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Les enjeux du tourisme urbain pour les métropoles secondaires

Interview de François GAILLARD

Portrait de François Gaillard
Directeur général de l'Office de Tourisme et des Congrès du Grand Lyon

<< A mon sens, le premier enjeu du tourisme réside aujourd'hui dans l'image positive qu'il est susceptible de donner à la ville. Il faut bien avoir en tête que dans la course au rayonnement international à laquelle se livrent aujourd'hui les métropoles, le tourisme apparaît comme un élément crucial >>.

Dans cette interview, François Gaillard revient sur l’ambition touristique affichée par l’agglomération ces dernières années et évoque les premiers succès rencontrés. 

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Date : 26/05/2013

Aujourd’hui, comment voyez-vous évoluer la concurrence entre métropoles au sein du marché européen ?

 Globalement le marché du tourisme urbain est en pleine expansion. C’est un phénomène assez récent dans la mesure où il découle de l’évolution des pratiques touristiques des quinze dernières années et en particulier l’essor des courts séjours.Tout porte à croire que, si le 20ème siècle a été le siècle du tourisme des plages, le 21ème siècle devrait être celui des villes. Il n’empêche, la concurrence s’est très fortement accrue ces dix dernières années. A côté des principales métropoles touristiques comme Londres ou Paris, on a de plus en plus de métropoles secondaires comme Lyon qui connaissent un développement touristique significatif et cherchent à capter une part du gâteau. D’une manière générale, les métropoles mettent de plus en plus de moyens en termes de stratégies de marketing territorial, à grand renfort de création de marque, de campagne de communication, etc. On se bat au quotidien contre des villes secondes comme Milan, Turin, Birmingham qui sont très agressives sur le marché. Ces villes se positionnent de plus en plus comme des alternatives aux grandes villes capitales. Elles jouent sur le fait que ces dernières sont déjà connues de nombreux touristes, que certains aspects de ces villes peuvent rebuter, la taille, l’insécurité, le rythme frénétique, etc. Elles prétendent offrir la même chose mais dans des conditions de consommation différentes. Sur ce plan là, Lyon a une carte à jouer évidente.

 

Selon vous, en dehors de Paris, comment se situent les métropoles françaises sur la scène touristique européenne ?

Elles ont pris un retard énorme par rapport à nos concurrents, et en particulier l’Espagne et l’Italie qui fondent depuis longtemps leur notoriété touristique sur les villes, en plaçant chacune d’elles au même niveau. Ainsi, n’importe quel touriste est capable de citer plusieurs destinations touristiques espagnoles ou italiennes. Ce n’est pas du tout le cas en France où le centralisme s’est aussi exprimé en matière touristique. Nous n’avons pas capitalisé sur nos grandes villes. Aujourd’hui, les choses sont en train d’évoluer. L’accélération est très nette ces trois dernières années. Les villes françaises s’engagent dans des démarches de marketing territorial pour faire parler d’elles et se positionner. A cet égard, Lyon est un bon exemple. Mais le chemin est encore long parce que la notoriété d’une destination se construit dans la durée. De fait, les destinations les plus attractives aujourd’hui sont aussi les plus anciennes. En France, il y a Paris, Nice, Chamonix, Cannes, Biarritz.

 

La notoriété est donc un enjeu premier pour les métropoles secondaires ?

Effectivement. D’une certaine manière, les grandes métropoles touristiques n’ont pas eu à faire de gros efforts de promotion pendant de longues années. Elles avaient surtout à gérer l’afflux de touristes. Ce sont les métropoles secondaires qui ont vraiment fait émerger la question du city branding comme levier de notoriété. Elles ont bâti des démarches marketing très structurées afin de prendre pied sur le marché. A la différence des grandes métropoles où la stratégie de marque vient valider et refléter un succès touristique de longue date, les métropoles de seconds rangs sont beaucoup plus dans une démarche volontariste de construction de leur image de marque. Une marque comme « I love New York » a émergé naturellement, et c’est devenu quelque chose de reconnu mondialement. Lorsque l’on fait OnlyLyon, nous ne sommes pas du tout dans la même démarche : notre premier objectif est de faire savoir que Lyon est une belle ville qui mérite d’être visitée.

