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20 enjeux pour l’aménagement, la conception et les usages des espaces publics

Photo de l'événement Tout l'monde dehors, Lyon 3e
© DR

Étude

Au printemps 2022, la Métropole de Lyon a lancé la construction d’une Charte des espaces publics, un cadre commun pour penser et élaborer les espaces de circulation et de rassemblement (places, rues, parcs…) du territoire métropolitain. L’objectif ? Se doter d’une vision partagée et d’une cohérence dans les aménagements urbains pour relever les défis de demain : transition écologique, bien-être et sécurité, inclusions sociales, mobilités…

Pour tirer le meilleur des temps d’échanges qui rythmaient ce projet, la Direction de la maîtrise d’ouvrage urbaine et le service de Prospective des Politiques publiques du Grand Lyon ont réalisé ces deux vidéos pédagogiques, qui font le point sur les problématiques et les enjeux propres à l’aménagement urbain, depuis sa conception jusqu’à son appropriation par les usagers.
Date : 05/07/2022

Les définitions de l’espace public

 

 

Espace public ou espaces publics ?

Quand on parle de l'espace public au singulier, on évoque généralement le lieu du débat politique et de la confrontation des opinions privées. C’est l’espace ouvert, médiatique mais aussi numérique, où s’opère une pratique démocratique et une circulation des divers points de vue.

Les espaces publics, au pluriel, désignent quant à eux les endroits physiques accessibles au public, arpentés par les habitants, qu'ils résident ou non à proximité. Ce sont des rues, des places, des parvis, des boulevards, des jardins et des parcs, des plages, des sentiers forestiers, campagnards ou montagneux. Ils constituent le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l'accessibilité d’une part et de la gratuité d’autre part, pour reprendre les termes du philosophe Thierry Paquot.

 

Les évolutions qui affectent les espaces publics

L’espace public a été historiquement de plus en plus réduit pour y favoriser la circulation et en particulier celle motorisée, en témoigne la place accordée à la voiture et à tous les engins motorisés thermiques sur la chaussée.

C’est aussi une ressource de plus en plus stratégique pour les acteurs privés, par exemple dans les emprises au sol, pour l’implantation de casiers de livraison, dans l’occupation de zones spécifiques par des services privés de trottinette en libre-service, dans l’occupation des verticalités pour l’installation de publicités en façade et demain peut-être dans l’exploitation de son ciel par des drones de livraison.

C’est un espace de plus en plus standardisé, que ce soit dans les matériaux utilisés, le design choisi, le mobilier installé et les façons de concevoir et d’aménager. Beaucoup d’espaces publics de métropoles mondiales de l’hémisphère nord se ressemblent finalement.

C’est enfin un espace de plus en plus contrôlé, avec la place accordée à la vidéo-surveillance, le rôle donné à la police municipale, la multiplication des regards des vigiles privés aux portes des commerces. Cela filtre les usages par une forme d’autocensure des habitants mais aussi par limitation de ceux considérés comme déviants à un ordre public, y compris dès la conception, que ce soient des jeunes, des sans-abris, des militants.

 

La reconquête des espaces publics

En ce sens, que les politiques urbaines affichent de plus en plus un enjeu de « reconquête » des espaces publics :

  • reconquête de l’espace pour les piétons, les vélos et les transports publics par rapport aux voitures ;
  • reconquête politique à travers la multiplication de mouvements comme Nuit Debout sur les places, les Gilets jaunes sur les ronds-points, ou des revendications sur la place accordée aux femmes, au vivant, aux enfants, à la gratuité d’y séjourner face aux emprises payantes des terrasses par exemple ou encore aux symboles des noms de rue revendiqués ;
  • reconquête esthétique avec le street art de plus en plus reconnu, les oppositions à la publicité, les aspects de préservation patrimoniale et de paysage ;
  • reconquête dans sa gestion enfin, avec des enjeux de fonds relatifs à la régulation des acteurs privés ou encore la coordination des services municipaux qui y interviennent.

