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Manager la génération Y : Plus de place à l'innovation et à la créativité

Illustration représentant des mains tapant sur un clavier d'ordinateur.

Texte de Nicolas MATYJASIK

Les difficultés d’intégration dans le secteur public posées par les jeunes sont-elles le signe d’une inaptitude managériale profonde à gérer la diversité en général ? Proviennent-elles d’une incompréhension des valeurs qui comptent pour eux ?

Nicolas Matyjasik, politologue, expose son point de vue.

Texte écrit pour la revue M3 n°8.
Date : 30/11/2014

Le problème des générations, exploré par le sociologue Karl Mannheim en 1928, se pose, de manière récurrente, notamment dans la vie professionnelle. Chaque génération porte un avis sans concession sur celle qui lui succède. La désinvolture, le manque de rigueur, le refus de l’autorité ou encore l’impatience sont, à toutes les époques, des qualificatifs indémodables quand il s’agit de juger, voire de jauger, les nouveaux impétrants sur le marché du travail. Notre époque ne déroge pas à la règle puisque nous sommes envahis aujourd’hui par les innombrables conférences, manuels ou guides de bonnes recettes à propos de ces jeunes réputés technophiles et individualistes, qui manqueraient même de loyauté.

Nés entre le début des années quatre-vingt et le milieu des années quatre-vingt-dix, ils ont grandi avec les médias sociaux, sont qualifiés de « génération Y », « Digital Natives » ou « Millennials » en anglais. Même si ce concept peut apparaître comme un artefact, il permet d’appréhender l’évolution du management et de nous questionner sur le sens du travail au XXIe siècle. Plus généralement, la capacité d’adaptation des organisations publiques est en jeu.

 

Sait-on accueillir la diversité ?

Le concept de génération Y possède des tonalités marketing. Les consultants et experts patentés  l’utilisent à déraison. Pourtant, des travaux de chercheurs, comme ceux de Monique Dagnaud, observent une « identité numérique », une « sociabilité originale fondée sur la conversation en continu » et une dimension politique faite de « raids de hackeurs et d’actions protestataires ». Ils pointent une donnée essentielle : l’étroite relation avec les technologies de l’information et de la communication, notamment les médias sociaux. Celle-ci irait même bouleverser la manière d’utiliser les potentialités du cerveau, la « plasticité cérébrale ».

L’accueil de ces nouveaux entrants dans la vie professionnelle et les dispositifs de management qui les accompagnent sont à interroger. Ce débat contribue à mettre en lumière l’incapacité des organisations, publiques comme privées, à innover, à réformer en profondeur les pratiques managériales. Il masque une problématique essentielle qui est celle de la difficulté à gérer la diversité générationnelle, mais aussi culturelle. Autrement dit, à assurer le dialogue.

 

Rendre les administrations désirables…

Ces préoccupations sont au coeur de la problématique de la gestion des ressources humaines publiques, au moment où l’on assiste à un renouvellement générationnel sans précédent provoqué par le départ à la retraite des baby -boomeurs. Quelles sont les conséquences de l’arrivée de la nouvelle génération d’agents publics en matière d’organisation du travail et de management ? Comment attirer, recruter, motiver et manager les jeunes ? Comment rendre attractives et désirables les administrations publiques ?

Des réflexions apparaissent et des dispositifs voient le jour. On parle alors de rémunération à la performance, de promotion de l’égalité dans la fonction publique, et donc de la lutte contre les discriminations, du développement de la mobilité professionnelle des agents ou encore de la formation des manageurs publics. Mais, comme le montrent certains psychologues, ce qui assure la coopération des individus avec ceux qui les dirigent, c’est moins le recours à des motivations instrumentales (l’usage de sanctions positives — du type prime ou promotion — ou négatives du type amende ou licenciement) que l’invocation de motivations sociales, c’est-à-dire l’ensemble des croyances et attentes qui habitent les êtres humains. C’est l’analyse du psychologue américain Tom R. Tyler. Or, ce chantier est probablement à construire : le management qui donne du sens, des perspectives à une carrière dont le sillon semble tracé, dès l’âge de 20 ans, en fonction d’un concours. Comment faire pour que travailler pour l’État, au service des publics et de l’intérêt général, soit source d’engouement et de vocation chez les jeunes ?

 

Pensons le futur !

La révolution numérique aura, selon le philosophe des sciences Michel Serres, des effets au moins aussi considérables que l’invention de l’écriture puis celle de l’imprimerie. Elle devrait inciter les organisations publiques et leurs dirigeants à la réflexion. Le travail est de plus en plus nomade, mais peu d’initiatives valorisent le télétravail ou les espaces ouverts et collaboratifs. Il est en manque d’idées innovantes, mais peu d’initiatives valorisent les loisirs créatifs et le développement des utopies. Il est en manque de diversité dans ses élites, mais peu d’initiatives valorisent les parcours qui ne sortent pas du moule de l’Ena. Autant de perspectives qui poussent à repenser le rôle de l’État et de sa gestion au XXIe siècle.