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L’évolution de la prise en compte des personnes handicapées dans l’entreprise

Interview de Emeric FREL

<< Le mot « handicap » fait peur. La loi de 2005 a permis de supprimer l’appellation COTOREP devenue un nom commun discriminant, voire insultant et c’est une très bonne chose. >>.

Interview réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la Direction de la prospective et du dialogue public  sur le thème « Ville et handicap ».

Emeric Frel, 30 ans, est conseiller auprès des entreprises de l’association Exéco depuis 2008. Economiste de formation, spécialisé dans la stratégie et les projets dans l’entreprise et son environnement (Master de Sciences Po Grenoble), Emeric Frel a travaillé plusieurs années dans le conseil en création d’entreprise, puis dans le conseil en financement de projets auprès de différentes entreprises privées. Le choix d’intégrer Execo correspondait à la fois à sa volonté de poursuivre un métier en lien avec sa formation et de s’investir sur une thématique plus humaine et sociale, et moins économique et financière. Le statut associatif d’Execo n’est également pas neutre dans ce choix d’évolution professionnelle, offrant la possibilité de travailler dans une petite structure, en équipe, et dans une forme d’indépendance comparé à une certaine logique financière permettant d’accorder, peut-être, une plus grande attention à la qualité.

Située à Fontaine près de Grenoble,  Execo est une association sans but lucratif, créée en 1997 sous le nom de Ohé Conseil pour soutenir les grandes entreprises dans l’élaboration et à la mise en œuvre d’accord cadre en faveur de l’emploi des personnes handicapées. Entre une éthique sociale et une logique économique, l’équipe d’Exéco développe une approche résolument tournée vers le progrès social et la valorisation des compétences des personnes handicapées dans leur environnement professionnel.
Dans cet interview Emeric Frel développe la présentation de son activité, et relate l’évolution de la prise en compte des personnes handicapées dans l’entreprise : les apports de la loi 2005, les évolutions, mais aussi les freins qui demeurent. Il apporte également son point de vue général sur la formation et l’emploi des personnes handicapées, ainsi que sur l’évolution des solidarités et du regard sur le handicap en France.

Réalisée par :

Date : 29/06/2011

Execo au service des entreprises

Pouvez-vous nous présenter l’activité d’Execo ?

Aujourd’hui, forte d’une expérience de plus d’une dizaine d’années et d’une équipe de huit conseillers, Execo assure différentes prestations auprès des grandes entreprises à dimension nationale dans le domaine de l’emploi des personnes handicapées :
-    aide à l’élaboration et au pilotage des accords définis au sein de chaque entreprise,
-    soutien à la mise en œuvre de politiques handicap à travers divers outils et démarches innovants,
-    formation auprès des différents acteurs internes : comité de direction, ressources humaines, personnel d’encadrement et de recrutement, représentants du personnel…
-    développement d’actions de sensibilisation sous différentes formes d’évènements : pièces de théâtre - intervention d’associations à l’exemple d’handisport – mise en situation de handicap…
-    accompagnement des démarches de maintien à l’emploi : coordination de l’intervention et mise en lien des personnels de l’entreprise avec des spécialistes, par exemple en ergonomie pour l’aménagement des postes de travail, ou en gestion de l’information en direction des personnes déficientes au niveau visuel ou auditif…
-    aide au recrutement par la mise en relation entre des demandeurs d’emploi et des recruteurs : analyse des profils de poste, sélection de candidats…
Généralement, nous accompagnons les entreprises dans la durée. Dans un premier temps nous travaillons à l’élaboration de l’accord. Puis, lorsque l’accord a été discuté, élaboré et signé avec les syndicats, il fait l’objet d’un processus d’agrément par l’Etat et la mise en œuvre peut commencer. C’est alors le point de départ d’un partenariat sur plusieurs années.
EXECO est en charge d’un portefeuille d’environ 30 entreprises, réparties entre les 8 conseillers.

Pourquoi les entreprises font-elles appel à vous ?

Nous bénéficions d’une petite notoriété et d’un réseau de partenaires, et notre atout est de proposer une approche globale de la question du handicap dans l’entreprise. Par ailleurs, nous sommes spécialisés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’accords qui demeurent des dispositifs complexes pour les entreprises. Les personnels des ressources humaines sont peu formés à ces démarches réglementées et très encadrées. Et, pour certains, notre statut associatif  peut avoir un coté rassurant.

Généralement, qui est  votre interlocuteur  au sein de l’entreprise ?

