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Les solidarités en faveur des personnes handicapées

Interview de Jeanne LIMOUSIN

<< :Soit les familles sont solidaires et ont les moyens de l’être, soit elles ne le veulent pas ou ne le peuvent pas. >>.

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Date : 29/04/2011

Monographie réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la DPDP sur le thème « Ville et handicap », et plus particulièrement sur la question des solidarités en faveur des personnes handicapées.

Echanges organisés et propos recueillis par Catherine Panassier - Avril 2011

Madame Jeanne Limousin : présentation

Jeanne Limousin est une lyonnaise de 90 ans. Depuis le décès de son mari, elle vit seule dans un appartement dont elle est locataire au deuxième étage d’un immeuble ancien du centre ville sans ascenseur. Il y a encore deux ans, Madame Limousin était autonome. Cependant, à la suite d’une chute dans les escaliers de son immeuble, elle marche très difficilement et seulement avec l’aide d’une canne ou d’un déambulateur. Elle ne veut et ne peut plus descendre les escaliers. De fait, elle ne sort plus de chez elle, à l’exception des fêtes de Noël qu’elle passe chez ses enfants ou lorsqu’elle est hospitalisée. Atteinte de surdité, elle est appareillée et utilise des lunettes grossissantes pour lire. Madame Limousin s’accommode assez facilement de ses handicaps et est heureuse d’avoir gardé de bonnes facultés de mémoire, de raisonnement et d’expression. Attachée à ses repères, à son quartier et à ses habitudes, elle ne souhaite pas déménager et s’est résolue à vivre sans sortir de son appartement.

Consciente de sa situation de perte d’autonomie, cette ancienne commerçante restée très volontaire s’attache à effectuer les gestes du quotidien notamment la toilette, à ne jamais s’ennuyer, et à entretenir ses neurones. Elle regarde des films et des documentaires à la télévision, fait des mots codés et fléchés, et lit beaucoup. Hormis ses filles qui passent très régulièrement la voir, elle n’a pas de visite, mais par téléphone, elle est souvent en relation avec ses petits enfants et sa sœur. Elle ne se sent ni seule, ni abandonnée et ne souffre pas d’isolement.

Pour pouvoir rester chez elle sans sortir, Madame Limousin a d’abord bénéficié de l’aide de ses filles et a désormais recours à une aide à domicile tous les matins de 10 à 12 heures du service Accolade*. Cette dernière assure les tâches ménagères (courses, repas, ménage) et offre une présence indispensable et une relation à laquelle Madame Limousin est très attachée.

A ce jour, Madame Limousin ne bénéficie pas d’aide financière, mais son dossier de demande d’APA est en cours d’instruction.

*Accolade est un service mandataire créé le 1er juillet 1992 agréé par la Direction Départementale du Travail et de l’emploi et le Conseil Général du Rhône. Il dispose des deux agréments : «Agrément Simple» et «Agrément Qualité». Basé à Lyon, Accolade (EURL) prend en charge l'accompagnement des personnes dépendantes dans les actes de la vie quotidienne : hygiène, déplacement, alimentation, entretien de la maison et du cadre de vie, loisirs…Dans cet entretien, Madame Limousin présente sa situation, souligne la responsabilité des individus et des familles en matière de solidarité, et rappelle l’indispensable solidarité nationale dans une société « juste ».

 

Madame Jeanne Limousin : entretien
Avez-vous de la famille et est-elle proche de vous ?

J’ai deux filles, une petite fille, un petit fils et trois arrière-petits-enfants. Mes filles habitent Lyon et sont nées respectivement en 1943 et en 1947. Je les vois très souvent. Après la chute qui m’a rendue handicapée, ce sont elles qui se sont occupées de moi, l’une s’est chargée des courses et l’autre de mes affaires personnelles car aujourd’hui j’ai également du mal à écrire correctement. Mes gendres aussi sont de très bons enfants. Je n’exige pas plus de mes filles car elles ont aussi leurs ménages et leurs problèmes de santé. J’ai un gendre sous dialyse et une de mes filles a de la polyarthrite. Mes petits-enfants ont de belles situations, mon petit fils est à Paris et ma petite fille à Lyon. On se voit peu, mais on se téléphone. Je suis bien entourée et ne me sens pas du tout abandonnée. De plus j’ai de très bons voisins qui ne veulent pas me voir partir et qui sont véritablement charmants.

