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Les atouts de la région lyonnaise dans le domaine de la recherche

Interview de Odile GELPI

Directrice de la Délégation à la Recherche Clinique et à l'Innovation des Hospices Civils de Lyon

<< La tradition lyonnaise se situe plus dans le champ de l'expérimentation et de l'innovation, que dans le champ de la recherche clinique >>.

Date : 01/04/2012

Propos recueillis par Croline Januel le 2 avril 2012

Aux côtés du soin et de l'enseignement, la recherche est un des piliers des CHU (Centres hospitaliers universitaires). Odile Gelpi, à la tête de la Délégation à la Recherche Clinique et à l'Innovation (DRCI) aux HCL, nous explique comment la recherche s'organise au sein du 2e CHU de France. Nous l'interrogeons également sur les atouts de l'agglomération et sur les marges de progression possibles dans un secteur extrêmement compétitif.

Quels sont les atouts de l'agglomération lyonnaise en recherche clinique ?

Le 1er atout est notre taille qui nous avantage très clairement : nous sommes le 2e Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de France. Cela représente d'une part beaucoup de médecins formés et intéressés par la recherche, car l'enseignement et la recherche font partie des missions des CHU aux côtés de la mission de soins, et d'autre part, beaucoup de patients. Bien sûr, la taille est nécessaire mais n'est pas suffisante. Nous bénéficions également des travaux des « pionniers » comme le Professeur Bertrand Coiffier (dans le champ des lymphomes de l'adulte), le Professeur Christian Trepo (qui travaille sur les hépatites), le Professeur Pierre Delmas (malheureusement décédé il y a quelques années et qui a longtemps travaillé dans le domaine de l'ostéoporose) et d'autres, qui ont cru à la recherche clinique avant tout le monde.
Je citerai également comme 3e atout la vision stratégique de la Direction générale des HCL qui a considéré très tôt la recherche clinique comme indispensable à l'hôpital, à la qualité des soins prodigués et à ses patients. Elle a su considérer la recherche clinique comme un élément stratégique de l'institution, à inscrire dans une politique de recherche globale. Cela a été très discriminant il y a une douzaine d'années. Auparavant, un peu comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, des médecins faisaient de la recherche sans que cela soit organisé et réellement intégré au sein de l'institution.

Comment s'est décliné concrètement l'intérêt des HCL pour la recherche clinique ?

Les HCL ont su totalement structurer la recherche : on essaie de tout mettre en œuvre pour aider les médecins qui veulent s'engager dans cette voie. Cette aide passe par la présence de professionnels de la recherche : des techniciens d'essais cliniques, des attachés de recherche clinique, des juristes spécialisés, etc., rattachés à la Délégation à la recherche clinique et à l'innovation (DRCI). Ce service est passé de 7 postes en 1998 à une trentaine actuellement.
Au sein de la DRCI, un service s'occupe de la promotion des essais, cela veut dire que ce service  prend la responsabilité, au sens légal, de la recherche initiée par des médecins des HCL. Ce service est bien développé, fait très bien les choses et est référent au niveau national puisque le docteur Valérie Plattner qui est à sa tête est aussi responsable de la Coordination des promoteurs institutionnels (CPI) qui dialogue avec l'AFSSaPS  et le Ministère sur la réglementation de la recherche. La vigilance des essais, c'est-à-dire la détection, l'évaluation et la prévention des effets indésirables, est aussi organisée. La réglementation est très précise en la matière et suivie de près par un pharmacien, Delphine Bertram. Elle participe à des groupes de travail au sein de l'Agence européenne du médicament, l'EMA (European Medicines Agency). Nous avons donc des personnes très bien informées et entraînées à la recherche clinique. Cela aide beaucoup.
Les HCL ne sont pas toujours promoteurs de l'étude. Les médecins des HCL peuvent aussi être simplement investigateurs, cela signifie qu'ils participent à des études menées par des confrères d'autres institutions ou encore lancées par l'industrie pharmaceutique.
Actuellement, les HCL assurent la promotion de près de 200 essais, ce qui est très important. 60% sont des projets multi-centriques c'est-à-dire qu'ils vont concerner aussi d'autres centres hospitaliers que le nôtre, partout en France, voire à l'étranger dans certains cas. L'idée est d'aller le plus vite possible et d'associer d'autres centres pour remplir l'objectif d'inclusion de patients, c'est-à-dire réunir un nombre suffisant de patients pour disposer des données nécessaires à l'analyse statistique et répondre à la question de recherche posée par le protocole. L'étude peut être nationale ou internationale, tout dépend de l'ampleur de la question, de la prévalence de la maladie, des moyens dont vous disposez...
Nous avons aussi entre 1000 et 1200 essais en cours aux HCL promus par des promoteurs extérieurs. On en compte environ 250 nouveaux par an. Pour la gestion des essais cliniques à promotion industrielle, nous sommes aidés par le CeNGEPS, le Centre national de gestion des essais des produits de santé. Il s'agit d'une association de partenaires publics et privés, financée par une taxe additionnelle sur le chiffre d'affaires des industriels du médicament. Le siège est à Lyon. Cela représente quand même 10 millions d'euros par an à l'échelle nationale, près d'1,2 million ont été attribué à la Délégation inter-régionale de recherche clinique Rhône-Alpes et Auvergne en 2011. Ces financements permettent de soutenir l'investigation clinique industrielle, par exemple en rémunérant des personnes pour aider les investigateurs. Le CeNGEPS a aussi lancé le site www.notre-recherche-clinique.fr qui a pour rôle d'informer et de mobiliser le grand public sur la recherche clinique.

