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Les célébrations doivent relever d'un service public

Interview de Jean-François Vernay

Portrait de JEAN-FRANÇOIS VERNAY
Ancien prêtre

<< Je suis persuadé que des services d'accompagnement pour les célébrations funéraires civiles vont se développer >>.

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Date : 31/08/2013

Qu’est-ce qui vous a poussé à proposer d’accompagner des célébrations funéraires civiles ?

J’ai quitté l’Eglise en 2001. Lorsqu’on m’a demandé de l’aide pour célébrer des funérailles civiles, je me suis rendu compte de la pauvreté symbolique de ces funérailles. Des gens se regardent un quart d’heure pendant la diffusion d’une petite musique ou la lecture d’un texte passe partout ; c’est affreux ! On n’enterre pas un chien, ni le président de la République, on enterre une personne précise, qui a vécu une vie, qu’on a aimé… Or, ce à quoi j’assistais était nul, inhumain. Ça m’a fait mal au cœur. C’est alors que j’ai écrit à tous les opérateurs funéraires de la région de Saint-Etienne pour leur dire que j’étais prêt à aider les personnes qui ne voulaient pas passer par une religion à organiser des funérailles civiles qui soient des célébrations dignes de ce nom. Certaines personnes des Pompes funèbres ont joué le jeu, d’autres pas du tout : ils préfèrent facturer 50€ de plus et faire choisir un texte dans une série de textes. Un opérateur  s’est même permis de me dire : « mais mon petit monsieur, on fait ça depuis longtemps, on ne vous a pas attendu ».

J’ai réalisé un petit site Internet proposant l’organisation de célébrations de mariage, de naissance ou de funérailles. Je considère en effet qu’il ne faut pas attendre qu’on meure pour se dire je t’aime ! Ensuite, en 2009, j’ai créé l’association Cellaïc et j’ai « formé » d’autres personnes pour accompagner des célébrations. Désormais, nous sommes 3 à accompagner des funérailles et 2 pour des mariages et l’accueil d’enfants. Nous organisons en moyenne une cinquantaine de célébrations funéraires civiles par an.

Nous proposons de sortir de l’alternative entre le tout clé en mains de la religion et le rien du tout ou le minimum vital (un texte) des cérémonies civiles.

 

En quoi consiste pour vous une cérémonie funéraire civile ; quelle est sa fonction, quelles en sont les différentes étapes ?

Pour moi, c’est une célébration. Elle est, par définition, transitive : on célèbre quelqu’un, sa vie, l’amour qui nous a unis, une histoire, etc. Il ne s’agit pas de nous lire un texte qui nous dit qu’il y a peut-être quelque chose après ou des généralités de ce genre. C’est le moment de dire la peine qu’on a parce qu’il est parti, de dire l’espoir qu’il soit toujours vivant dans notre cœur. Il s’agit de dire des choses personnelles : on parle à quelqu’un, et de quelqu’un de bien précis, qui a eu une histoire, des qualités et des défauts, des joies et des peines, etc.

Il faut qu’il y ait un récit de sa vie, des témoignages de gens qui l’ont connu, aimé, qui l’aiment encore, qui souffrent de son absence, des chansons qu’il a aimées, peut-être un signe ou deux, un symbole : de la lumière, des fleurs ? Cette célébration se bâtit avec la famille. On ne se contente pas de lire un texte qui parle de la mort, ça on s’en fiche ! Surtout que c’est toujours le même texte du bateau qui s’en va et que l’on ne voie plus parce qu’il aborde à une autre rive, ou du passage dans la pièce d’à côté… Une célébration n’a rien à voir avec une lecture de textes.

 

Comment concevez-vous votre rôle d’accompagnant ?