Voyez-vous des amis ?

Lorsque l’on tombe malade, on a beaucoup de visites, puis elles s’estompent avec le temps. Trois de mes amies sont décédées. Et puis, je n’ai pas grand-chose à raconter, je ne sors plus, je ne m’intéresse pas à la politique, je vis dans un cercle fermé, je ne sais pas de quoi parler.

Êtes-vous en relation avec une association ou participez-vous à des activités pour personnes âgées ?

Je ne peux plus faire de voyage et je n’ai jamais été attirée par les clubs de personnes âgées. Certes, j’aimais jouer aux cartes avec mes amis, partir avec eux pour déjeuner dans un restaurant et passer un bon moment, mais ils ne sont plus là. De plus, je n’ai pas le goût des voyages en voiture, je n’ai d’ailleurs jamais passé mon permis de conduire, mon mari ne voulait pas que je conduise. C’était comme ça à l’époque. Aujourd’hui, les femmes conduisent mieux que les hommes !
Certaines personnes handicapées comme moi continuent effectivement de sortir. On vient les chercher à domicile et on les ramène. Ils vont au parc de la Tête d’Or ou ailleurs. C’est beaucoup de tracas pour pas grand-chose. Certes, le parc de la Tête d’Or est très joli, mais maintenant quand il fait beau et que je veux respirer j’ouvre la fenêtre et ça me suffit !

Si votre immeuble était doté d’un ascenseur et si vous pouviez avoir un petit fauteuil roulant, aimeriez-vous sortir ?

Je ne veux pas de fauteuil roulant. Si l’immeuble avait un ascenseur, j’aimerais juste, en étant accompagnée, marcher un peu dans la rue et le quartier. Je ne souhaite plus aller plus loin. Mais il n’y aura pas d’ascenseur dans l’immeuble, et dans ce quartier, il n’y pas de logement accessible ou alors très cher.

Une aide à domicile du service Acolade vient quotidiennement chez vous : pourquoi et comment avez-vous décidé de faire appel à une aide à domicile ?

Quelques jours après ma chute, je ne pouvais plus marcher. Les médecins qui m’ont alors auscultée ne m’ont pas dit précisément ce que j’avais, mais simplement que ce serait long pour marcher à nouveau. Et c’était vrai, nous l’avons vérifié. Au début, ce sont donc mes filles qui m’ont aidée puis, comme je ne remarchais toujours pas bien, elles ont cherché un service d’aide aux personnes âgées sur Internet et ont trouvé Acolade qui est près de chez moi. Véronique vient tous les jours, elle fait le ménage, les courses et les repas et j’en suis ravie. Je n’en changerai pas. C’est désormais essentiel pour moi. Sans elle, je ne pourrai pas rester chez moi, je serai contrainte d’aller en gériatrie. Or je viens d’être hospitalisée une semaine et je n’avais qu’une hâte, c’était de rentrer chez moi.

Si vous deviez quitter votre domicile, où souhaiteriez-vous aller ?
-    Chez vos enfants ?

Je ne veux pas aller chez mes enfants, ils ont leurs propres problèmes de santé, c’est pour moi non envisageable.

-    Dans une maison de retraite ?