Souvent lorsque l’entreprise prend contact avec nous, elle est dans une phase de réflexion et d’interrogation, et le plus fréquemment, nous sommes en relation avec les personnels des ressources humaines, des affaires sociales ou les chargés de mission handicap. Cependant, nous sommes de plus en plus en contact avec des équipes projet qui réunissent des personnes de la communication, des ressources humaines, des affaires sociales, des achats, voire de la direction.

Quelle vision du handicap percevez-vous chez vos interlocuteurs lors de vos premiers échanges ?

Il est très difficile de généraliser. Cependant, je note que nos interlocuteurs ont une vision de plus en plus réaliste du handicap. Bien sûr, des discours stéréotypés demeurent. Certains sont plutôt utopistes et généreux et supposent que la simple volonté va suffire à favoriser l’embauche de personnes handicapées. D’autres sont plus dubitatifs quand à la perspective de ces embauches. Certains personnels d’encadrement pensent ne pas être en capacité d’accueillir des personnes handicapées car les sites ne sont pas aménagés. On se heurte encore à l’image du handicap associée au fauteuil roulant, à l’amputation ou à la canne blanche. Or, le handicap visible ne représente que 8% des handicaps dans le monde du travail et seulement 4% des personnes handicapées en emploi sont en fauteuil. Cependant, les préjugés s’estompent peu à peu. La loi de 2005 porte ses fruits. Elle a généré de réelles prises de conscience grâce à l’information diffusée et aux réflexions posées dans l’espace public. De plus, souvent personnelle, la volonté d’agir des salariés des ressources humaines s’exprime plus fortement aujourd’hui. Ils nous demandent de les accompagner et d’apporter des éléments d’aide à la décision pour  convaincre les décideurs en interne, au sein de leur entreprise.

Quelle différence avez-vous pu observer dans l’approche de la question de l’embauche de personnes handicapées dans l’entreprise ?

Il est certain que les personnels des ressources humaines et ceux de l’encadrement ne partagent pas les mêmes points de vue. Les RH, en charge du recrutement de travailleurs handicapés, peuvent être confrontées aux réticences des managers, tenus à des objectifs de performance et craignant d’être pénalisés en embauchant des personnes handicapées. Ces dernières étant  perçues - à tort - comme moins rentables ou pouvant générer des difficultés au sein des équipes et ainsi impacter l’ensemble du travail d’un service. On peut aussi penser que les directions ont tendance à être plus prudentes dans les engagements pris et les syndicats plus ambitieux, mais là encore il faut se méfier des généralités.

Avez-vous observé de grandes différences d’approche entre les entreprises du fait de leur taille ou de leur secteur d’activité ?

Les plus petites entreprises que nous rencontrons ont des moyens moins importants et vont souvent à l’essentiel, c’est à dire au recrutement. Les plus grandes sont plus à même de développer des politiques globales. Concernant l’activité, nous avons l’habitude de distinguer le secteur industriel le plus générateur de problèmes de santé et de handicap, et le secteur tertiaire moins générateur, mais également moins en capacité d’embaucher des personnes handicapées compte tenu des profils dont il a besoin.

La loi de 2005 et le monde du travail

Pourquoi ne vous adressez vous qu’aux grandes entreprises ?

Nous travaillons effectivement avec de grands groupes comme Capgemini, Air Liquide, Caterpillar, Thales, Dassault Aviation, EDF, CNR, Areva, Tesseire, Cegid, Biomérieux, Merck Serono, Orange business service, ou encore des banques à l’exemple de BNP Paribas, de la Banque Populaire des Alpes ou du Crédit Mutuel de Bretagne.
Les petites entreprises de moins de 20 salariés ne sont pas tenues à des obligations d’embauche de personnes handicapées et seules les entreprises de plus de 50 salariés ont des représentations syndicales qui participent à l’élaboration des accords.

La loi de février 2005 impose aux entreprises à partir de 20 salariés d’employer 6% de personnes handicapées. En cas de manquement à cette obligation, l’entreprise est redevable d’une contribution d’environ 5000 euros par personne handicapée manquante, ce qui peut représenter un budget conséquent.