 

Les retombées économiques sont-elles la première motivation des métropoles pour investir dans le tourisme ?

 A mon sens, le premier enjeu du tourisme réside aujourd’hui dans l’image positive qu’il est susceptible de donner à la ville. Il faut bien avoir en tête que dans la course au rayonnement international à laquelle se livrent aujourd’hui les métropoles, le tourisme apparaît comme un élément crucial. Etre attractive au plan touristique devient un enjeu de plus en plus important, un levier indispensable du rayonnement global de la métropole. De fait, il n’y a pas de ville à fort rayonnement international qui ne soit pas aussi une ville à forte attractivité touristique. On ne peut pas envisager d’implanter une entreprise, une filiale dans une ville où l’on n’envisagerait même pas de passer un week-end ! Ce sont aussi les projets de vie des personnes concernées qui sont en jeu.

A côté de cet enjeu de rayonnement, la question des retombées économiques est bien évidemment elle-aussi incontournable. Rappelons que le tourisme constitue l’une des industries les plus puissantes en France. Une industrie, qui plus est, non délocalisable. J’ajoute que le tourisme et le luxe sont les secteurs d’activités qui résistent le mieux à la crise. Depuis 2008, le tourisme continue sa croissance… Les villes en retirent un bénéfice évident. A Lyon, on estime que les dépenses des touristes d’affaires et des touristes d’agrément représentent 1 milliard d’euros de chiffre d’affaire et presque 30 000 emplois. C’est considérable ! D’ailleurs, on peut penser que ces chiffres sous-estiment largement la réalité : on estime au niveau national qu’un touriste d’affaire dépense en moyenne 140 euros par jour, ce qui me parait un peu juste dans la mesure où l’hébergement est compris dans ce chiffre. Quoi qu’il en soit, il est essentiel pour nous de bien faire comprendre cet impact économique auprès des différents acteurs du territoire.

 

Selon vous, les décideurs lyonnais considèrent-ils à leur juste valeur l’enjeu du tourisme ?

Il y a dix ans en arrière je vous aurais répondu par la négative. Aujourd’hui, je pense que les mentalités ont beaucoup évolué. D’une manière générale, l’état d’esprit a changé avec la transformation de la ville elle-même. Songeons à ce qu’était Lyon il y quinze ans. On ne pouvait imaginer à l’époque de faire de Lyon un lieu de villégiature. Un énorme travail a été fait pour revaloriser la ville, qui aboutit finalement à mettre en évidence sa beauté intrinsèque. C’est la politique des espaces publics, la mise en lumière, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, etc. Les lyonnais eux-mêmes se sont mis à avoir un regard différent sur leur ville. Je pense qu’une étape a été franchie qui rend aujourd’hui évident le fait que Lyon à un potentiel touristique à faire valoir. Le tourisme est devenu une composante qui vient s’ajouter aux autres atouts de la métropole. Aujourd’hui, Lyon rassemble exactement ce que l’on recherche dans une métropole européenne. Lyon est une ville puissante économiquement, tout en restant à taille humaine. C’est un lieu idéal pour développer un projet de vie dans la mesure où elle concilie les opportunités professionnelles aux charmes de la ville.

 

Quelles ont été justement les grandes étapes de la montée en puissance de la question touristique dans l’agglomération lyonnaise ces dernières années ?