La célébration se construit avec la famille, ce sont eux qui choisissent tout, ils sont maîtres d’œuvre. On est là juste pour favoriser l’expression de leur spiritualité à eux, de leur amour. On n’arrive pas avec une vérité a priori. On peut discuter de nos convictions s’ils le souhaitent, mais en aucun cas nos convictions personnelles ne doivent apparaître pendant la célébration. Ce sont eux qui célèbrent la vie de la personne qu’ils ont aimée. On est là pour les aider. Ça les rassure d’avoir quelqu’un à leur côté, parce que nous avons des schémas, des cadres par rapport auxquels ils peuvent se situer. Et puis nous avons l’expérience. On sait par exemple qu’on ne va pas mettre trois textes bout à bout sans mettre une petite musique ou intercaler un geste. L’essentiel, c’est d’être là, à leur écoute. Ce que je demande aux accompagnants, c’est d’abord d’affronter leur propre mort (on ne peut pas accompagner des gens face à la mort sans savoir soi même qu’on est mortel) et puis être à l’écoute. Il faut aussi qu’ils sachent gérer leur émotion pour aider ceux qui sont dans le deuil.

Le temps de préparation est très important, peut-être plus important encore que la célébration elle même. Ce temps permet à la famille de s’exprimer, en présence d’un tiers. Ensuite, à partir de ce qui s’est partagé pendant la préparation, on prévoit une célébration. Le plus souvent c’est nous qui nous en chargeons, mais parfois les personnes sont assez à l’aise pour le faire eux-mêmes. Si c’est nous, on leur présente la célébration une fois élaborée, et ils peuvent modifier, supprimer ou ajouter des choses pour que ça corresponde bien à ce qu’ils veulent.
La présence d’un tiers est primordiale. Dans la mesure où l’on ne connaît pas la personne, on leur dit « parlez-moi de lui » après chacun peut parler, dire des choses, c’est là qu’il y a des choses merveilleuses qui se disent, ou très dures parfois, des demandes de pardon, etc. Si l’on est vraiment à l’écoute, on n’en ressort pas indemne, on est toujours enrichi, et parfois bousculé par ce qui se dit.  

 

Dans quels espaces organisez-vous ces célébrations ; êtes-vous satisfaits de ces lieux, vous paraissent-ils adaptés ?

Bien avant nous, La ligue de la libre pensée et des personnes qui avaient vécu douloureusement un enterrement civil avaient entrepris des démarches auprès de la mairie de Saint-Etienne pour demander une salle et la mairie avait accordé que la salle de célébration qui est au crematorium soit mise à la disposition de tous, même des gens qui ne se font pas incinérer. Sinon, il y a aussi des salles municipales qui peuvent être louées dans certains cas. Et le cimetière reste une possibilité, mais il faut qu’il fasse chaud.

Saint-Etienne métropole projette de créer un autre centre funéraire. Et puis des maires cherchent à avoir un lieu intercommunal qui soit dédié à ce genre de choses, par exemple sur la vallée du Giers. Petit à petit, ça se met en place. Ça prendra du temps : l’emprise de l’Eglise et l’emprise des Pompes funèbres, sont fortes. Il faut qu’un espace laïc soit réservé pour ces familles qui ne se reconnaissent dans aucune religion mais ont droit à des funérailles, des célébrations comme tout le monde.

 

De quoi vit votre association ? Faites-vous payer les prestations d’accompagnement ?

Notre association vit des dons. Nous n’avons pas de tarifs ! Toutes les familles nous demandent si elles nous doivent quelque chose. On répond que notre service est gratuit mais que notre association reçoit des dons et qu’ils sont les bienvenus. On vit pratiquement uniquement de ça. On reçoit également depuis deux ans une subvention de la ville de Saint-Etienne qui est consciente du service qu’on rend et qui nous a alloué deux fois 500 €. La mairie nous a également associé à la réflexion autour du nouveau centre funéraire, au même titre que les religions.

 

Que pensez-vous des opérateurs funéraires qui prévoient de former des maîtres de cérémonie pour répondre à la demande de cérémonies civiles ?

J’ai beaucoup travaillé dans l’insertion, où la mode, le maître mot était aux « ensembliers » ; ils veulent tout faire : ils ont l’entreprise d’insertion, l’association intermédiaire, la structure d’insertion par le travail intérim, etc. Je ne suis pas pour cela ; je suis pour le partage des tâches, que chacun fasse bien une partie du travail, sa partie dans laquelle il est compétent. J’ai de très bonnes relations avec la plupart des entreprises de Pompes Funèbres, au moins avec les personnes qui sont sur le terrain, maîtres de cérémonie ou porteurs. Ça se passe très bien car chacun reste bien dans son métier, ce qu’il sait faire.

