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La mise en place de systèmes de gouvernements métropolitains sur la base des Communautés urbaine

Interview de Jacques MOULINIER

Président délégué du Conseil de Développement de la Communauté urbaine de Lyon

<< Jacques Moulinier, Président délégué du Conseil de Développement de la Communauté urbaine de Lyon, a effectué quatre mandats, en charge, successivement, de l'urbanisme, du développement économique, et de la stratégie d'agglomération. Il est depuis la fin des années 1970, un acteur central dans la mise en place d'une politique métropolitaine appuyée sur une vision stratégique à long terme et sur des méthodes prospectives et participatives >>.

Jacques Moulinier, Président délégué du Conseil de Développement de la Communauté urbaine de Lyon, a effectué quatre mandats, en charge, successivement, de l'urbanisme, du développement économique, et de la stratégie d'agglomération. Il est depuis la fin des années 1970, un acteur central dans la mise en place d'une politique métropolitaine appuyée sur une vision stratégique à long terme et sur des méthodes prospectives et participatives.

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Date : 07/02/2002

Des mesures législatives récentes, en particulier la loi Chevènement, permettent d'envisager la mise en place de systèmes de gouvernements métropolitains, sur la base des Communautés urbaines. Pouvez-vous expliquer quels sont les enjeux qui président à la constitution de pouvoirs locaux globaux au niveau des agglomérations ?

La France doit pouvoir s'appuyer sur un certain nombre de grandes villes et ne pas centraliser à Paris et dans la région Ile de France les centres de décision publics et privés, comme elle continue à le faire. Si la France veut développer de grandes métropoles, il faut que le pouvoir local ne soit pas dispersé mais organisé à la bonne échelle. C'est un enjeu politique considérable pour notre pays et c'est la raison pour laquelle la bataille de la décentralisation doit être menée de manière vigoureuse.
Il existe déjà un gouvernement métropolitain à l'échelle de la Communauté urbaine. S'il a d'abord été l'addition des politiques des différentes communes, il est depuis une dizaine d'années un vrai gouvernement métropolitain. Le gouvernement métropolitain a besoin d'être renforcé en même temps que doit être organisée une politique de délocalisation structurée à l'intérieur du territoire communautaire. A mon sens, il faut que la Communauté urbaine conserve les fonctions stratégiques (urbanisme, développement économique, grands équipements), mais délocalise les fonctions de proximité. Il faut donc rechercher une nouvelle répartition du travail entre les communes et la Communauté urbaine. S'il y a un certain nombre de services qui gagnent à être mutualisés dans une logique d'efficacité, par contre, un certain nombre d'activités de proximité peuvent être décidées à un niveau local. Bien entendu, ceci ne signifie pas qu'il faille laisser aux communes le soin de "gérer les balayeurs". La Communauté urbaine doit se déconcentrer sur l'ensemble du territoire communautaire, peut être autour de cinq ou six pôles. Les services déconcentrés pourraient alors travailler avec les maires des communes concernées. Par ailleurs, certaines activités pourraient éventuellement être données aux communes.

 

Est-ce que la perspective de la constitution de gouvernements métropolitains ne va pas à l'encontre de la tradition étatique française, qui est à la fois centralisatrice, et repose sur les principes de l'unicité de la nation et du lien direct entre l'individu et l'Etat-nation ?

L'agglomération et la région sont les deux structures qui, à mon avis, doivent être renforcées. Je suis tout à fait partisan que l'on aille vers un système plus fédéral, que les régions notamment aient davantage de compétences, la capacité à expérimenter et à construire localement leur organisation, et peut être, à adapter les lois dans l'organisation du territoire comme cela a été proposé sans succès pour la Corse.
Cette bataille de la décentralisation, sa deuxième phase pourrait-on dire, est un grand enjeu. Si la France ne s'appuie pas sur ses grandes métropoles et ses grandes régions, elle s'affaiblit au niveau européen. 
Or, on constate pour toute une série de grandes décisions ayant trait à l'aménagement du territoire, que l'on reste dans l'esprit de la centralisation. L'affaire du troisième aéroport de la région parisienne est significative : au lieu de chercher à renforcer Saint Exupéry ou l'aéroport de Strasbourg, de Marseille, ou de Nantes, l'Etat décide de financer à hauteur de 5 ou 6 milliards d'euros un troisième aéroport. Le choix du TGV Paris Strasbourg va dans le même sens, et l'on peut penser que les investissements consentis auraient probablement été mieux affectés sur la liaison Lyon-Turin. 
La conséquence de ces choix apparaît dans les classement des Eurocités ou villes européennes : Paris est en première ou deuxième position, puis viennent très loin après Lyon, puis Lille et Marseille. 
Néanmoins, il faut reconnaître que l'intercommunalité a fait de gros progrès et a permis de donner à l'agglomération lyonnaise des capacités d'action et d'investissement très importantes.