Le Centre de ressources biologiques (CRB) des HCL rassemble des collections d'échantillons biologiques susceptibles d'être utilisés à des fins de recherches. Il s'agit donc d'une autre forme de partenariat potentiel...

La recherche nécessite en effet des échantillons biologiques. Pendant très longtemps, l'hôpital ne s'est pas suffisamment occupé de ces ressources biologiques. Il est vrai que la gestion de ces collections est très lourde : elle implique des protocoles précis, des espaces sécurisés et adaptés à la conservation des produits biologiques, des personnes pour les répertorier, etc.
Le Ministère consacre beaucoup de financement pour que les hôpitaux se saisissent de la question et participent activement à la gestion des CRB . C'est un travail gigantesque et en constante évolution. Pour dire les choses simplement, tout le monde réfléchit à faire vivre les CRB sans que cela soit un gouffre financier. Nous aurons toujours besoin d'échantillons biologiques de qualité en termes de consentement des patients, de prélèvements, de conservation, de traçabilité, sans oublier les annotations cliniques (caractéristiques du patient, des traitements reçus... ) mais quelles règles établir ? De quoi a-t-on besoin a minima ? Jusqu'où faut-il aller par exemple pour les maladies rares où la conservation d'échantillons est cruciale ? Comment peut-on être opérationnel rapidement en cas de besoin ? Comment gérer ce catalogue de ressources efficacement ? On essaie actuellement de regrouper les ressources au sein de chaque hôpital afin de mutualiser les moyens humains et techniques. Il faut aussi organiser avec des logiciels spécifiques la gestion des données relatives à ces échantillons afin que les équipes puissent les utiliser, une fois le projet validé par un conseil scientifique. Nous ne pouvons en effet nous permettre de gaspiller ces ressources rares. Au sein des HCL, nous avons déjà organisé la collecte, l'organisation et la gestion de ces ressources biologiques, plusieurs sites sont déjà certifiés selon une norme CRB. Le catalogue est en train de s'organiser, nous devons décider jusqu'à quel niveau de détail nous allons descendre.

Les HCL sont très sollicités par des promoteurs extérieurs. Comment ces essais s'organisent-ils concrètement ?

Le promoteur va solliciter les investigateurs qu'il souhaite voir participer à son étude. Le laboratoire X connaît le Professeur Y des HCL qui a fait ses preuves dans le domaine, il va lui proposer le protocole, voir avec lui combien de patients il pourrait faire participer à l'étude, etc. Une fois un accord trouvé, le promoteur va s'adresser à la DRCI afin d'établir une convention. Chaque étude donne lieu à une convention. Nous allons ensuite nous assurer que l'étude est bien autorisée, que les aspects réglementaires sont bien remplis, etc. Nous envisageons aussi l'impact financier afin que le promoteur prenne bien en charge les surcoûts liés à ces études. Ceux-ci ne peuvent en aucun cas être pris en charge par l'activité de soins des HCL.
Nous avons aussi des relations privilégiées avec certains laboratoires ou certains promoteurs institutionnels comme l'ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites), qui vont s'adresser à nous parce qu'ils connaissent la qualité de notre travail.
Tout s'organise au cas par cas pour chaque étude. Il faut aussi s'assurer que les biologistes, pharmaciens, radiologues, l'ensemble des professionnels impliqués, nous donnent tous les éléments « en temps et en heure » car la recherche est extrêmement compétitive, y compris au niveau international. Des pays comme l'Inde, la Chine, les pays de l'Est... ont des populations très importantes et des motivations très grandes car c'est parfois le seul moyen pour leurs patients d'avoir accès à des traitements innovants. Chaque jour compte. Il peut arriver qu'au moment où nous soyons prêts à ouvrir l'étude, le recrutement international soit déjà bouclé. La compétition entre les pays est rude et l'aspect économique joue naturellement. Les filiales françaises des groupes internationaux doivent parfois se battre pour que les essais soient ouverts en France. Ouvrir des essais cliniques en Hongrie ou en Chine par exemple coûte moins cher.