Ce service doit rester gratuit. Je pense que le fond et la forme sont liés. On ne peut pas parler d’amour et de spiritualité et présenter une facture. Ça me paraît difficile de vendre des cercueils, des prestations et en même temps de s’intéresser à la vie beaucoup plus profonde des gens. On sera forcément un peu malhonnête dans l’un ou dans l’autre. Il y a 3 ou 4 entreprises de pompes funèbres sur la Loire qui jouent parfaitement le jeu ; elles font partie de l’association, ont un vrai contact avec les familles, sont les moins commerçants possible et même ces entreprises le disent : «  on ne veut pas faire ça, c’est un métier ».


Certains militent pour la mise en place d’une cérémonie funéraire républicaine, en présence d’un élu, qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas une préoccupation pour moi. Je crois que le passage à la mairie, pour un mariage par exemple, est souvent vécu comme quelque chose de très contractuel et administratif. À la mairie, on ne se dit rien, on signe juste un papier administratif. Ça pourrait être beaucoup plus développé, permettre l’expression de l’amour, mais ça ne l’est pas du tout ! Alors qu’un élu vienne à des funérailles, ça me laisse un peu perplexe…  

En revanche, le fait que le mariage ou le baptême républicain à la mairie puissent s’étoffer et devenir une célébration de l’amour, ça me paraît vraiment intéressant. Une naissance ce n’est pas qu’une inscription sur un registre d’état civil !

 

Estimez-vous que l’accompagnement que vous proposez relève d’un service public ?

J’ai vraiment ce sentiment, oui ! À tel point que j’ai écrit à plusieurs reprises au ministère des affaires familiales. Sans recevoir aucune réponse. Je crois qu’il y a beaucoup d’associations qui rendent des services publics qui pallient à un manque, une carence des pouvoirs publics. Dans beaucoup de domaines, les associations – ou les congrégations religieuses par exemple pour les hôpitaux – ont pallié à un service manquant avant d’être relayées par un service d’Etat ou de collectivité locale.  

 

Pouvez-vous imaginer être relayé par un service d’Etat ou communal par exemple ?

Pourquoi pas. La laïcité ne peut pas exister tant qu’il n’y a pas une expression de la spiritualité à l’intérieur de cette laïcité, une transmission des valeurs laïques. Et cette spiritualité ne s’exprime, collectivement, qu’au moment des grands événements de la vie. Malheureusement, il manque bien souvent cette expression qui donne un même sens à un événement - c’est d’ailleurs cela qui fait la collectivité. C’est ce qui fait que les laïcs ou même les athées passent encore par l’Eglise. Cette expression « passer par » en dit long : ils passent sous le joug de l’Eglise, parce que l’Eglise en profite pour tartiner un peu du Jésus Christ, etc.

 

Vous utilisez l’expression « spiritualité laïque ». Qu’entendez-vous par là ?

L’expression « spiritualité laïque »  ne veut pas dire que la laïcité est une religion ! C’est une façon de reconnaître que chaque humain, d’aussi basse condition soit-il, est porteur d’une spiritualité qui est unique. Même s’il a l’air cynique à fond, il a des interrogations face à la mort. Nous nous mettons au service de l’expression de cette spiritualité laïque, qui n’est pas une spiritualité révélée. Les gens ont besoin d’exprimer une spiritualité qui puisse émaner d’eux mêmes et qui ne soit pas imposée de l’extérieur.

Je pense que ce besoin est tellement fort que des réponses, des initiatives locales vont émerger de partout. Quand un besoin se ressent dans une société, la réponse se fait à plusieurs endroits à peu près en même temps. Je pense par exemple à l’émergence des associations intermédiaires au moment de l’apparition du chômage. Ce secteur intermédiaire était censé apporté une réponse jusqu’à la résorption du chômage, et elles ont éclos un peu partout en France, et puis une loi est venue entériner la chose. Je suis persuadé que des services d’accompagnement pour les célébrations funéraires civiles vont se développer, d’une façon ou d’une autre.