 

Que deviennent les échelons territoriaux existants (communes, départements, région), quand une métropole se développe et suscite son propre système de gouvernance ? Pour éviter que ces collectivités se "marchent sur les pieds" en termes de compétences, une solution n'est-elle pas notamment la suppression des départements dans les zones les plus urbanisées ?

En réorganisant le territoire à partir de la capitale régionale, les villes métropolitaines italiennes offrent un bon modèle. Sur le territoire de Bologne par exemple, ville capitale de la région, toutes les fonctions attribuées à la province sont exercées par le gouvernement métropolitain. La ville capitale devient une sorte de district métropolitain avec de très larges vocations.
En France, une meilleure répartition du pouvoir local est à organiser. Il faut notamment réfléchir à l'avenir du département. Mais, dans ce type de réforme, il faut veiller à respecter deux principes : avant tout, il faut partir du citoyen et s'interroger : quel est l'échelon le plus efficace et utile au service au citoyen ? Une collectivité locale est en effet une grande entreprise de services. En second lieu, déclarer vouloir supprimer les départements en deux ans n'aurait pas de sens. Ce qui est important, c'est établir un calendrier en se donnant un délai précis en marquant des étapes. 
On peut prendre l'exemple des politiques culturelles pour mieux comprendre la question de l'échelon de l'action publique : je suis convaincu que la Communauté urbaine de Lyon doit jouer un rôle en matière de politiques culturelles. Mais cela ne signifie pas transférer la gestion des équipements, comme l'Opéra par exemple, à la Communauté urbaine. Il faut que la Communauté urbaine, sur des axes stratégiques qu'elle aura déterminé avec les communes et d'autres partenaires, établisse une politique culturelle au niveau de l'agglomération et donne, dans ce cadre, un appui aux communes qui pourraient garder par ailleurs des responsabilités fortes.

 

La Communauté urbaine sera-t-elle amenée dans l'avenir à mener des politiques dans tous les grands secteurs qui ne sont aujourd'hui soit pas, ou pas encore, de sa compétence, comme la santé ou l'éducation, soit d'une compétence qu'elle n'a pas encore saisie, comme la culture ?

Il y a des choix à faire et chaque fois il faut agir là où la Communauté urbaine peut apporter une vraie valeur ajoutée. Avant de toucher à tout, la Communauté urbaine doit fixer ses politiques, c'est-à-dire définir sa stratégie. Si sa stratégie la conduit à penser, comme j'en suis convaincu, qu'il faut « mettre le paquet » dans la santé au niveau de l'agglomération, alors la Communauté urbaine doit investir. De ce fait, on a contribué à la restructuration des Hospices Civils de Lyon. 
On intervient aussi dans l'université, dans la recherche, dans les grands équipements routiers, dans le cadre du contrat de Plan Etat-Région dont il faut souligner l'intérêt. Personnellement je suis très partisan de ce type de contrat. C'est une manière pour les collectivités locales de faire leurs choix et de se donner les moyens de conduire des actions stratégiques. 
Si l'on veut qu'une nouvelle gouvernance métropolitaine se mette en place, à la fois en termes conceptuels, politiques et sur la base d'une ouverture à la société civile, les actions prospectives et participatives sont essentielles. 

 

Pourriez-vous développer ce dernier point de la participation. A Lyon, comme d'ailleurs dans d'autres grandes villes européennes, on assiste, depuis quelques années, à la mise en place de procédures visant à associer la société civile à l'élaboration des choix stratégiques, notamment dans le cadre des Journées prospectives Millénaire 3 depuis 1998 et des activités du Conseil de développement depuis février 2001. Quel en sont les enjeux ?