Depuis mon arrivée en 2004, nous avons restructuré l’Office de Tourisme pour en faire un outil en capacité de conduire des actions de promotion de façon efficace. Parallèlement à cela, nous avons fait un gros travail pour sensibiliser les décideurs et les collectivités au tourisme. Ce qui a permis de construire une stratégie marketing offensive afin de rattraper notre déficit de notoriété. Une étape essentielle a consisté à attirer les compagnies aériennes « low-cost » à l’aéroport Saint-Exupéry, compagnies qui jouent un rôle essentiel dans l’évolution de l’échiquier touristique européen. Une autre étape fondamentale a été la démarche marketing OnlyLyon qui a constitué un véritable accélérateur de notoriété. Douze partenaires se sont mis ensemble pour afficher la même image de Lyon à l’international. On a pu ainsi marteler la marque OnlyLyon partout en Europe dans de multiples domaines : le tourisme, les affaires économiques, le monde universitaire, etc. Voici deux facteurs clés dans l’essor de Lyon en tant que destination touristique.

Enfin, la prise de compétence tourisme par le Grand Lyon en 2010 a été un signal fort de cette prise de conscience et du fait que le tourisme faisait désormais partie intégrante de l’économie locale et des politiques économiques communautaires. C’est un facteur de mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés pas la question touristique. Cela a également permis une augmentation de moyens alloués à la politique touristique : en percevant la taxe de séjour à l’échelle des 58 communes, le Grand Lyon a une vision plus claire des moyens pouvant être affectés à la promotion de la destination Lyon. Aujourd’hui, le Grand Lyon assure le pilotage politique de la stratégie touristique. L’Office du Tourisme quant à lui est son bras armé pour l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie.

 

Quels acteurs ont été porteurs de cette prise en compte du tourisme ?

Il s’agit tout d’abord de l’ensemble des acteurs socio-économiques du tourisme qui sont conscients du potentiel touristique de Lyon. Il s’agit également des élus qui ont souscrit aux arguments que nous avons avancés en faveur du développement du tourisme dans l’agglomération. Ces élus ont fait en sorte que le tourisme devienne une « problématique Grand Lyon ». Enfin, l’ensemble des partenaires d’OnlyLyon ont contribué à intégrer le tourisme dans l’enjeu de rayonnement de la métropole.

 

Aujourd’hui quelle est l’ambition touristique de Lyon ?

Entre 2005 et 2008, nous nous sommes focalisé sur l’idée de consolider la place de Lyon en tant que deuxième destination du pays pour le tourisme d’affaires. Lorsque cette position nous est apparue solide, nous avons choisi de compléter l’ambition en investissant le tourisme d’agrément. Notre objectif est de faire de Lyon une destination de tourisme de week-end incontournable en Europe. C’est tout le sens des campagnes de communication de ces dernières années pour faire connaitre la destination Lyon autour d’une idée simple : « venez à Lyon, la ville est magnifique ».

 

Le succès est-il là aussi au rendez-vous ?

Oui, nous sommes en train de réussir notre pari. Deux indicateurs nous le montrent. En 2005, 23% des visiteurs de nos points d’accueil étaient étrangers, aujourd’hui nous sommes à 52%. Deuxièmement, le site Tripadvisor, leader mondial du tourisme sur internet, édite chaque année le « traveller’s choice » qui fait un classement des destinations en fonction de l’activité des internautes sur le site : en fonction des réservations d’hôtels, des recherches d’information, des avis donnés, etc. C’est le meilleur indicateur de l’évolution de la popularité des destinations aux yeux des touristes. Or, Lyon est entrée pour la première fois dans le top 10 français l’an dernier, à la neuvième place. Ce fut une grande joie pour nous. Cela montrait que la mayonnaise commençait à prendre, que notre stratégie marketing commençait à porter ses fruits. Mais ce n’est pas tout, les résultats sont tombés il y a une semaine pour l’année 2013 : Lyon figure désormais à la quatrième place, derrière Paris, Nice et Cannes !

 

Au-delà des efforts actuels, y a-t-il une vision stratégique à plus long terme de la destination Lyon ?