Si l’on prend l’exemple probable d’une entreprise de 3000 salariés qui comptabilise non pas 180, mais 60 personnes handicapées en emploi, soit 2% au lieu des 6% requis par la loi, elle devra dégager une enveloppe de 650 000 euros de compensation : ((180-60) x 5000). On imagine aisément l’ampleur des budgets que cela peut représenter dans de très grandes entreprises.
De ce budget, l’entreprise décide soit de le verser à l’Agefiph sous forme de contribution volontaire, soit, dans le cadre d’un accord collectif, de l’utiliser pour conduire une politique handicap au sein de son entreprise.  Cette politique peut se décliner à travers diverses actions, certes avec une obligation d’un nombre raisonnable de recrutements, mais également de maintien en emploi, d’information et de sensibilisation du personnel. C’est pourquoi nous incitons les entreprises à se mobiliser dans la mise en place d’accords négociés avec les syndicats. L’accord permet une réflexion et une implication collective dans la politique d’emploi de personnes handicapées au sein de l’entreprise. Il induit une dynamique globale qui ne se résume pas à l’embauche de quelques personnes handicapées. D’ailleurs le recours à l’accord est une solution vers laquelle les entreprises s’engagent de plus en plus et qui est vraiment intéressante. Elle permet d’accroitre le nombre de recrutements et d’engager un projet global à travers un plan d’actions plus ou moins ambitieux. C’est également pour les entreprises, une belle occasion de valoriser leur image. De fait, elles se saisissent ainsi vraiment de la problématique du handicap et participent aussi d’une amélioration des prises de conscience et de l’évolution du regard sur le handicap.

La mise en œuvre des accords dans les entreprises est-elle réellement contrôlée ?

Les entreprises qui signent un accord sont effectivement contraintes d’établir un bilan de leurs actions auprès des services de l’Etat concernés et de justifier la répartition des dépenses entre l’emploi, les actions de sensibilisation et d’information. Ces mesures sont très encadrées. En interne, la mise en œuvre de l’accord est également suivie par les organisations syndicales signataires de l’accord. Nous constatons toutefois que l’évaluation par l’Etat du bon déploiement de l’accord porte essentiellement sur une obligation de moyens, plus que sur une obligation de résultat (c’est le cas en période de crise par exemple, si l’entreprise n’atteint pas ses objectifs de recrutement du fait d’un gel des embauches).

Cette politique de quota de la loi de février 2005, qui incite les entreprises de plus de 20 salariés à employer 6% de personnes handicapées,  vous semble-t-elle indispensable ?

C’est une politique qui peut s’apparenter à une forme de discrimination positive dont le principe et les enjeux pourraient être discutés.
Cependant, ce que je constate c’est qu’effectivement les entreprises s’engagent sur la problématique du handicap et mobilisent des moyens qu’elles n’auraient pas mobilisés sans la loi.

Comment appréciez-vous la progression des entreprises vers cet objectif de 6% ?

Globalement, les entreprises augmentent leur taux d’emploi. Cependant, la plupart d’entre elles sont très loin de cet objectif et ne l’atteindront pas, ni à court, ni à moyen termes. Et ce n’est pas forcément par manque de volonté. L’embauche d’une personne handicapée reste souvent difficile. L’adéquation entre les profils de postes et celui des personnes est rarement facile. Mais, la loi est finalement respectée. Car, l’objectif de 6% n’est qu’une des modalités de réponse à la loi. En simplifiant, on peut dire que l’entreprise, pour être en accord avec la loi, peut décider de l’utilisation du budget « handicap » calculé sur la base de son taux de personnes handicapées en emploi. Elle peut soit décider de verser ce budget à l’Agefiph, soit s’engager dans un plan d’actions dans le cadre d’un accord. Et même si le nombre d’entreprises qui s’engagent dans cette voie est de plus en plus significatif, la majorité d’entre elles sont encore sur la première solution et s’acquittent donc chaque année d’une contribution « volontaire » à l’Agefiph, même si, par ailleurs, elles accroissent leur embauche pour en réduire le montant.

L’accueil de personnes handicapées nécessite parfois des aménagements de postes. Qui les prend en charge ?

Lorsque la médecine du travail préconise un aménagement de poste, l’entreprise est tenue de le réaliser et donc de le financer.
Dans le cadre d’un accord, l’entreprise dispose d’un budget pour cela, ce qui lui permet d’être plus ambitieuse et de proposer par exemple d’aller au-delà de la préconisation en engageant, par exemple, une réflexion sur le type d’aménagement à réaliser y compris avec des partenaires extérieurs (ergonomes…). Elle peut également financer sur ce budget des frais de déplacements spécifiques domicile/travail ou professionnels, et d’autres aides à la personne handicapée à l’exemple d’un véhicule adapté ou d’un recours à un auxiliaire de vie pour certaines tâches.
S’il n’y a pas d’accord, l’entreprise finance l’aménagement du poste sur ses fonds propres et peut demander un cofinancement par l’Agefiph, mais ces aides ne sont pas systématiquement accordées.

