutenable (de l’anglais sustainable) ne s’intéresse pas seulement à l’environnement comme certains le pensent, mais qu’il a pour objet de concilier l’économique, le social et l’environnement en permettant aux générations actuelles de préserver l'avenir pour les générations futures.

Tel est le défi majeur à relever sur le fleuve. Il correspond bien à l’appel d’Annette Viel, chargée du projet biosphère de Montréal, à « un nouvel équilibre économique, touristique et écologique » et aussi à la demande de Jean-Louis Michelot, consultant en environnement, « d’une approche fine laissant s’exprimer au maximum la dynamique naturelle comme la dynamique sociale, mais en prévenant les dérives… »

De l’Antiquité au 19ème, les riverains vivaient en symbiose avec le Rhône et la Saône, pour le meilleur, avec par exemple le mode alors dominant des transports ou les amendements agricoles par le limon, mais aussi pour le pire, du fait notamment des crues dévastatrices. L’aménagement du fleuve semblait alors hors de portée et on s’en remettait à la Providence. Le milieu fluvial n’était cependant plus « naturel » depuis longtemps, compte tenu de l’impact parfois encore sous-estimé de la déforestation médiévale.

Puis vint le temps, jusqu’aux années 1970, où on prétendit « maîtriser » le Rhône. Les grandes crues de 1993-1994 nous rappelèrent à plus d’humilité. Le développement économique primait et les préoccupations environnementales demeurèrent longtemps faibles, même chez certains riverains qui semblent aujourd’hui l’avoir oublié en désignant les aménageurs à la vindicte publique. Ces excès ont fait ensuite place à d’autres, dans un mouvement de balancier bien français.

Ainsi, alors que les Allemands inauguraient dès 1992 une liaison à grand gabarit Rhin-Main-Danube aménagée en bonne intelligence avec les riverains et les défenseurs locaux de la nature, la France renonça par une saute d’humeur à une liaison par le Doubs, malgré un débit et des capacités de financement par la recette hydroélectrique du Rhône très supérieures à ceux du projet bavarois. Reste à reprendre l’option de débouché par la Moselle, oubliée depuis 25 ans, mais dont l’étude d’opportunité est aujourd’hui inscrite au contrat Etat-Région Rhône-Alpes.

Beaucoup a été fait depuis 20 ans pour rendre leurs fleuves aux Lyonnais. Il convient de poursuivre cet effort essentiel pour la qualité de vie comme pour le développement du tourisme. Prenons toutefois garde à ne pas transformer nos fleuves en un décor sans lien avec les pratiques économiques et sociales. À ce titre, au Nord de l’agglomération, il est regrettable que les pouvoirs publics, lors du renouvellement de la concession EDF de Cusset, viennent de renoncer jusqu’au-delà de 2010 au moins, à l’opportunité, pourtant attendue depuis 1990, d’une mise en navigabilité touristique de Lyon à Jons. Au Sud de l’agglomération, c’est le Port Edouard Herriot qui est parfois décrié, alors qu’il s’agit d’un équipement majeur et d’avenir, comme le souligne Jean-Pierre Rissoan, et comme le montre la mise en service depuis le 1er octobre 2001 d’une nouvelle liaison fluviale conteneurisée fort prometteuse avec Fos-sur-mer.

Il est temps désormais de revenir à la sagesse d’une approche intégrant l’ensemble des paramètres et leurs interrelations, pour tendre vers un bon fonctionnement dynamique et équilibré des usages du fleuve. La diversité de ces usages en constitue la première richesse, même si elle en rend plus difficile la gestion. C’est dans cet esprit que, sur la proposition du Conseil Économique et Social Rhône-Alpes, le Conseil Régional appelle à l’élaboration d'un projet global pour le fleuve Rhône, en associant autour des Régions concernées l'ensemble des acteurs au sein d’une entité fédératrice des initiatives et des territoires.

La mise en oeuvre et la réussite de ce projet global supposeront le dépassement de nombre de querelles gauloises. Ils impliquent aussi des investissements lourds dans les domaines de la navigation, de l’environnement, du tourisme… Ceux-ci seraient parfaitement finançables par les recettes hydroélectriques du Rhône si l’Etat relâchait la pression fiscale qu’il fait peser sur elles au travers de la taxe sur les ouvrages hydroélectriques concédés, instituée depuis 1995.

De plus, au-delà de ses discours sur la gouvernance, il revient à l’Etat de partager avec les acteurs locaux la décision politique relative au fleuve. Il ne s’agirait d’ailleurs que de mettre enfin en oeuvre, avec 80 ans de retard, une loi du 27 mai 1921 toujours en vigueur, la loi du Rhône qui a été portée par les Rhodaniens pour financer les volets non rentables de l’aménagement par le seul volet rentable, l’énergie, au service prioritaire des collectivités riveraines.