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Une start-up dans un milieu très réglementé : l'exemple d'Ekwateur

Interview de Jean-michel Blanc

Portrait de Jean-Michel Blanc
Responsable d'exploitation, EkWateur

<< La façon dont on produit de l’énergie va beaucoup changer et derrière c’est tout un écosystème aujourd’hui très centralisé qui est amené à évoluer >>.

La Métropole de Lyon conduit une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuie notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre

Jean-Michel Blanc a rejoint ekWateur en juillet 2016, il est responsable d’exploitation, en charge du développement des services en ligne. Cette start-up créée en 2015 se positionne comme un « fournisseur collaboratif » d’électricité verte et de gaz naturel pour les particuliers et les entreprises ou les collectivités, sur un marché de la fourniture d’énergie de plus en plus concurrentiel. 

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Date : 30/06/2017

Quelles sont les étapes fondatrices d’ekWateur ?

EkWateur a été créé en novembre 2015 par quatre associés qui viennent du monde de l’énergie, passés pour certains par Direct Energie ou Lampiris, le fournisseur alternatif d’énergie belge implanté en France (depuis renommé Total Spring). Le développement est allé assez vite : quelques mois après sa création, ekWateur a commencé à recruter de nouvelles personnes, et en juillet 2016 une centaine de clients testeurs sont devenus des ambassadeurs de la marque.

En septembre 2016, nous avons levé 240 000€ (soit plus que ce qui avait été demandé initialement !) via la plateforme de crowdfunding Lumo, spécialisée dans l’épargne participative pour le financement de projets d’énergies renouvelables. L’offre commerciale a été lancée le 13 septembre 2016 auprès des particuliers et des petits professionnels. Au début de l’année 2017, nous avons fait une nouvelle levée de fonds de deux millions d’euros, cette fois auprès des fonds d’investissement Aster, BNP Paribas Développement et Bouygues Telecom Initiatives.

Sur quels territoires êtes-vous particulièrement implantés pour l’instant ?

ekWateur fournit tout le territoire français hors Corse. Nous sommes notamment implantés dans certaines villes couvertes par une entreprise locale de distribution, soit un réseau et un fournisseur unique, comme par exemple à Grenoble avec GEG (Gaz et Electricité de Grenoble). A ce jour, nous fournissons en énergie environ 12 000 compteurs[1] ; des particuliers mais aussi des collectivités et des entreprises. Nous avons par exemple gagné un appel d’offre de l’Etat l’année dernière et fournissons désormais des grands sites comme l’Institut National de l’Audiovisuel, les Voies Navigables de France, l’Université Paris Sorbonne et même l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME).

Nous adressons le niveau national, mais l’objectif est aussi d’avoir une implantation locale pour nous permettre d’être au plus proche des producteurs d’énergie renouvelable sur les territoires d’une part, et des villes et des appels d’offre publics qu’elles passent d‘autre part. Nous sommes une start-up parisienne mais l’ancrage régional est important pour nous ; et il passe notamment par notre présence à Lyon. Tout récemment, grâce aux enchères inversées organisées par l’UFC-Que Choisir pour lesquelles nous avons remporté le lot « Electricité : soutien aux petits producteurs de renouvelable », nous maillons le territoire avec notre réseau de 37 petits producteurs d’électricité indépendants.

[1] 12 000 au moment de l’entretien et plus de 50 000 fin 2017.

Que vous apporte l’écosystème lyonnais ?

Tout d’abord le territoire est intéressant car favorable aux partenariats publics-privés autour de l’énergie comme à Confluence, et riche de façon générale d’initiatives autour de la smart city comme l’illustrent les activités du Tubà.

Ce dernier est pour nous tout à la fois un lieu de travail et un moyen d’accéder à un réseau d’acteurs avec qui nous pouvons envisager des collaborations : on y croise des grands comptes comme Véolia, APRR ou Alstom, des entreprises publiques distributrices d’énergie, Enedis et GRDF, avec qui nous travaillons quotidiennement et des start-up. Nous pouvons suivre l’évolution et les changements de stratégie de ces dernières, cela nous nourrit. Nous menons actuellement un partenariat avec Yoyo qui développe des outils incitatifs au tri des bouteilles en plastique, ainsi qu’avec Home In Love qui accompagne la mobilité professionnelle et qui est devenu prescripteur de notre solution.  Le Tubà nous permet aussi de participer à des ateliers animés autour des citoyens et de leur rapport à l’énergie : l’ElectrYclub à Confluence, où une fois par mois a lieu un atelier avec des habitants du quartier qui échangent sur l’autoconsommation notamment. Cela nous permet d’avoir des retours clients intéressants.

Les perspectives en matière d’open data sont également prometteuses pour nous : le Tubà nous aide à explorer des pistes sur ces enjeux. En donnant accès à nos interfaces de programmation à un partenaire, celui-ci va pouvoir exploiter ces jeux de données et développer des outils pour promouvoir de nouveaux usages autour de la maîtrise des consommations par exemple.

Comment vous positionnez-vous par rapport aux autres fournisseurs dits « alternatifs » d’énergie ?