Quel est l’impact majeur de l’intégration d’une personne handicapée dans une équipe ?

Souvent, on note une évolution quant aux représentations du handicap. En effet, avant d’intégrer une personne handicapée dans leur équipe, les gens pensent le handicap à travers les classiques stéréotypes. Or, le fait d’accueillir une personne handicapée, lorsque le handicap a été compensé par un aménagement et d’autant mieux lorsqu’il n’en nécessitait pas, permet de démystifier le handicap. Quand l’intégration s’est bien passée, le handicap n’est plus la seule clé de lecture du nouveau collègue, c’est sa personnalité dans sa globalité qui est appréciée. Dans les situations où l’intégration est plus compliquée, les difficultés sur le fonctionnement de l’équipe ou les défaillances de la personne sont souvent mises sur le compte du handicap. Or, ce n’est pas toujours le cas, des questions de compétences ou de savoir être peuvent être en jeu.
Dans ces situations où il doit distinguer ce qui relève du handicap et ce qui n’en relève pas, le manager est souvent mal à l’aise, car le handicap demeure malheureusement la principale clé de lecture.

Quelles sont les transformations majeures que vous avez pu observer au sein d’équipes qui intègrent une personne handicapée ?

A chaque situation correspond une réalité. Cependant, l’intégration d’une personne handicapée peut permettre de repenser le fonctionnement d’une équipe. Par exemple, pour un collaborateur dont les capacités de mémoire et de concentration sont altérées, le manager va devoir transmettre ses consignes clairement, de façon écrite et ne pas se satisfaire de demander un travail oralement et de façon informelle. Ce mode de fonctionnement pour l’un interroge plus largement la circulation de l’information au sein de l’équipe ou du service, et peut être la source d’une évolution constructive des pratiques.
L’intégration d’une personne handicapée peut également générer un sentiment de succès collectif, celui d’avoir relevé un défi ou réussi un challenge, et sur lequel il est possible de capitaliser.
A l’inverse, il peut se développer des comportements de surprotection et d’exclusion, qui d’ailleurs fonctionnent souvent de pair. En effet, certains collègues peuvent avoir tendance à développer une relation sujette à trop d’enjeux humains et éthiques, à surprotéger la personne handicapée en dépassant son rôle de collègue jusqu’à se transformer en auxiliaire de vie. Ce n’est alors pas une intégration réussie. D’autant plus, que ces comportements peuvent générer en réaction chez d’autres collègues des attitudes ou des postures de déresponsabilisation  voire d’exclusion. Le manager doit alors intervenir pour que les modalités d’adaptation de l’équipe soient clairement définies et posées.
La meilleure preuve de réussite d’une intégration, c’est quand le regard sur le handicap s’efface au profit de celui porté à la personnalité et aux compétences du nouveau collègue

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En termes de bilan, note-t-on un fort pourcentage d’échec d’intégration ?

Comme dans toutes situations d’embauche, il ya bien sûr des échecs. Ce n’est toutefois pas la majorité des cas. Les raisons des situations d’échec sont diverses. Elles proviennent parfois de la non-adéquation entre les compétences de la personne et le profil de poste. Elles peuvent aussi provenir d’une prise en compte insuffisante du handicap et d’une absence de réflexion sur les aménagements organisationnels. Généralement, l’entreprise sait faire en matière d’aménagement matériel et technique, par exemple pour rendre accessible un bureau et l’adapter à une personne en fauteuil. Par contre, c’est beaucoup plus difficile et compliqué pour l’entreprise d’envisager des aménagements organisationnels comme la circulation de l’information, l’aménagement du temps de travail, l’organisation des pauses, l’évaluation de la charge de travail et des modalités de sollicitation.

Les personnes handicapées dans l’entreprise

Qui sont les travailleurs handicapés ?

