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Une place de marché mutualisée pour répondre aux besoins des habitants

Interview de Geneviève BECOULET

Illustration représentant un marché

<< Notre conviction est que l'appropriation des outils numériques par les commerces de proximité représente un potentiel considérable, une opportunité qui permettra d'éviter leur déclin >>.

Manager de centre-ville et coordinatrice de l'économie locale à la Ville de Sceaux (Hauts-de-Seine), Geneviève Becoulet est responsable de « sceaux-shopping.com », place de marché mutualisée dédiée aux commerçants de proximité. 

Dans cet interview, Geneviève Becoulet évoque l’origine du projet « sceaux-shopping.com », les conditions et les enjeux de sa mise en œuvre, ainsi les perspectives de développement à l’avenir.

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Date : 17/04/2014

Pouvez-vous nous expliquer l’origine du projet « sceaux-shopping » ?

différentes évolutions nous obligent à repenser les liens qui unissent consommateurs et commerces de proximité.

L’historique du projet c’est d’abord une volonté commune de la ville de Sceaux et de l’Union des commerçants de mieux répondre aux évolutions des nouveaux modes de vie et de consommation. Par exemple, on constate que les consommateurs « nomades » et le rythme de vie des salariés ne correspondent plus aux horaires des commerçants. De même, le e-commerce et le m-commerce sont en pleine expansion et transforment les pratiques de consommation ainsi que la concurrence dans le secteur du commerce. A cet égard, nous avons beaucoup d’étudiants qui viennent sur Sceaux tous les jours et ceux-ci sont très friands des nouveaux modes de consommation « cross-canal ». Autrement dit, différentes évolutions nous obligent à repenser les liens qui unissent consommateurs et commerces de proximité. Notre conviction est que l’appropriation des outils numériques par les commerces de proximité représente un potentiel considérable, une opportunité qui permettra d’éviter leur déclin. J’ajoute qu’un autre enjeu de la place de marché est de faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à l’ensemble des produits et services des commerces de proximité.
Cette prise de conscience a amené la ville de Sceaux et l’Union des commerçants à envisager la création d’une plateforme de e-commerce mutualisée avec l’ambition de donner aux commerçants indépendants de Sceaux les mêmes moyens que les grandes enseignes pour développer une activité commerciale en ligne. Pour être plus précise, au départ les commerçants envisageaient seulement un site vitrine. Mais nous nous sommes rapidement rangés à l’idée que cette option n’était pas suffisante compte tenu du potentiel de développement que représentait la vente en ligne. Bien évidemment, le lancement du projet ne s’est pas décidé en un jour. Il y a eu toute une phase d’étude et de concertation avec les commerçants. Nous avons mobilisé un cabinet d’étude pour tester l’idée auprès des consommateurs. Nous avons également fait intervenir la Chambre de Commerce et d’Industrie auprès des commerçants afin d’aborder plus en détail les enjeux et les potentialités de la vente en ligne. Ces différents éléments de diagnostic convergeaient tous vers l’idée qu’il y avait besoin d’apporter quelque chose de plus par rapport à toutes les initiatives que l’on avait pu voir jusque-là en matière d’accompagnement du commerce indépendant, quelque chose qui soit à la hauteur de ce que proposent les grandes enseignes du commerce en ligne. Nous avons également fait le constat que l’on avait des commerces de proximité en capacité de proposer une offre de biens et de services étoffée. 

La mise en œuvre d’un tel projet implique de faire des choix stratégiques, techniques, financiers, etc. Comment avez-vous procédé ? Vous-êtes-vous appuyés sur une expertise externe ?

