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Économie circulaire : les définitions officielles masquent une pluralité d’approches

Illustration représentant un individu sortant d'un supermarché
© Ile-de-France Europe – Représentation Ile-de-France

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En France comme à l’échelle de l’Union Européenne ou au niveau international, l’économie circulaire s’est imposée ces dernières années comme un axe phare des politiques de transition écologique. En s’appropriant le concept, les acteurs publics sont souvent amenés à lui donner une définition officielle faisant référence pour guider l’élaboration de stratégies d’action dédiées.

Bien qu’essentielles pour donner du sens et encourager les acteurs à s’engager dans la transition circulaire, les définitions en vigueur ne doivent cependant pas faire oublier que le concept d’économie circulaire suscite un vif débat au plan académique, et donne lieu à une pluralité d’approches.

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Date : 09/03/2021

En 2020, les chercheurs Martin Calisto Friant, Walter J.V. Vermeulen et Roberta Salomone publiaient un article offrant une cartographie inédite des conceptions de l’économie circulaire qui s’expriment dans le champ académique, politique et économique, tout éclairant leurs racines conceptuelles. Comme nous y invitent les auteurs, au regard de l’ampleur et de l’urgence des enjeux de soutenabilité, ces différentes visions gagneraient à être davantage débattues, afin de consolider les finalités et leviers de l’économie circulaire.

 

Rappel de quelques définitions de l’économie circulaire en France et en Europe

 

En France, le concept d'économie circulaire a trouvé une définition officielle dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. Celle-ci reconnaît la transition vers une économie circulaire comme un objectif national, et comme l’un des piliers du développement durable. Cette loi a donné la définition suivante pour l’économie circulaire (code de l'environnement, article L. 110-1-1) :

« La transition vers une économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits, et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets. »

Par ailleurs, l’Ademe a proposé une définition de l’économie circulaire qui fait aujourd’hui référence pour les acteurs territoriaux, notamment parce qu’elle est adossée à ensemble de leviers contribuant à réduire l’impact de l’économie sur l’environnement tout au long du cycle de vie des produits (voir schéma ci-dessous) : 

« L’économie circulaire peut se définir comme un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus. »

 

© Ademe 2019

 

Au niveau européen, le plan d’action de l’Union Européenne en faveur de l’économie circulaire lancé en 2015 et actualisé en 2020 définit celle-ci comme :

« Une économie dans laquelle la valeur des produits, des matières et des ressources est maintenue dans l’économie aussi longtemps que possible et la production de déchets est réduite au minimum ».

Enfin, il convient de mentionner la définition proposée par la fondation Ellen MacArthur, largement partagée auprès des acteurs économiques :

« Une économie circulaire est une économie conçue pour être réparatrice et régénératrice et vise à maintenir les produits, les composants et les matériaux à leur plus grande utilité et valeur à tout moment. Ce nouveau modèle économique cherche à découpler le développement économique mondial de la consommation de ressources. »

 

4 grandes visions de l’économie circulaire

 

Comme le montre une étude récente, les définitions qui précèdent ne rendent pas justice à la diversité des approches de l’économie circulaire. À partir d’une vaste revue de littérature, les auteurs en dressent une typologie en fonction de deux axes d’analyse :

  • Un axe société circulaire/économie circulaire : il distingue d’une part les visions « holistiques » de l’économie circulaire, c’est-à-dire intégrant les enjeux écologiques, sociaux et politiques de l’économie circulaire, et d’autre part les visions « segmentées » qui tendent à se focaliser sur les dimensions économiques et technologique de l’économie circulaire.
  • Un axe optimiste/septique face au potentiel de l’innovation technologique : cet axe distingue les visions de l’économie circulaire qui affirment la possibilité de découpler croissance économique et pressions environnementales grâce au levier de l’innovation technologique, de celles qui remettent en question cette hypothèse.