C’est la CDAPH - Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées - anciennement COTOREP - qui reconnaît le statut de travailleur handicapé aux personnes dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites suite à une insuffisance ou à une diminution des capacités physiques et/ou mentales. Le statut de travailleur handicapé permet de bénéficier de la garantie de ressources, d'aides financières comme l’allocation compensatrice pour frais professionnels, parfois d'avantages fiscaux, et surtout de l'obligation d'emploi à laquelle sont soumis les employeurs du secteur privé et du secteur public.
On distingue cinq catégories de handicap : le handicap physique (paralysies, amputation, handicaps musculosquelettiques…), le handicap sensoriel (déficience auditive et de vue), la maladie invalidante (diabète, allergie, suite de cancer, sclérose en plaques…), le handicap psychique (dépression, paranoïa, trouble bipolaire …) et la déficience intellectuelle (trisomie…). La reconnaissance du statut de personne handicapée est liée à la situation professionnelle et pas seulement au handicap. Une personne allergique à la farine n’est handicapée que si elle est boulangère. C’est pourquoi le statut de personne handicapée n’est octroyé qu’en fonction d’une situation et pour un temps défini, généralement de trois à dix ans. Pour reprendre cet exemple simple, le boulanger devenu allergique à la farine ne sera plus reconnu travailleur handicapé après sa reconversion.

Pensez-vous qu’un nombre important de personnes n’ose pas se déclarer handicapées par peur d’être pénalisées par l’employeur ou stigmatisées par ses collègues ?

Selon l’Agefiph, il y a 630 000 personnes reconnues travailleurs handicapés en France en 2011. Et, on peut effectivement penser qu’elles pourraient être plus nombreuses. Nombre de personnes en recherche d’emploi ou en entreprise n’ose pas déclarer leur handicap. Une personne diabétique en recherche d’emploi aura tendance à cacher sa maladie pour ne pas effrayer son employeur potentiel sur ses capacités.   

D’une manière générale, si les personnes préfèrent cacher leur handicap, c’est par peur du regard des autres et parce qu’elles craignent d’être freinées dans leur évolution de carrière plutôt que d’être protégées. Dans la conscience collective, le terme de handicap fait peur. Dans la loi il aurait peut-être été préférable de parler de problèmes de santé ou de fragilités. Dans les représentations, le handicap est souvent de naissance et définitif, alors que ce n’est peut-être pas la plus grande majorité. Heureusement, par exemple, des maladies invalidantes se soignent et des maladies psychiques ne peuvent être que temporaires.

Les entreprises n’ont-elles pas d’abord intérêt à inciter à déclarer les personnes handicapées au sein de leur entreprise ?

C’est une évidence, les entreprises ont effectivement tout intérêt à ce que leurs collaborateurs qui rencontrent une problématique de santé soient reconnus comme travailleurs handicapés. Cela permet de progresser vers les 6% sans avoir à effectuer de recrutements, et cela permet d’être attentif aux besoins de ces salariés. Certaines entreprises ont même proposé des primes à ceux qui se déclaraient handicapés. D’autres développent des stratégies incitatives en proposant des aménagements de poste et d’horaires. D’une façon générale, la communication sur le handicap qui se diffuse aujourd’hui dans l’entreprise déclenche des prises de conscience et des demandes de reconnaissance. Il est important de poursuivre en ce sens car le monde du handicap est encore méconnu et l’objet de nombreux stéréotypes.
Il est primordial de faire prendre conscience de la diversité des situations de handicap, que ces dernières peuvent être temporaires, que dans une même entreprise, soit même ou l’un de ses collègues, peut avoir un jour le statut de travailleur handicapé, puis ne plus l’avoir trois ans plus tard.
Ne pas se focaliser uniquement sur la productivité et la rentabilité des personnes, mais également savoir prendre en compte les fragilités permettrait à l’entreprise d’être dans une plus grande acceptation du handicap.

Comment interprétez-vous le fait que les personnes handicapées aient un taux de chômage supérieur à celui des personnes valides ?

D’une manière générale, les personnes handicapées sont moins diplômées et moins qualifiées que le reste de la population active. Ce constat s’explique principalement par les origines du handicap. La plupart des handicaps sont acquis en cours de vie. Cette réalité va à l’encontre des a priori sur le handicap souvent pensé d’abord comme handicap de naissance. Seulement 15% des handicaps apparaissent avant 16 ans. 17 % des handicaps sont la conséquence d’une maladie ou d’un accident liés au travail, et une part importante provient de maladies aggravées avec l’âge. Je pense notamment aux troubles rhumatoïdes, à la déficience visuelle conséquente du diabète, ou encore aux symptômes de la sclérose en plaques qui s’amplifient avec le vieillissement.
Or, en caricaturant on peut avancer que la plupart des personnes qui deviennent handicapées en cours de vie sont des personnes qui occupent des emplois peu qualifiés ou qui ont des métiers manuels. Aussi, lorsque que, empêchées par leur handicap, elles ne peuvent plus continuer à travailler, elles viennent accroître le nombre des personnes en recherche d’emploi peu qualifiées et peu diplômées.  