Sur un plan marketing, je pense qu’il est difficile de voir plus loin qu’à trois ans. Pour les raisons que je viens d’évoquer. Internet est devenu en dix ans la colonne vertébrale de toutes nos actions. Et internet subit des mutations quasi-mensuelles ! Comment voulez-vous savoir comment les villes vont se vendre demain alors même que les modes de consommation et les attentes auront eux-mêmes changé ? Nous restons très pragmatiques sur ce point.

En revanche, nous savons ce que nous voulons pour le tourisme de demain. Ce sera un tourisme plus respectueux de l’environnement et, surtout, des habitants. Car l’un des défis du tourisme urbain est de concilier qualité de vie des habitants et qualité de l’accueil des touristes. Cela va de paire dans la mesure où les touristes souhaitent de plus en plus faire l’expérience d’un art de vivre pendant quelques jours, connaitre ce que vivent les lyonnais au quotidien. Donc, il nous faut préserver l’art de vivre lyonnais parce que c’est une condition à la fois de l’attractivité touristique et de l’acceptabilité du tourisme par les habitants. Autrement dit, la gestion intelligente de l’augmentation du flux touristique constitue un véritable enjeu pour nous, pour éviter que cette augmentation ne soit vécue comme une agression, ce que l’on a pu observer dans certaines métropoles européennes comme Barcelone. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que les efforts faits en faveur de l’accueil touristique profitent aussi aux habitants et inversement. C’est une logique transversale qui implique que le tourisme a son mot à dire sur d’autres politiques, comme l’urbanisme, les transports, la sécurité, la propreté, etc. pour faire entendre les attentes des touristes.

 

Parallèlement à la question de l’attractivité touristique externe de Lyon, l’Officede Tourisme a également investi plus récemment la problématique du tourisme de proximité. Pourquoi ?

Nous nous sommes intéressés au tourisme de proximité pour trois raisons. La première c’est une volonté de valoriser le potentiel touristique de l’ensemble du territoire, de l’ensemble des 58 communes. Or, les touristes classiques vont généralement à l’essentiel : ils ont deux jours, ils visitent la vieille ville, profitent de la gastronomie, etc. mais ont peu de temps pour aller découvrir la cité des étoiles à Givors ou le parc de Lacroix-Laval. De fait, si l’on veut valoriser le reste du territoire d’agglomération, il faut capitaliser sur les habitants eux-mêmes en les amenant à consommer leur propre territoire. Il s’agit de faire passer le message : « vous êtes loin d’avoir fait connaissance avec l’ensemble des ressources de votre territoire, les prochains week-ends, plutôt que de partir dans le Lubéron ou à Strasbourg, venez profiter de la richesse de l’offre de loisirs et de découvertes du Grand Lyon ». De plus, dans la période de crise que nous connaissons, cela permet d’offrir une alternative pour ceux qui n’ont pas ou plus les moyens d’un voyage au long cours. Pour ce faire, nous avons fait un gros travail de recensement de cette offre et développé des outils de promotion adaptés à cette clientèle de proximité avec notamment le site « mon week-end à Lyon ».

Le second intérêt du tourisme de proximité découle de ce que je viens d’évoquer. Plus les habitants connaissent et apprécient les attraits de leur territoire et plus ils sont à même de les promouvoir auprès des touristes. Car les meilleurs ambassadeurs d’une destination restent ceux qui l’on déjà gouté ! Avec ce patriotisme touristique, nous sommes gagnants sur les deux tableaux. Enfin, troisième raison, il s’agit de prendre conscience que les clientèles touristiques ne sont pas qu’à l’extérieur mais aussi au sein même du territoire. Et ça marche ! Le site général de l’Office de Tourisme « Lyon-France » fait 1,3 million de visiteurs uniques par an. En deux ans et demi le site « mon week-end à Lyon » arrive déjà au tiers de ce visitorat et nous avons des augmentations à deux chiffres de mois en mois. Cela veut dire qu’il y a une vraie demande !