Les procédures participatives et consultatives que nous avons mises en place avec Raymond Barre sont, dans le dispositif général, une ardente obligation. 
Il faut une démarche prospective, une démarche participative et une démarche qui s'inscrit dans le temps. Mais cet esprit là existait dès la fin des années 1980, lors de l'élaboration du plan "Lyon 2010", préalable au Schéma Directeur de l'agglomération, à la différence néanmoins qu'il n'y avait alors pas l'idée que cette démarche puisse être poursuivie de manière permanente. 
Dès le départ, la démarche Millénaire3 (initiée en 1997) s’est fondée sur ces trois principes, ainsi que sur un quatrième, celui de l'ouverture sur l'Europe, car les grandes villes françaises et l'Europe font partie de notre environnement quotidien. On aurait très bien pu avoir une démarche prospective en s'appuyant sur 20 experts, en arrivant au résultat auquel on est arrivé aujourd'hui. Mais toute la différence, c'est qu'au lieu de travailler avec 20 experts, on a mobilisé 2000 personnes qui forment le noyau de base nous permettant de communiquer avec la société civile.
Tout l'intérêt de l'action politique, c'est de faire des choix. Mais il faut aussi renouveler sans cesse la réflexion, avoir une vision à long terme et stratégique. Avec les Journées prospectives, nous évoquons ainsi une foule de questions, qui sont souvent hors compétences de la Communauté urbaine, mais qui éclairent la décision politique.
Certes, il existe encore de nombreux points faibles que l'on essaie de corriger. Il faut notamment veiller à ce que le Conseil de Développement ne se transforme pas en institution, car c'est une démarche et non une institution, et par conséquent cela doit être en permanence un espace ouvert à des personnes et à des idées nouvelles.

 

Comment se fait l'articulation entre les attentes et points de vues qui s'expriment au niveau du Conseil de Développement et les politiques menées par la Communauté urbaine ?

Le Président de la Communauté urbaine, Gérard Collomb, a compris l'importance de la démarche et il a par conséquent participé à nos travaux de manière régulière. Par ailleurs, le vice-président chargé du Conseil de Développement, Gilles Vesco, fait le relais avec l'exécutif communautaire et la Mission prospective fait aussi remonter des idées et propositions. On peut donc dire qu'il existe des relations satisfaisantes. Mais il faut veiller avec soin que l'institution communautaire puisse établir des liaisons permanentes avec nos organes, et que le Conseil de Développement puisse prendre des initiatives pour traiter des sujets qui nous paraissent importants.

 

Est-ce que les citoyens comprennent bien le fonctionnement de la Communauté urbaine, ce que sont ses compétences, ce que sont ses politiques. N'y-a-t-il pas un problème de lisibilité et un manque démocratique, au sens où les citoyens ne peuvent, par leur vote, influer sur les politiques menées ?

L'élection des conseillers communautaires au suffrage universel sera une bonne chose et devrait permettre d'exposer des politiques d'agglomération à nos concitoyens. Lors de telles élections, ceux qui se présenteront devront nécessairement parler de projets communautaires. Aujourd'hui, les élections sont municipales et on évoque peu les projets d'agglomération qui sont pourtant fondamentaux pour l'avenir des communes.
Il faudra être attentif à ce que cette évolution ne remette pas en cause l'implication des maires dans la Communauté urbaine. Les citoyens s'adressent au maire pour une quantité de choses. Celui-ci doit avoir une fonction de redistribution des questions posées, et également une vue globale de ce qui se passe à son échelon.
Ensuite, l'organisation territoriale devra être lisible par rapport au citoyen, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui. 

 

Le territoire de la Communauté urbaine n'est-il pas trop étroit pour mener des politiques globales en matière de développement économique, de transport ou d'équipements culturels ou sanitaires par exemple, qui concernent les habitants de la grande région lyonnaise et non de la seule agglomération ? Dans ce cas, la Région Urbaine de Lyon (RUL), qui correspond à l'aire d'influence et d'attraction de Lyon, peut-elle être un acteur dans la mise en oeuvre de ces politiques ?

Je suis convaincu que la RUL est extrêmement utile à la la Communauté urbaine et à la région Rhône-Alpes. Quand on se penche sur ce qui se passe dans d'autres villes européenne, avec par exemple la création de la région de Stuttgart qui a pris comme compétences les transports en commun et le développement économique, on comprend que cet échelon de la région métropolitaine est de plus en plus pertinent. 
La région métropolitaine lyonnaise est d'ailleurs en train de prendre de plus en plus de poids. La RUL peut donc être un outil d'organisation du territoire dans le cadre de domaines bien précis, là où elle apporte une vraie valeur ajoutée. Cela a été le cas dans le domaine de la logistique, où la politique menée a permi de reconnaissance de la grande région lyonnaise comme partenaire de Barcelone et de Rotterdam. C'est aujourd'hui le cas des transports en commun, et ce sera probablement à cette échelle qu'il faudra organiser le développement durable. 
Sur le plan de son organisation, il faut que la RUL reste une équipe très légère travaillant à la commande politique.
On peut très bien imaginer en France des régions urbaines autour des grandes villes. C'est à la fois un moyen d'exister au niveau européen, et d'effacer des limites administratives qui ne sont pas pertinentes sur un certain nombre de sujets.