Je n’ai pas envie d’aller en maison de retraite, et de toutes les façons je n’ai pas les moyens de payer 3000 euros par mois. Certaines personnes pensaient qu’elles allaient trouver le bonheur en allant en maison de retraite, mais, déçues, elles se laissent mourir. C’est la mort lente ce type d’établissement.   
-    Dans une résidence logements pour personnes âgées ?
Je ne souhaite pas non plus aller en résidence. Bien avant ma chute, avec une amie décédée aujourd’hui, nous avions visité la résidence Rinck pas très loin d’ici. Nous avions envie de voir à quoi ça ressemblait, on imaginait qu’une résidence pouvait être une solution pour nos vieux jours pour ne pas dépendre de nos enfants ; nous ne voyions pas l’avenir comme aujourd’hui. Mais les logements sont minuscules. Or, j’ai besoin de naviguer. Nous sommes donc restées chacune chez nous.

-    Dans une résidence logements intergénérationnelle où l’on peut croiser d’autres personnes âgées, des étudiants, des personnes handicapées de tous les âges, des personnes en transit dans la ville… ?
Ce type de résidence ne m’intéresse pas. Je ne veux pas déménager car je ne veux pas changer mes repères pour me déplacer. Quand je marche dans mon appartement je sais où sont les appuis, et je sais que je peux me déplacer sans risque de tomber. Je ne veux pas apprendre de nouveaux lieux.

Certaines de ces solutions, et notamment certaines maisons de retraite sont chères. Pensez-vous que l’Etat devrait plus aider les personnes âgées ou qu’il est tout à fait logique que les enfants prennent en charge leurs parents ?

L’Etat change d’avis, il fait des promesses qu’il ne tient pas. Dès que les gouvernants s’aperçoivent que leurs promesses coûtent cher, ils font marche arrière. Quand on augmente les retraites, on augmente aussi les retenues. Or, il serait juste qu’il y ait une vraie solidarité nationale car certaines familles ne peuvent pas assumer la charge de leurs parents.

Pour les générations à venir qui savent qu’elles vont vivre plus longtemps, ne pensez-vous pas qu’il est de leur responsabilité d’anticiper ce type de dépenses pour leurs vieux ?

Je ne suis pas devin, mais je ne suis pas certaine que l’on aille dans le bon sens. Quand je vois que certains font des enfants à quarante ou quarante-cinq ans, il est certain que lorsqu’ils seront vieux, ces enfants n’auront pas eu le temps de se faire une situation et ne seront donc pas en capacité d’aider leurs parents. C’est une question d’individu, de responsabilité. Certains ont du courage, d’autres se laissent aller. Les temps ont changé et il est difficile de prévoir l’avenir. Je ne sais pas comment vont évoluer les enfants d’aujourd’hui, je crois qu’ils grandissent trop vite. A sept ans, ils parlent comme des adultes, en savent autant que nous et répondent à leurs parents qui rigolent !
Les relations et le respect entre générations ont évolué. Les jeunes sont moins respectueux, mais on comprend pourquoi lorsque l’on voit les comportements insolents et violents qui sont présentés dans les films. La télé donne plus envie de tuer que de vivre !

Bénéficiez-vous d’une aide de l’Etat ou du département pour financer votre aide à domicile ?

A ce jour, je ne bénéficie d’aucune aide, mais ma fille a déposé un dossier à la maison du Rhône. C’est elle qui a pris cette initiative et qui s’est occupé du dossier. Si j’avais été seule, je ne sais pas comment j’aurais pu me débrouiller.

La sécurité sociale couvre t-elle l’ensemble des frais liés à vos traitements ou vos appareils ?
L’assurance maladie et ma mutuelle me permettent effectivement de bien me soigner.

Pensez-vous que l’on donne une place et une reconnaissance suffisantes aux personnes âgées dans la société d’aujourd’hui ?

C’est d’abord une histoire de famille. Soit les familles sont solidaires et ont les moyens de l’être, soit elles ne le veulent pas ou ne le peuvent pas. C’est toujours pareil, ceux qui ont de l’argent s’en sortent toujours. Beaucoup de personnes ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et on les laisse choir. La solidarité a ses limites. Or, il faudrait être plus attentif à ceux qui ont de petits moyens et qui ne peuvent pas se soigner. Aujourd’hui, il n’y a que l’argent qui compte : si tu en as, tu peux t’en sortir, si non, on te fait de belles promesses et on te laisse choir !