Par essence partagés, les espaces publics sont donc les lieux de toutes les aspirations à la vie publique qui doivent cohabiter, là où se construit le commun et où se compose l’intérêt général, que l’action politique doit au plus organiser, du moins accompagner.

 

20 enjeux pour l’espace public

 

 

L’aménagement des espaces publics : choix techniques et de conception

Une première série d’enjeux portent sur les questions et de conception des espaces publics, qui doivent notamment prendre en compte la transition écologique et la résilience des villes. Trois enjeux vont dans le sens : la renaturation, la climatologie mais aussi le choix des matériaux.

La renaturation est un référentiel en pleine expansion qui appelle au retour d’éléments très concrets quasiment disparus en ville : la terre, l’eau avec la ville perméable, l’air, les végétaux, les animaux.

La climatologie consiste quant à elle à prendre en compte systématiquement le climat dans le fonctionnement des espaces publics et le ressenti des habitants. Renaturation et climatologie posent des questions techniques : quels matériaux ? Quelle accessibilité horaire des espaces naturels comme les parcs ? Elles posent aussi des questions de choix politique : quelle place accorder à une végétalisation non domestiquée ? Quelle place donner à l’animalité dans un espace toujours plus optimisé ? Comment arbitrer entre enlever les variations climatiques, laisser faire ou jouer avec ?

Dans la conception, les matériaux sont aussi en première ligne. Ils se diversifient pour intégrer l’enjeu de durabilité et de résilience : matériaux naturels bruts ou recomposés, matériaux bas carbone ou biosourcés. Pour chaque solution et chaque lieu, il faut arbitrer entre contraintes techniques, faisabilité financière et contraintes d’usages. Comment arbitrer sur ces choix de matériaux ? Dans quelle mesure ces arbitrages peuvent être systématisés dans la construction ? Et pour quels effets ?

Les choix de conception portent également sur le mobilier urbain : les espaces publics sont sous pression de multiples éléments de mobilier et d’objets. Ils sont liés à un nombre croissant d’usages et de fonctions attribuées aux espaces publics : bornes électriques, casiers de livraison, composteurs, bancs, potelets, abribus, stations libre-service, parcmètres, candélabre. Comment organiser et prioriser ce foisonnement d’objets dans un espace restreint ?

Autre enjeu souvent invisible, le numérique. C’est à la fois une infrastructure, un usage pour la géolocalisation et un outil de gestion des espaces publics par les capteurs. Les usagers utilisent ainsi du numérique au quotidien, mais ils y contribuent aussi par les données qu’ils produisent. Va-t-on vers une smart city optimisée par des algorithmes qui exploitent ces données ? Doit-on s’orienter vers une municipalisation de la donnée valorisée comme un commun ? Comment assurer le droit à l’anonymat face à cette captation des données dans l’espace public ?

Enfin, la conception des espaces publics doit intégrer l’enjeu des temporalités pour repenser le partage de l’espace. Il s’agit de penser des espaces adaptables et programmables avec, par exemple, du mobilier déplaçable, un éclairage modulaire, un stationnement différencié, une circulation alternée. La pensée temporelle permet de gagner de l’espace public en optimisant son utilisation. Elle promeut aussi l’importance des vacuités et des pauses face à une tendance à la saturation des rythmes urbains. Mais jusqu’où adapter les rythmes de la ville à ceux des modes de vie qui se désynchronisent et s’accélèrent ? Comment réinstaurer du temps et des lieux de pause ?

 

Les usages des espaces publics : arbitrage du partage et accessibilité

La seconde série d’enjeux porte davantage sur les usages des espaces publics.

Le premier enjeu est celui du vivre-ensemble et du lien social qui construit l’urbanité de nos villes et qui prend racine dans les espaces publics. Pour favoriser la mixité de la vie collective, les espaces publics doivent garantir un accès universel, libre et gratuit. Mais les tendances à l’utilisation privative, la place accordée à la motorisation, au contrôle ou à des usages fragmentés questionnent cet objectif initial. On en vient à se demander si les espaces publics peuvent accueillir tout le monde. Et si l’objectif n’était pas surtout de les penser pour être le lieu d’une confrontation « apaisée » à l’altérité ?