Nous nous définissons en effet, comme d’autres, comme fournisseur « alternatif » d’énergie, en concurrence avec de grands acteurs du secteur que sont EDF et Engie. Notre différence par rapport aux autres alternatifs réside dans le fait que nous vendons uniquement de l’énergie renouvelable sur la base de garanties d’origine. Ces dernières nous permettent d’attester que les producteurs d’énergie avec lesquels nous travaillons ont injecté autant d’énergie verte sur le réseau que ce que nos clients ont consommé. Alors qu’il n’est pas possible aujourd’hui de tracer la « couleur » de l’énergie qui arrive chez les clients, car elle passe par un même réseau, ce système de garanties d’origine permet de redonner le choix aux consommateurs sur le type d’énergie qu’ils souhaitent pouvoir injecter sur le réseau. Une de nos particularités est de vendre de l’électricité 100% renouvelable et du gaz biométhane (provenant de la fermentation de produits agricoles – contrairement au gaz naturel qui est une énergie fossile obtenue par extraction).

Il y a donc désormais du choix pour les consommateurs en matière de fourniture d’énergie. Qu’est-ce qui vous différencie fondamentalement ? Quelle est l’originalité de votre offre ?

ekWateur est surtout le premier fournisseur d’énergie collaboratif, c’est-à-dire que nous essayons d’associer de différentes façons les consommateurs à notre offre. Nous leur permettons tout d’abord d’investir dans la société s’ils le souhaitent

Notre métier consiste à proposer des offres d’énergie les plus simples possibles mais qui s’adaptent au mieux au profil des clients. Nous proposons quelques options (producteur local ou non, tarif fixe ou variable, etc.) mais nous essayons d’aller à l’essentiel pour que l’offre soit la plus lisible pour le consommateur. Nos offres sont également sans engagement. Nous allons aussi développer des services associés en s’appuyant sur les compteurs intelligents mis en place par les distributeurs. 

ekWateur est surtout le premier fournisseur d’énergie collaboratif, c’est-à-dire que nous essayons d’associer de différentes façons les consommateurs à notre offre. Nous leur permettons tout d’abord d’investir dans la société s’ils le souhaitent. Ils peuvent également devenir ambassadeurs d’ekWateur et être rémunérés à ce titre en participant au service client par chat ou par téléphone. Ils partagent leur expérience auprès de futurs clients et répondent à leurs interrogations. Nous avons aussi mis en place un système de « gamification » où les clients qui ont fourni le plus d’informations sur leur profil gagnent des points de fidélité qui leur donnent des réductions sur nos services partenaires. L’ouverture de nos données pour que d’autres start-up les utilisent s’inscrit également dans cet esprit de collaboration, d’ouverture et de transparence. Enfin, nous sommes les premiers à accepter les SolarCoins, la monnaie virtuelle de l’énergie photovoltaïque, comme mode de règlement des factures. Nous accompagnons nos clients vers l’autoproduction et l’autoconsommation de leur énergie (produite via du photovoltaïque par exemple) et nous promouvons ce modèle. Nous achetons l’énergie ainsi produite en surplus et complétons avec notre énergie en cas de baisse de production. Nous nous inscrivons largement dans la tendance à l’autonomisation du consommateur face à l’énergie : nous voulons qu’il puisse choisir son fournisseur évidement, mais aussi son producteur d’énergie localement, et en l’incitant à l’autoconsommation.

Sur quels équilibres repose actuellement votre modèle économique ? Et quelles sont vos perspectives d’évolution ?

Pour l’instant, nous connaissons une bonne croissance, mais pour se stabiliser et passer de la start-up à la PME il faut au moins 3 ans.

Nous avons globalement trois canaux pour trouver de nouveaux clients : une croissance organique liée à la communication et à notre système de parrainage, les comparateurs d’énergies et les achats groupés (MGEN, Smile, UFC-Que Choisir, etc.) qui peuvent intégrer nos solutions. Notre modèle repose sur un abonnement mensuel couplé à un tarif de l’énergie au kilowattheure plus faible. Notre objectif est d’être lisible et accessible : nos clients faisant en moyenne 100€ d’économie par an sur leur facture. Nous réalisons en réalité une marge infime sur la vente d’énergie ; nous investissons donc sur la partie service et en particulier les économies d’énergie pour nos clients. Nous avons par exemple un partenariat avec la start-up Espaciel qui améliore l’éclairage naturel des logements et permet ainsi de diminuer les dépenses énergétiques liées à l’éclairage.

Pour l’instant, nous connaissons une bonne croissance, mais pour se stabiliser et passer de la start-up à la PME il faut au moins 3 ans. Nous souhaitons rester indépendant, conserver notre état d’esprit et notre capacité d’innovation : nous n’avons pas peur de relever des défis, nous tentons des choses même si cela ne fonctionne qu’une fois sur quatre… ! Nous sommes par exemple précurseurs dans l’implantation sur territoires couverts par des entreprises locales de distribution et proposons une alternative à ces monopoles locaux.

