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Quel financement pour la culture ?

Interview de Jean-Pascal QUILES

Directeur adjoint de l'Observatoire des politiques culturelles

<< Il y a en fait une niche qui s'ouvre pour le mécénat des individus. le mécénat des entreprises est estimé à environ 2 milliards d'euros alors que celui des individus dépasseraient 3 milliards >>.

Avec la contraction des dépenses publiques, le champ culturel doit refonder son modèle économique. Le recours au mécénat d’entreprise est une option, alors que le financement participatif offre des perspectives prometteuses. Jean-Pascal Quilès et Philippe Henry livrent leur point de vue sur un domaine en mutation.
Interview réalisée pour la revue M3 n°5.

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Date : 31/03/2013

On parle beaucoup d'un assèchement du financement public pour la culture, est-ce une réalité, ou une manière cynique de s'appuyer sur "la crise" pour réduire l'intervention publique culturelle ?

Il me semble que cette question d’une exploitation de la crise est récurrente et assez peu fondée : les difficultés économiques actuelles ne sont pas une invention et les collectivités locales, qui représentent d’un point de vue territorial la grande majorité des financements publics de la culture, sont pour quelques-unes d’entre elles en tout cas, en réelles difficultés. Les départements en particulier, sont confrontés à des problèmes importants, certains sont depuis 2008 en quasi faillite, notamment parce que la crise augmente la charge des dépenses sociales ou parce que la baisse de l’immobilier à provoqué une baisse conséquente des droits de mutation. Or, les départements, indépendamment de leurs politiques explicitement culturelles, financent aussi le secteur via le RSA, auquel sont affiliés de nombreux artistes comme ceux qui ne bénéficient pas de l’intermittence comme les plasticiens. Par ailleurs, les régions aussi sont fragilisées ainsi que les villes. Quant aux intercommunalités, elles ne suppléent pas véritablement aux difficultés, notamment parce qu’elles n’ont pas de compétences culturelles obligatoires. Et in fine, l’État est bel et bien en retrait.

 Par ailleurs, il est vrai que les élus locaux sont tributaires des redistributions qui leur sont faites. Un paradoxe, puisque les collectivités locales ne sont responsables du déficit budgétaire national que pour un très faible pourcentage le reste étant de la responsabilité de l’État. Or les collectivités ne bénéficient pas directement des impôts qu’elles génèrent : l’administration centrale ne leur redistribue pas autant qu’elles ne lui versent. Rappelons que pour 100 € de prélèvement fiscal, l’Etat récupère en moyenne 35 €, la sécurité sociale 50 € et l’ensemble des communes, départements et régions 15 € seulement. C’est tout le problème des présidents de Région : ils n’ont pas de pouvoirs fiscaux, ils sont mis sous un régime de dotations qui ne leur permet pas d’assumer leurs compétences de politique générale. Ce qui fait que les régions françaises sont bien moins puissantes que celles d’Allemagne ou d’Espagne. Et comme la culture n’est pas une compétence obligatoire à de rares exceptions près, il est vrai aussi qu’il est plus facile de tailler dans ces secteurs que dans autres, pour lesquels il y a une obligation d’intervention.
 
Ceci posé, je crois que les discours sur la créativité, sur l’importance d’une société du savoir portent tout de même ses fruits. En Rhône-Alpes par exemple, la région a à la fois renforcé son service culturel en recrutant des professionnels solides, tout en considérant que l’ensemble de ses services pouvaient ou devaient avoir une action dans le champ de la culture. Il ne s’agit plus d’aborder la culture sous le seul périmètre de sa définition institutionnelle, mais bien d’en faire une composante d’autres politiques publiques, que ce soit les transports ou l’économie.

 

Quelles sont les possibilités offertes aux acteurs culturels pour trouver d'autres sources de financement privé ? Que pensez vous du mécénat ?

Contrairement à ce que l’on dit souvent, le mécénat n’est pas une alternative au financement public, il fonctionne plutôt en synergie avec lui. C’est-à-dire que plus les pouvoirs publics affichent un soutien et une détermination forte sur le secteur culturel et plus les entreprises s’investissent. Par ailleurs, il n’est pas vrai qu’elles ne vont que vers les grandes institutions de type maison d’opéra ou événements culturels majeurs. Le travail récent1  que nous avons conduit montre au contraire que de nombreuses entreprises de taille moyenne aident des actions culturelles sur les territoires.