Dans cette mixité, l’enjeu du genre est central car les espaces publics sont inégalement occupés par les femmes et par les hommes. Si le constat est connu, les aménagements sont rarement soumis à une analyse genrée, ce qui a tendance à invisibiliser les inégalités. Depuis quelques années, nombre de collectivités avancent sur ce sujet, mais les solutions proposées divergent. Faut-il « dégenrer » les espaces publics ? Si oui, qu’est que cela signifie ? Est-ce déconstruire leur dimension masculine historique et de quelle façon ?

Autre enjeu, l’âge. Les espaces publics ne sont pas accueillants de la même façon pour les différentes générations, lorsqu’ils sont perçus comme peu sûrs ou peu accessibles. La ville se doit alors d’être « amie des aînées » mais aussi à « hauteur d’enfant ». Mais pour répondre à ces enjeux, les aménagements doivent-ils être universels ou thématiques ? La rue des enfants est-elle aussi celle des parents et des frères et sœurs ? La ville des ainées est-elle accueillante pour les adolescents a priori moins pris en compte ?

Sur toutes ces questions, on revient à l’enjeu de participation à la conception des espaces publics. Elle doit permettre de prendre en compte ces besoins d’usage dans les choix d’aménagement. Les attentes sont fortes. Elles posent des questions de marges de manœuvre réelles, de financement et de représentativité. La démarche participative consiste aussi à mettre en débat des opinions ou des conflits d’usage qui relèvent in fine de choix politiques. Face à des choix d’aménagement, qu’est-ce qui ne peut pas et ne doit pas être mis en débat ? A l’inverse, qu’est ce qui peut et doit l’être ?

Et comment prendre en compte par exemple la parole et la présence des plus précaires, de ceux qui ont très peu ? C’est un enjeu de la ville hospitalière, or ces personnes qui utilisent intensément l’espace public comme ressource pour survivre sont souvent invisibilisés. Entre détournement du regard et contrôle, entre services dédiés et aménagements repoussoirs, quelle tolérance pour la marginalité et dans quels espaces publics ? Quelle prise en compte de l’hospitalité dans la conception et la gestion de l’espace ?

De la même façon, la prise en compte du handicap dans la formulation des espaces publics est un enjeu de société majeur. Le décalage est grand entre les lois et leur application. Et si les usages des personnes handicapées physiques peuvent être facilités par des aménagements apaisés, qu’en est-il de la prise en compte du handicap mental, psychique ou cognitif ?  

Dernier usage de notre panorama, et non des moindres, celui des mobilités. Elles sont de plus en plus importantes et doivent cohabiter dans des espaces publics contraints. Comment faciliter cette cohabitation ? Spécialiser, juxtaposer, mixer les modes de déplacement ? Faut-il favoriser une mobilité commerçante, riveraine, touristique, ou pendulaire dans une approche par les manières de se déplacer ? Faut-il promouvoir une rue comme cadre de vie ou comme espace circulatoire ? Et dans ces arbitrages, quel mode de vie est finalement privilégié ? Comment apaiser la rue tout en préservant sa qualité circulatoire ? Et comment faire cela en prenant en compte les différences entre les territoires centraux, périurbains et ruraux ?

 

La gestion des espaces publics : principes de régulation et de préservation

Nous arrivons maintenant à la dernière série d’enjeux qui portent plus particulièrement sur la gestion des espaces publics.

La nature profonde des espaces publics est d’accueillir la confrontation d’idées pour mieux construire les compromis. Ils concourent à la définition de l’intérêt général. Historiquement, ils accueillent le droit de manifester. Au quotidien, son appropriation autorisée ou de fait interroge. La rue construite pour un « citoyen-consommateur » peut-elle encore accueillir le « citoyen-politique » ? L’appropriation des espaces publics est-il un droit de manifestation à préserver ou une confiscation d’un bien public à éviter ? L’urbanisme sécuritaire et préventif laisse-t-il encore la place de revendiquer et de manifester ?