A votre avis, quelles dispositions faudrait-il prendre pour améliorer la formation des personnes handicapées ?

Il y a un véritable enjeu de formation pour les personnes qui en cours de vie sont contraintes de s’engager dans une reconversion, à l’exemple de la personne qui ne peut plus travailler sur un chantier.
Cependant, il conviendrait également de progresser dans le domaine de la formation initiale et notamment de mieux accompagner les étudiants handicapés. En effet, les jeunes qui ont une pathologie « légère » n’engagent pas de démarche de reconnaissance administrative de leur handicap.
Certes, les écoles et les universités vont tout de même faciliter leurs conditions de formation, mais ils n’ont pas ce statut de travailleur handicapé.
Or, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé peut faciliter l’accès des étudiants handicapés aux stages ou à l’alternance en entreprise. Les entreprises sont d’ailleurs demandeuses de partenariats, notamment avec les grandes écoles, pour accueillir en stage des étudiants en situation de handicap dans l’idée de les embaucher par la suite. Aussi, informer les jeunes pour les inciter, le cas échéant, à demander le statut de travailleur handicapé permettrait de faciliter leur insertion dans l’entreprise et ainsi leur employabilité. Il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux dispositifs, mais de mieux informer les jeunes et les acteurs des mondes de l’enseignement et du travail.

A votre avis, quelles dispositions faudrait-il prendre pour améliorer l’accès à l’emploi des personnes handicapées ?Aujourd’hui, il existe déjà différents dispositifs performants dédiés à la reconversion ou à l’accès à l’emploi des personnes handicapées.
Cap emploi est l’acteur incontournable dans ce domaine. Le volet handicap de pôle emploi offre également un accompagnement. A partir de ces structures, il est possible de faire appel à de nombreux dispositifs.
Pour progresser, il faudrait également agir sur les représentations. Le mot « handicap » fait peur à beaucoup de monde, aux employeurs, mais aussi aux personnes handicapées qui ne veulent pas de cette image. La loi de 2005 a permis de supprimer l’appellation COTOREP devenue un nom commun discriminant, voire insultant et c’est une très bonne chose. On peut se demander si ne plus utiliser le terme handicap, pour le remplacer par un terme moins stéréotypé, ne ferait pas changer aussi les mentalités.

Pourquoi est-ce si important de travailler pour les personnes handicapées ?

Il est tout aussi important pour une personne handicapée de travailler que pour toute autre personne. La population handicapée est comme toute population. Elle abrite des personnes ambitieuses qui sont attachées à la progression de leur carrière, et d’autres qui le sont moins. Toutefois, il est probablement plus difficile pour une personne handicapée d’accepter une situation de non emploi et l’inactivité est plus dure à gérer. Certaines peuvent alors développer des postures de revendication pensant que la société qui les a « abîmé » leur doit un travail. D’autres ne souhaitent pas faire valoir leur handicap dans le cadre de leur recherche d’emploi. Certes le handicap peut être un frein à l’emploi, mais c’est le manque de confiance en soi et les craintes du recruteur qui sont souvent le plus pénalisantes.

Evolution des solidarités et du regard sur le handicap

D’une manière générale pensez-vous que notre société soit de plus en plus solidaire envers les personnes handicapées et progresse-t-on vers un véritable principe d’égalité ?

Le handicap est un désavantage qu’il convient de compenser pour répondre à un principe d’équité. Globalement la situation d’acceptation du handicap n’est pas satisfaisante que ce soit en termes d’image, de taux d’emploi ou d’accessibilité. Toutefois, les choses s’améliorent plutôt bien. Par exemple, dans les villes, l’accessibilité fait l’objet de grands chantiers. La loi de 2005 a largement contribué à la mise en œuvre d’une dynamique intéressante.

Dans quel sens évolue le regard sur le handicap ?

Le regard sur le handicap évolue plutôt dans le bon sens. Cependant, nous sommes dans une société où l’image a une place de plus en plus importante et qui prône la réussite individuelle et l’autonomie. Aussi, le regard sur le handicap est plus compliqué aujourd’hui qu’il y a quelques dizaines d’années lorsque le handicap était encore géré dans le cercle familial. Désormais, l’autonomie revendiquée des personnes handicapées suppose leur insertion en milieu ordinaire, en dehors de la famille, et visiblement la société ne s’était pas suffisamment préparée à ces évolutions. On est passé de la sphère familiale, privée à la sphère publique sans que cette dernière anticipe suffisamment ce changement.