 

L’étude met ainsi en évidence quatre grandes approches de l’économie circulaire, présentées ci-dessous par ordre décroissant de fréquence dans les 120 définitions de l’économie circulaire recensées par les auteurs dans le monde académique, politique ou économique, en mentionnant leurs forces et faiblesses respectives :

 

1/ Économie circulaire technocentrée (dont relèvent 84% des définitions de l’économie circulaire recensées)

Cette vision propose une ère de croissance verte permettant d'augmenter les niveaux de prospérité tout en réduisant l'empreinte écologique de l'humanité. Elle se fonde sur une approche particulièrement optimiste de la capacité du progrès technologique à éviter un effondrement écologique. Pour ce faire, de nombreuses innovations sont promues, y compris certaines soulevant la controverse : capture et stockage du carbone, intelligence artificielle, géo-ingénierie, biologie synthétique.

Cette vision s’exprime à travers différents concepts tels que : « Industrial Ecology » (Frosch and Gallopoulos, 1989), « Industrial Metabolism » (Ayres and Simonis, 1994), « Cleaner Production » (Baas, 1995), « Reverse Logistics » (Rogers and Tibben-Lembke, 1998), « Eco-industrial parks and networks » (Côté and Cohen-Rosenthal, 1998), « Biomimicry » (Benyus, 1998), « Product Service System » (Goedkoop et al., 1999), « Extended Producer Responsibility » (Lindhqvist, 2000), « Industrial Symbiosis » (Chertow, 2000), « Closed-loop Supply Chain » (Guide et al., 2003), « Bioeconomy » (OECD, 2004)…

Ces discours sont aujourd’hui courants dans les politiques gouvernementales européennes, les stratégies d’économie circulaire de villes (voir par exemple celle de Londres), des stratégies d'entreprises comme Apple, l’approche de sociétés de conseil telles que McKinsey et de certaines organisations internationales comme le Forum économique mondial et l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques].

En se concentrant sur les innovations techniques capables de modifier le système de production industriel sans avoir à changer les relations de pouvoir socio-économiques, cette vision de l’économie circulaire est attractive pour un large éventail d'acteurs à la recherche de solutions gagnant-gagnant pour concilier les objectifs environnementaux et économiques. En revanche, cette approche n’aborde pas les problèmes d'épuisement des ressources, de limites planétaires, d'effets rebond et les implications sociales de la circularité.

 

2/ Société circulaire réformiste (12%)

Cette vision défend l’idée que le capitalisme peut être réformé de manière à permettre une prospérité économique et le bien-être humain pour tous, dans le respect des limites biophysiques de la planète. Elle mise sur d’importantes innovations sociales, économiques, industrielles et environnementales pour modifier le système actuel au plan des comportements, de l’économie et des technologies, permettant d’atteindre à un niveau suffisant de découplage entre croissance économique et pressions sur l’environnement.

Cette vision regroupe de nombreux concepts, et notamment : « Natural Capitalism » (Hawken et al., 1999), « Cradle to Cradle » (McDonough and Braungart, 2002), « Performance Economy » (Stahel, 2010), Blue Economy » (Pauli, 2010), « Material Efficiency » (Allwood et al., 2011), « Third industrial revolution » (Rifkin, 2013), « Sharing Economy » (Frenken, 2017), « Doughnut Economics » (Raworth, 2017), « Économie symbiotique » (Delannoy, 2017)… Selon les chercheurs, cette vision est portée aujourd’hui par diverses organisations à but non lucratif comme Circle Economy et le Club de Rome ainsi que des villes comme Amsterdam.

L’approche réformiste de l’économie circulaire cherche à réconcilier le modèle capitaliste avec un avenir juste et durable pour tous. Néanmoins, elle ne prend pas toute la mesure des difficultés de découplage entre croissance économique et pressions environnementales.

 

 

3/ Économie circulaire forteresse (2,5%)

Cette vision repose sur une approche du futur où l’innovation technologique ne permettra pas d’éviter la collision entre rareté des ressources, limites biophysiques et surpopulation. Face aux menaces pour la sécurité mondiale, elle propose de répondre à la situation par des stratégies fortes et imposées d’en haut en matière de contrôle de la population, de sobriété et de rationalisation de l’usage des ressources, sans préoccupation pour les questions de répartition des richesses et de justice sociale. Cette vision puise dans théories d’inspiration malthusienne telles que : « The tragedy of the Commons » (Hardin, 1968), « The Population Bomb » (Ehrlich, 1968), « Overshoot » (Catton, 1980). Les auteurs observent qu’un nombre croissant de groupes de réflexion et de gouvernements utilise un discours sur le changement climatique, le risque de pénurie et la surpopulation pour protéger leur pouvoir géopolitique et leurs ressources face aux flux de migrants en provenance des pays du sud.