 Par exemple, la société Ernett à Rouen développe un important mécénat culturel vers l’opéra mais aussi vers d’autres petites initiatives locales. Elle a trouvé une synergie entre le secteur culturel et les besoins de son personnel, en majorité peu qualifié. Par ailleurs, les entreprises font de l’aide en nature, elles peuvent mettre à disposition des compétences auprès de petites associations, etc. Ce sont toutes micros interventions cumulées qui assurent la vitalité du champ associatif et culturel. C’est quelque chose qui est finalement peu visible, mais qui est présent et qui est souvent vital pour les compagnies qui sont ainsi soutenues. Ce manque de visibilité du mécénat s’explique aussi parce qu’il arrive fréquemment que des chefs d’entreprises fassent des apports, mais sans le mettre en avant, car ils sont parfois inquiets que leur initiative passe mal auprès des salariés. Il y a ainsi un « mécénat gris » qui est sous-estimé et qui est pourtant bien réel.

Par ailleurs il me semble que si les structures publiques, collectivités locales ou État sont en période de disette financière, la situation des entreprises et des donateurs dans le privé est plus contrastée. Il y a de l’argent et beaucoup. Surtout avec des entreprises mondialisées, qui font de l’optimisation fiscale. Toute la question étant maintenant de les convaincre d’injecter une partie de leurs liquidités dans le champ créatif et culturel. 

 

Le mécénat ne s'adresse-t-il pas essentiellement aux artistes et institutions qui ont déjà une réputation ? Peut-on vraiment faire appel au mécénat pour la création et l'émergence ?   

 Il est vrai que cette question de l’émergence est complexe. Mais je ne pense pas qu’il faille soupçonner les chefs d’entreprises d’être incultes, au contraire, ce sont souvent des gens qui par culture justement, aiment prendre des risques. Cela dit, il est vrai que l’aspect relationnel est essentiel. Or lever des fonds, convaincre des entrepreneurs est un véritable métier. Un artiste ne peut le faire seul. Je suis convaincu que dans quelques années, ce métier sera tout à fait identifié, comme ont pu l’être au cours des 20 ou 30 dernières années les fonctions juridiques, administratives, celles de gestion, de médiation ou de chargé de communication : le secteur culturel se professionnalise, se banalise aussi. Les compagnies sont presque de petites et moyennes entreprises comme les autres…

Pour autant, je ne crois pas que tout cela se fera « tout seul » et c’est là que peut intervenir la puissance publique. Elle peut avoir un rôle de déclencheur. Par exemple, je crois beaucoup au système de mutualisation du partenariat, au sein d’une cellule chargée de chercher de l’argent, et d’aider les entrepreneurs dans leurs choix, pour les guider sur des projets qui les intéressent. C’est ce que fait avec semble-t-il pas mal de succès la ville de Reims. Cela n’est d’ailleurs pas forcément simple, car si vous mutualisez, les grosses institutions culturelles peuvent avoir du mal à accepter qu’on aide aussi une petite association… Et il ne faut pas oublier une chose : le mécénat repose sur une relation de confiance entre un porteur de projet et le mécène. On ne donne pas de l’argent sans connaître, sans s’investir dans une relation, sans devenir partie prenante. Or tout ce processus est long à développer, demande des compétences spécifiques, que n’ont pas forcément les petites compagnies notamment. Finalement, un professionnel du mécénat, c’est quelqu’un dont le métier consiste à fédérer la sociabilité, à rendre possible les contacts, à faire en sorte que les gens se parlent sur des sujets qu’ils ont en commun. Le mécénat repose sur la confiance. Et ce sont des métiers dont on a besoin pour diversifier les ressources du milieu culturel.

 

N'y-a-t-il pas sur le mécénat une très forte concurrence avec d’autres secteurs comme l’humanitaire, la santé, le sport et maintenant les universités ?

En effet, il y a aujourd’hui une très forte concurrence, et le secteur culturel n’est pas un très gros prédateur face à la santé, au sport ou à l’humanitaire. Cela dit, on dispose de très peu d’études fiables et le Ministère de la culture lui même demeure dans le flou. Il n’y a guère que l’Admical  qui puisse nous renseigner.