Après avoir validé le principe d’une place de marché mutualisée, nous avons commencé à travailler sur un projet de cahier des charges avec la Chambre de Commerce et d’Industrie du 92 et l’Union des commerçants, afin de définir ce que l’on imaginait et ce que l’on attendait de cette future plateforme. Et encore une fois, cela a pris un certain temps, plus d’une année, car nous avons voulu associer les commerçants, recueillir leur réactions et leurs souhaits. Sur la base de ce cahier des charges, nous avons alors consulté les meilleures sociétés spécialisées en matière de e-commerce afin de leur demander si elles étaient capables de mettre en musique notre projet. Leur réponse a été positive mais elles nous ont aussi indiqué que cela représentait un investissement financier important. Nous nous sommes alors tournés vers notre partenaire la CCI pour lui demander de porter financièrement le projet, en partant de l’idée qu’il s’agissait d’une expérimentation pouvant déboucher sur un modèle reproductible sur d’autres territoires. Ce qui a conduit la CCI à prendre en charge le développement du site en sollicitant les prestataires les mieux adaptés. Il faut également souligner le fait que le groupe La Poste est rentré assez rapidement dans la boucle. Ayant eu connaissance de l’initiative, son président a souhaité participer à la démarche en apportant leur concept Cityssimo, service de retrait de colis par consigne automatique. Il s’agissait plus précisément d’expérimenter pour la première fois ce principe de consigne sur l’espace public à la sortie de la gare RER de Robinson.
Dès le départ, nous avons préféré commencer avec une vingtaine de commerçants, alors que bien d’autres auraient souhaité s’engager à ce moment là. Notre volonté était de nous donner les moyens de bien démarrer avec un groupe restreint, d’ajuster le dispositif progressivement pour trouver la bonne formule. De notre point de vue, il ne servait à rien de vouloir se lancer avec le maximum de commerçants si l’on n’a pas les équipes en back-office pour gérer le dispositif.

Quel est le rôle des commerçants dans le fonctionnement de la place de marché ?

Avec la plateforme, le commerçant dispose d’un canal supplémentaire de vente qui lui permet de proposer un service complémentaire à ses clients actuels et d’attirer de nouveaux clients

Avec la plateforme, le commerçant dispose d’un canal supplémentaire de vente qui lui permet de proposer un service complémentaire à ses clients actuels et d’attirer de nouveaux clients. Concrètement, grâce au back-office de la boutique en ligne, le commerçant peut gérer directement son catalogue produits, ses promotions, ses commandes et ses clients. Il peut exposer autant de produits qu’il le souhaite, mais cela implique de les photographier et d’apporter les éléments d’information adéquats (coloris, taille, etc.). Un soin particulier a été porté à la garantie d’une qualité de service au travers de la signature de la Charte d’engagement e-commerce de qualité qui engage le commerçant auprès de ses futurs clients.
Bien évidemment, les commerçants ont reçu par la CCI une formation afin qu’ils appréhendent l’utilisation de l’interface et les logiques de la vente en ligne, par exemple en ce qui concerne le choix des produits à mettre en ligne. Mais cela ne suffit pas. Il faut sans cesse revenir vers eux afin de leur apporter des éléments complémentaires. Et puis, au-delà de nos conseils, ils ont besoin de tester par eux-mêmes, de se rendre compte que telle solution est peut-être meilleure qu’une autre.
En fait, la principale difficulté pour les commerçants indépendants est le manque de temps. La plate-forme mutualisée est une réponse à leur manque de moyens financiers. En revanche, il reste difficile pour eux d’être en capacité de s’investir comme il faudrait pour développer « ce nouveau métier ». Ils nous disent souvent « ça m’intéresse, j’ai envie de m’engager plus, mais je n’ai pas le temps car j’ai toujours une montagne de choses à faire… ». Certains ont la chance d’avoir de jeunes employés qui sont plus en phase avec les nouvelles technologies. Mais pour d’autres, cela demande une implication beaucoup plus lourde à assumer. Un enjeu important pour nous est donc d’arriver à aider ceux qui rencontrent le plus de contraintes pour développer leur activité en ligne. C’est un aspect essentiel de la mutualisation attendue par les commerçants !
D’une manière générale, il est essentiel de faire cela dans la concertation. Il ne faut pas imaginer que les choses vont s’enclencher tout d’un coup en quelques mois. Il faut laisser du temps pour que le processus s’enracine, murisse. Mais nous ne sommes pas inquiets car nous savons que la mayonnaise est en train de prendre. Tous les commerçants qui ont adhéré à la plateforme y croient ! 

Après quelques mois d’existence, est-ce qu’il est possible de faire un premier bilan ?

Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons aujourd’hui une moyenne de 130 visites par jour, avec un panier moyen de 25 euros, et moins d’une centaine de commandes au total depuis le lancement de la place de marché en septembre dernier. Ces chiffres sont encore très modestes, nous en sommes bien conscients. Mais cela est normal dans la mesure où notre préoccupation jusqu’ici a été de rendre opérationnel le dispositif. 

Comment envisagez-vous la montée en puissance de la place de marché ?

Après cette période de rodage, le développement de l’activité devrait s’accélérer car nous entrons dans une nouvelle étape où nous allons commencer à exploiter les leviers de croissance des grands acteurs du e-commerce. Premièrement, nous allons élargir l’offre en ouvrant progressivement le dispositif à l’ensemble des commerçants qui souhaitent participer, en les incitant à mettre davantage de produits en ligne, en proposant des offres croisées entre commerçants, etc. Ensuite, nous allons lancer une campagne de communication pour faire connaitre la place de marché, chose que nous n’avions pas faite jusqu’ici. Nous allons également élargir les modes de livraison proposés aux clients, avec la mise en place d’une livraison en « points relais » répartis sur les différents quartiers commerçants de la ville (avec des créneaux horaires adaptés aux besoins de la majorité des clients) et la livraison à domicile en véhicule propre que nous envisageons à titre expérimental avec La Poste. Cette question de l’évolution des modes de livraison est en train d’être discutée avec les commerçants pour voir avec eux jusqu’où ils veulent aller dans la prise en charge des coûts. Enfin, pour assurer la gestion de la place de marché dans la durée, il sera nécessaire de créer une structure ad hoc et de recruter une personne. Cette structure prendra vraisemblablement la forme d’une association afin de garder la possibilité d’intégrer de nouveaux partenaires dans le dispositif.

D’une manière générale, quel est le modèle économique de la place de marché ?

Je peux apporter deux réponses à votre question. En premier lieu, notre objectif est que la place de marché trouve à termes son propre équilibre économique, c’est-à-dire que le chiffre d’affaires permette de couvrir les dépenses liées à l’animation de la plate-forme et aux livraisons. Toutefois, il faut avoir conscience que la rentabilité est particulièrement difficile et longue à trouver dans l’univers du commerce électronique. Chacun sait qu’Amazon a d’abord perdu de l’argent pendant de plusieurs années avant d’arriver à trouver son équilibre économique. S’agissant de sceaux-shopping, il parait illusoire de viser cet équilibre à moins de trois ans. Il est donc naturel que la Ville de Sceaux, l’Union des commerçants et la CCI soutiennent le projet dans sa phase de démarrage et de montée en puissance, en cofinançant l’hébergement et la maintenance, l’actualisation et l’animation du site ainsi qu’une partie limitée des coûts de livraison. Sans cela, ce type de projet ne pourrait voir le jour. La seconde réponse renvoie au fait qu’il nous parait incontournable d’ouvrir le dispositif aux grandes enseignes de distribution si l’on veut arriver à rentabiliser le système logistique. D’ailleurs, ces enseignes nous ont manifesté leur intérêt sur le principe car cela leur permettrait de mutualiser leurs dépenses de livraison. C’est une motivation en terme de coût mais également d’implication dans le dispositif au coté des commerçants de proximité. Nos supermarchés s’impliquent sur le territoire à chaque fois que cela leur est possible. 

Cette place de marché a-t-elle vocation à rester au service de la consommation locale ou pourrait-elle devenir un levier pour développer l’activité commerciale avec l’extérieur du territoire ?

Nous avons d’ores et déjà des clients qui sont localisés en province ! C’est étonnant mais cela découle de la qualité du référencement de nos produits. Lorsque le référencement est performant, vous pouvez attirer sur votre site un client qui recherchait un produit précis. Comme nous n’avons pas encore mis en place la livraison à domicile, il a fallu que les commerçants traitent en direct avec les clients pour assurer l’envoi des produits par La Poste.
Avec sceaux-shopping, le commerce de proximité a un canal de vente et un pouvoir complémentaire. Tous les commerçants ne voient pas encore tous ces enjeux ni tous les services qu’ils pourront apporter à leurs clients et futurs clients. Mais indiscutablement le train est en marche et il faut le prendre.