La force des discours sur l'économie circulaire forteresse, en particulier aux yeux des décideurs, réside dans leur pragmatisme face aux menaces écologiques, aux limites de l’innovation et à l’inertie du changement socio-culturel. Ainsi, alors que la crise de l'Anthropocène s'aggrave, cette vision défensive de l’économie circulaire pourrait devenir beaucoup plus largement acceptée, en particulier dans un contexte où « il semble plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». En revanche, parce qu’elle ne s’embarrasse pas à proposer des solutions socialement souhaitables, cette approche pourrait conduire à un monde divisé et inégal entre population riches et pauvres, où seuls quelques pays peuvent investir dans de nouvelles solutions circulaires et aux moyens d'une vie confortable au plan matériel.

 

 

4/ Société circulaire transformatrice (1,5%)

Cette vision se fonde sur une remise en question de la compatibilité entre capitalisme et soutenabilité, ainsi que de la capacité de l’innovation à permettre un découplage entre croissance économique et dégradation de l’environnement. Elle propose une transformation du système socio-économique selon laquelle les individus se reconnectent de manière harmonieuse avec la Terre et leurs communautés en remettant en cause les approches anthropocentriques, matérialistes et productivistes. Une réduction d'échelle économique générale et une culture de sobriété et de convivialité conduisent à des vies plus simples, plus lentes et offrant plus de sens. Reposant sur une redistribution juste des ressources mondiales, la production locale est mise en avant, notamment à travers des structures économiques coopératives et collaboratives et en utilisant des techniques agroécologiques et des innovations et technologies open source à faible impact environnemental.

Cette approche renvoie elle-aussi à de nombreuses analyses : « The Economics of the Coming Spaceship Earth » (Boulding, 1966), « The entropy law and the economic process » (Georgescu-Roegen, 1971), « Social Ecology » (Bookchin, 1971), « Limits to Growth » (Meadows et al., 1972), « Small is Beautiful » (Schumacher, 1973), « La convivialité » (Illich, 1973), « Steady-state economics » (Daly, 1977), « Permaculture » (Mollison and Holmgren, 1978), « Deep Ecology » (Næss and Rothernberg 1989), « Transition Movement » (Hopkins, 2008), « La décroissance » (Latouche, 2009), « Post-growth » (Jackson, 2016), « Économie permacirculaire » (Bourg, 2017), « Voluntary Simplicity » (Trainer and Alexander, 2019), « Convivialisme » (Caillé, 2019)… On retrouve ce type de vision à travers les dynamiques telles que le réseau des villes en transition ou le forum en ligne Great Transition Initiative.

Cette vision s’appuie sur une analyse rationnelle des limites planétaires actuelles et des contradictions structurelles du système capitaliste pour proposer une transformation globale de l'ensemble du système socio-économique. Cependant, les doutes sur la probabilité d'un changement socioculturel fondamental et d'un avenir post-capitaliste semblent conduire à ce que cette vision reste à l’écart des débats dominants.

 

 

Au total, les auteurs constatent un décalage important entre la diversité des approches de l’économie circulaire développées dans la littérature, en particulier concernant les acceptions holistiques, et les définitions utilisées couramment dans le champ des politiques publiques et de l’entreprise, lesquelles relèvent généralement de la vision technocentrée. Compte tenu des forces et des faiblesses de chaque discours sur la circularité, les chercheurs plaident pour un débat plus ouvert, pour permettre une pollinisation croisée des idées, une délibération collective sur l’avenir circulaire souhaitable et in fine, le développement de meilleures politiques et pratiques.

 

Pour aller plus loin :

  • Martin Calisto Friant, Walter J.V. Vermeulen, Roberta Salomone (2020), A typology of circular economy discourses: Navigating the diverse visions of a contested paradigm – in Resources, Conservation & Recycling 161

 

○ Retrouvez ICI l'intégralité du dossier Économie circulaire : au-delà du recyclage, comment transformer l’économie ?