 

Que pensez-vous des dispositions fiscales relatives au mécénat des particuliers ?  

Je crois que c’est quelque chose qu’il faut souligner. On est trop souvent dans une représentation où l’on considère qu’en France, le financement de la culture émane soit de la puissance publique soit de très grandes entreprises. Or la réalité est tout autre. Il y a en fait une niche qui s’ouvre pour le mécénat des individus. L’Admical estime à environ 2 milliards le mécénat des entreprises et l’Association Française des Fundraisers (AFF) évalue à plus de 3 milliards celui des individus. Probablement parce qu’il n’était pas dans les habitudes des français de donner à des œuvres diverses, a été mis en place un système d’incitation fiscale qui est l’un des plus généreux au monde. Songez que, si vous payez des impôts, pour donner 100 €, il ne vous en coûtera que 33 €, puisque 77 € sont déductibles. C’est une possibilité pour les particuliers d’orienter la dépense publique dont on n’a pas pris l’exacte mesure. À mes yeux, c’est une ouverture démocratique sans précédent et cela permet à chacun de contribuer au financement d’un projet culturel de son choix, indépendamment d’une légitimation publique ou médiatique. C’est tout de même quelque chose d’extraordinaire ! Les artistes ou les responsables de structures culturelles doivent exploiter pleinement cette nouvelle possibilité qui s’offre à eux.

 

Se développe depuis quelques années un appel au financement privé individuel. Est-ce que le champ culturel est en train de s'en saisir, au-delà de quelques exemples sur la production de disques via un site comme MyMajorCompany ?  

 Bon, ce fonctionnement n’est pas nouveau : la vente par souscription d’un livre ou d’un disque, c’est très proche. Mais ces dispositifs grâce au net, viennent élargir le cercle des donateurs et complètent heureusement les dispositifs d’incitation fiscale. Ces sites sont peut-être une manière de relancer la contribution individuelle, une manière de donner une visibilité nouvelle à l’appel de fonds. Tout cela peut être aussi amplifié par le recours aux réseaux sociaux (FaceBook, Twitter) et s’appuie aussi sur le fichier client des compagnies. Cependant, la question de la notoriété et du réseau social qu’il est indispensable d’avoir pour trouver effectivement des contributeurs demeure. Il y a une logique de réputation qu’il est difficile de dépasser. Autrement dit, là aussi, il faut trouver, comme vis-à-vis des chefs d’entreprise, des moyens de toucher et de convaincre les contributeurs potentiels.

 

Quelles pourraient-être les conséquences du crowdfunding en terme de fréquentation, de public, de relais d'opinion ?

Je crois qu’en effet, il ne faut pas avoir une approche strictement comptable du crowdfunding. Lorsqu’on regarde les chiffres sur les sites de collecte, on voit bien que s’agissant du spectacle vivant, les sommes sont modestes. Par contre, c’est à mon avis une nouvelle manière de toucher un public, de l’élargir. Les grandes institutions culturelles ne font plus guère d’effort en ce sens, car les grandes salles sont pleines, le public est là, même si c’est toujours le même. Mais je fais l’hypothèse que le financement participatif permet d’intégrer un public nouveau, qu’il est un moyen de fédérer autrement les spectateurs. On a cherché parfois à le faire participer à une œuvre, maintenant il peut s’impliquer en contribuant financièrement. Et là se forme un réseau, une relance de la militance culturelle. Pour Michel Orier, ancien directeur de la MC2 à Grenoble, le mécénat individuel est une manière de rencontrer et convaincre de nouveaux militants pour l’action culturelle. Ils sont alors associés aux coulisses de la Maison de la culture, ils peuvent voir des répétitions, visiter les lieux, connaître l’histoire de la décentralisation dramatique mais aussi et peut-être surtout être informés du budget, des grandes masses de dépense, etc.

 

1-Marianne Camus-Bouziane etJean-Pascal Quilès directeurs : « Guide du mécénat culturel territorial, Diversifier les ressources pour l'art et la culture », 2012, co-édition Territorial et Observatoire des politiques culturelles.