Nous fournissons également des services aux professionnels petit à petit, en développant un système d’information performant pour qu’il soit souple et évolutif, et évidemment en continuant à nouer de nouveaux partenariats. Nous envisageons également de faire d’autres levées de fonds : nous avons besoin de trésorerie de façon générale pour gérer nos volumes d’achats d’énergie, ainsi que pour recruter de nouveaux experts en informatique pour développer notre système d’information. Notre cœur de métier c’est surtout l’informatique et c’est grâce à notre système d’information performant et nos innovations que nous maîtrisons un coût de structure faible dont nous faisons bénéficier nos clients.

L’énergie est un secteur particulièrement contraint sur le plan réglementaire, mais aussi en pleine mutation. Comment une start-up comme la vôtre perçoit ce cadre législatif ? Quels sont les enjeux d’ekWateur en la matière ?

Notre juriste en interne est épaulée par un cabinet d’avocats, pour faire face à la complexité et aux évolutions législatives. C’est une compétence indispensable et on ne peut se permettre de développer uniquement la partie services, il faut aussi s’armer.

C’est en effet un secteur très réglementé : donc nous nous préparons à prendre des murs mais aussi à en casser. Notre juriste en interne est épaulée par un cabinet d’avocats, pour faire face à la complexité et aux évolutions législatives. C’est une compétence indispensable et on ne peut se permettre de développer uniquement la partie services, il faut aussi s’armer.

La question des tarifs réglementés est un enjeu important pour nous. Leur maintien est aujourd’hui avant tout utile aux fournisseurs historiques alors que les nouveaux acteurs comme nous sont capables de proposer des tarifs de marché moins élevés. Le métier originel des fournisseurs historiques est d’être des énergéticiens, des producteurs d’énergie, alors que notre métier à nous est de réduire la facture énergétique de nos clients et de bien connaître leurs besoins. Mais les acteurs historiques ont désormais bien pris conscience de ces changements, ils s’adaptent et proposent des offres d’énergie verte et des offres aux tarifs de marché. Ils se rapprochent des start-up en organisant des hackathons ou en entrant au capital.

La réglementation autour des taxes que nous payons pour l’utilisation du réseau nous affecte évidemment directement aussi. Il existe actuellement trois taxes pour l’électricité et quatre pour le gaz, elles peuvent être différentes selon les Communes. La complexité et les évolutions de ce système de taxes impactent au quotidien notre mode de tarification.

Nous sommes également particulièrement sensibles à la sécurisation des données personnelles de nos clients, entrant dans le cadre de la CNIL et du RGPD (Règlement Européen sur la Protection des Données). 

Quel rôle un acteur, nouvel entrant sur le marché comme vous, peut éventuellement jouer dans l’évolution du cadre réglementaire ?

Le Médiateur de l’énergie et la Commission de Régulation de l’Energie peuvent être des ressources très utiles en matière réglementaire. Nous sommes en contact très régulièrement avec cette dernière qui est l’autorité en charge de la régulation du marché : nous avons déclaré notre activité auprès d’elle et participons régulièrement aux réunions de travail qu’elle organise. C’est une scène de lobbying importante pour l’évolution de la réglementation où l’on essaye d’être présents.

Mais il est clair que la politique énergétique est largement alimentée par un jeu de lobbying auprès du ministère, avec un poids historiquement important du lobby nucléaire. Nous avons également l’occasion de discuter des enjeux de la collaboration avec les distributeurs Enedis et GRDF lors de tables rondes réunissant ces derniers et l’ensemble des fournisseurs.

Pour finir, y a-t-il d’autres enjeux majeurs pour le secteur de l’énergie que vous identifiez et qu’on n’aurait pas encore eu l’occasion d’évoquer ?

La blockchain est une technologie prometteuse qui devrait permettre de fluidifier ce type de transactions

La façon dont on produit de l’énergie va beaucoup changer et derrière c’est tout un écosystème aujourd’hui très centralisé qui est amené à évoluer. On se dirige vers une production locale organisée par des smart grids qui ajustent et équilibrent les flux. L’autoconsommation est ainsi un sujet majeur : la réglementation évolue favorablement pour nous sur ce point. Alors qu’avant 2016 on devait nécessairement revendre l’énergie qu’on avait produite à EDF on peut désormais la consommer ou la revendre à d’autres. La blockchain est une technologie prometteuse qui devrait permettre de fluidifier ce type de transactions. Mais tout dépend de la façon dont la loi va pouvoir accompagner ces évolutions. Le gouvernement s’était engagé pour que 50% de la production soit renouvelable en 2025 mais l’on s’aperçoit bien qu’en l’état c’est intenable. Le secteur nucléaire est imposant et c’est encore important de ne pas trop frustrer les acteurs historiques.

Nous regardons aussi évidemment ce que fait Tesla avec le Powerwall qui offre des capacités de stockage d’énergie chez soi. La stratégie de développement de l’entreprise est particulièrement intéressante : elle vise d’abord un public limité avec des produits hauts de gamme puis parvient à baisser leur prix progressivement pour s’adresser à une clientèle bien plus large. Il existe aussi d’autres solutions de stockage de l’électricité qui ont l’air prometteuse : le stockage sous forme hydrogène, avec des véhicules et même des vélos à hydrogène.