Vous êtes ici :

Les villes reprennent en main leur destin énergétique

Interview de Béatrice COUTURIER

Chargée de mission urbanisme et aménagement durable

<< En se transformant en métropole, la collectivité -- lyonnaise va récupérer les compétences électricité et gaz. Cela va bousculer le paysage institutionnel sur les questions énergétiques >>.

En matière de transition, les programmes européens, les expérimentations, permettent de passer progressivement à l’acte. Béatrice Couturier témoigne de la richesse des démarches en cours sur le Grand Lyon et des premiers enseignements à en tirer.

Interview réalisée pour la revue M3 n°7.

Réalisée par :

Date : 31/05/2014

Vous avez participé à plusieurs expériences d’écoquartiers. Comment le concept d’urbanisme durable a-t-il évolué ?
La première évolution importante vient du changement d’échelle des actions. Les principes de durabilité ne s’envisagent plus seulement à l’échelle d’un bâtiment mais aussi à celle d’un quartier, voire d’une agglomération. Le démonstrateur Transform sur le quartier de la Part-Dieu vise par exemple à identifier les étapes de transition énergétique, applicables ensuite à l’échelle de l’agglomération. Le changement d’échelle se double d’un élargissement des critères qui définissent l’urbanisme durable. En effet, le premier appel à projet Écoquartier en 2009 s’inscrivait dans une vision majoritairement centrée sur les technologies environnementales. Les dimensions sociale et économique d’un quartier durable étaient peu mises en avant. Le deuxième appel à projet Écoquartier, en 2011, proposait une approche beaucoup plus complète avec d’autres champs que l’environnemental, comme la qualité de vie par exemple.

 

Comment cette approche est-elle reçue par les architectes ?
Intégrer des critères environnementaux dès la phase de conception du projet n’est pas une approche consensuelle : certains architectes peuvent craindre que leur créativité ne soit bridée. Mais ils peuvent aussi faire d’une contrainte une opportunité, et plutôt que de considérer cette approche comme un frein, y voir matière à penser et créer autrement. La qualité environnementale du bâti ne conduit pas à une architecture unique, bien au contraire. Elle donne lieu à une grande diversité de formes et de styles architecturaux !

 

Les écoquartiers ne sont-ils pas des réserves de militants écologistes ou de bobos ? Ne contribuent-ils pas à une nouvelle forme de ségrégation urbaine ?
Il est vrai que les premiers écoquartiers, en France ou en Europe du Nord, avaient tendance à cibler soit des militants écologistes, soit des personnes de CSP élevée étant donnés les prix de sortie des logements. Il existe encore des écoquartiers sans mixité sociale. Mais à Lyon, La Confluence, par exemple, propose du logement social et intermédiaire, et une réelle mixité fonctionnelle.
Par ailleurs, les écoquartiers d’aujourd’hui servent aussi à tester puis à rendre des technologies et des aménagements reproductibles à l’ensemble de la ville, ce qui demain rendra leur coût plus accessible. Ils sont donc là pour tirer l’ensemble de la ville vers le haut.

 

Les technologies et approches de la « ville intelligente » sont-elles en train de bousculer la manière de fabriquer la « ville durable » ?
Ce qui est nouveau, c’est l’évolution des outils de modélisation. Aujourd’hui, nous ne voulons plus simplement suivre les consommations d’un quartier, mais plutôt les anticiper pour mener une vraie transition énergétique. Cependant, la ville durable ne se réduit pas à des technologies de modélisation.
Nous avançons aussi sur d’autres fronts. Dans le démonstrateur « Smart Community » à La Confluence par exemple, nos actions portent à la fois sur la production de bâtiments à énergie positive, sur une offre de véhicules alimentés par des batteries photovoltaïques, sur la sensibilisation des habitants à la réduction des consommations énergétiques et sur le monitoring énergétique de tout le quartier. La ville intelligente est un outil parmi d’autres pour concevoir et gérer une ville durable.

 

Quelles leçons pouvons-nous tirer des outils de modélisation ?
Les expériences prouvent qu’il y a des écarts entre la modélisation et la réalité. À Lyon, les experts pointent que les dysfonctionnements se situent tout le long de la chaîne, de la phase de conception à la phase de réalisation jusqu’à l’usage et la maintenance. Sur la réalisation, par exemple, on a constaté qu’en France les formations du bâtiment n’étaient pas à jour (sur les techniques d’étanchéité ou le choix des matériaux). De même, des raisons économiques poussent certains promoteurs à revenir sur des choix faits au départ. L’étape d’appropriation par les occupants aussi est critique. Nous constatons des dérives de comportement : les températures des logements sont plus élevées que nos estimations. L’idée n’est pas de stigmatiser ni de brider les comportements des habitants mais de réfléchir aux actions à mettre en oeuvre auprès d’eux. Sur le volet exploitation et maintenance du bâtiment aussi il y a des décalages. Notamment parce que les personnels en charge de la maintenance n’ont pas une connaissance suffisante des caractéristiques des équipements qu’ils gèrent.

 

La transition est un terme relativement nouveau dans le monde de l’urbanisme. Qu’est-ce qu’il traduit ?
C’est une prise en main progressive par les villes de leur destin énergétique. Aujourd’hui les collectivités locales s’interrogent sur des notions de choix et de stratégie énergétiques. Est-ce qu’on veut faire de la production locale ou pas ? Quelle(s) énergie(s) voulons-nous privilégier sur notre territoire ? Aujourd’hui, ce sont des choses qui se décident au niveau national, par ERDF, GDF ou l’État notamment.
La prochaine évolution concerne la gouvernance. En se transformant en métropole, la collectivité lyonnaise va récupérer les compétences électricité et gaz. Cela va bousculer le paysage institutionnel sur les questions énergétiques. La transition est aussi institutionnelle ! C’est un changement d’orientation extrêmement fort par rapport à une conception hypercentralisée des réponses énergétiques. Hier le local n’y avait pas prise. Demain, la collectivité sera compétente et légitime pour faire des choix énergétiques en partenariat avec les énergéticiens. Les citoyens eux-mêmes seront plus étroitement associés aux questions énergétiques. La transition vers une ville durable est avant tout un processus local, partenarial et participatif qu’il ne faut pas réduire à des enjeux technologiques.