Et sur la sécurité justement : entre contrôle social et préservation des libertés individuelles, il s’agit de garantir une sécurité dans les espaces publics pour toutes et tous. Mais les choix pris imposent une vision de l’ordre public qui impacte nécessairement les usages. L’urbanisme sécuritaire rend difficile le fait de vivre dans la rue et la vidéo protection questionne le droit à l’anonymat. La sécurité implique-t-elle nécessairement un contrôle de l’aménagement au détriment des usages « non désirés » comme certains jeunes ou les sans-abris ? Parler de sécurité c’est aussi parler des règles qui encadrent les mobilités à des fins d’intérêt général comme le ralentissement ou la restriction des voitures aux abords des écoles. Mais dans quelle mesure cette sécurisation des déplacements actifs restreint la liberté d’accès à la ville pour les déplacements motorisés ?

Autre sujet, l’entretien. Au-delà du besoin de faciliter la gestion de la propreté, la renaturation des rues, les nouveaux objets urbains, la réutilisation des déchets, la collecte des encombrants, la numérisation questionnent les techniques, les responsabilités et la coordination des missions d’entretien et de maintenance des espaces publics. D’autant plus que les particuliers exigent une plus forte réactivité et qu’il faut aussi les responsabiliser. Où placer le curseur entre l’entretien en tant que service public et la sensibilisation des habitants ? Est-il envisageable d’appliquer le principe du « pollueur-payeur » aux espaces publics ?

L’intensification des usages est aussi celle de l’explosion de l’emprise de la logistique urbaine dans les espaces publics. Dark store, vente en ligne, commerces de proximité multiplient les flux de marchandises en ville. Que ce soit en circulation, en stationnement et sur les trottoirs ces flux sont peu régulés. Comment intégrer et rendre accessible la logistique dans l’aménagement ? Faut-il la cacher, la réduire ou au contraire l’assumer ? Comment favoriser un « dernier kilomètre décarboné » ?

Les espaces publics sont aussi des espaces de prévention et qui prennent soin. Réorganisation des voiries face au Covid-19, facilitation des déplacements actifs, pratique sportive, accès à la nature : ils peuvent impacter positivement le bien-être psychologique et physique. Si les espaces publics doivent « prendre soin » des corps humains, comment préserver pour autant leur efficacité technique ? Quelles modalités partenariales pour agir sur la santé via l’espace public ?

Au milieu de tous ces usages, les usages privés qui se développent questionnent le modèle des espaces publics. Ils poussent au règne des communs et d’une co-conception partagée. Concessions payées par des exploitants, arrivée massive d’opérateurs privés de services, revendication habitantes : l’espace public devient une ressource rare dont il faut gérer l’allocation. Peut-on favoriser les usages privatifs qui vont dans le sens de l’intérêt général ? Doit-on intégrer les opérateurs privés à la conception des espaces et les faire payer ?

Dernier enjeu, celui de l’art et de la culture. L’espace public est un lieu de multiplication des événements de toutes sortes, expression de formes culturelles diverses, qui peuvent être émergentes voire illégales jusqu’à devenir protégées. C’est aussi un lieu de patrimonialisation, d’exposition d’œuvres sélectionnés et d’art hors les murs. Ils sont finalement une place de débat sur la légitimité et la reconnaissance de tout type de production culturelle. Mais quelle culture donner à voir dans l’espace public et pourquoi ? Comment intégrer la dimension événementielle dans leur conception sans figer les formes festives ?

Nous arrivons au bout de ces vingt enjeux. Vingt enjeux à prendre en compte parmi une liste sans fin car les espaces publics sont le reflet et la matrice de nos sociétés.

La charte, ce n’est donc pas seulement organiser l’espace, mais bien réfléchir à la société de demain, celle qui fera que les villes et leur urbanité restent désirables et désirés pour toutes et pour tous mais aussi pour chacune et chacun.