Qu'en est-il de l'attractivité de la France dans la recherche clinique internationale ?

Je vous invite à lire l'enquête « Essais cliniques » des Entreprises du Médicament (Leem) à ce propos. Réalisée tous les deux ans depuis 2002, cette enquête cherche à évaluer la place de la France dans la recherche clinique internationale. L'enquête de 2010 montre que la France reste un grand pays de recherche clinique. Elle est réputée pour son expertise dans les domaines de l'oncologie, des vaccins et du cardiovasculaire/métabolisme avec 75% des patients recrutés pour ces trois champs thérapeutiques. En revanche, la position de la France dans la compétition internationale s'érode car elle progresse moins vite que ses concurrents en termes de recrutement de patients et de productivité de recherche clinique.

Comment mesurer la productivité de la recherche clinique ?

Le Leem s'appuie sur quatre critères : l'attractivité du coût de développement clinique, la qualité des investigateurs, la vitesse de recrutement et la cohérence avec les objectifs de recrutement. La dernière étude montre que la France a une marge de progression importante en termes de professionnalisation de la recherche clinique. Les organisations de la recherche clinique du Royaume-Uni, de la Scandinavie et de l'Allemagne sont mieux perçues que celle de la France par les décideurs internationaux.

L'agglomération lyonnaise est-elle considérée comme un grand acteur de recherche clinique ?  Quelles sont les disciplines médicales où l'expertise des HCL est reconnue ?

La cancérologie et la neurologie, même s'il s'agit de secteurs très vastes. La cancérologie a une vraie culture de recherche clinique, la majorité des patients participent à des essais. Il y a aussi le champ du diabète-métabolisme-nutrition. Nous sommes en train de structurer le Centre européen de nutrition et santé, à Lyon Sud, avec le Professeur Martine Laville et les nombreux acteurs présents sur l'agglomération dans le champ de la nutrition. Ce champ couvre de nombreuses problématiques : les habitudes alimentaires, les inégalités de métabolisme entre les personnes...
L'infectieux est un autre de nos points forts, ou plutôt certains domaines de l'infectieux, comme les hépatites, les grippes et le Sida, même si nous ne sommes pas leaders dans ce domaine. Un essai  s'est ouvert récemment à l'hôpital de la Croix-Rousse. Il s'agit de l'étude IPERGAY, promue par l'ANRS dont l'objectif est d'évaluer une stratégie de prévention de l'infection par le VIH.
Il y a encore la rhumatologie (grâce notamment au Professeur Pierre Delmas, et au Professeur Roland Chapurlat qui a pris sa suite) et la pédiatrie. Il y a une forte incitation des autorités européennes à favoriser les essais cliniques chez les enfants car, et ce n'est pas très connu du grand public, très peu de médicaments ont une autorisation de mise sur le marché pour les enfants. Cela représente donc un champ d'investigation important.
L'avenir est aussi, et les HCL ont une carte importante à jouer, dans la recherche clinique chez les personnes âgées. Les besoins sont très nombreux : des recherches sur la maladie d'Alzheimer, la dénutrition, l'oncogériatrie... Nous avons la chance d'avoir de nombreux services pour personnes âgées aux Hospices. Lauréat d'un récent appel d'offre du Ministère de la santé, nous venons de créer un centre de recherche clinique en gériatrie avec le Professeur Pierre Krolak-Salmon (chef de service à l'Hôpital des Charpennes).
Enfin, pour la période 2009-2012, notre Centre d'investigation clinique (CIC), financé principalement par le Ministère de la santé et labellisé par la DGOS (Direction générale de l'offre de soins) et l'Inserm, porte ses efforts sur deux axes de développement : la cardiologie-nutrition-métabolisme et la pédiatrie. De nombreux essais industriels sont en cours dans ces deux vastes domaines. Nous essayons toujours d'associer recherche clinique et recherche fondamentale. Ainsi, le coordonnateur du CIC, le Professeur Michel Ovize exerce à l'hôpital Cardiologique et est également responsable d'une équipe de recherche Inserm dans le domaine de la physiologie cardiaque.

Avant même les pionniers dont vous nous avez parlé, peut-on distinguer des traits de caractère lyonnais qui pourraient expliquer la compétitivité de recherche clinique locale ?

La tradition lyonnaise se situe plus dans le champ de l'expérimentation et de l'innovation, que dans le champ de la recherche clinique. Cela s'illustre par exemple par l'histoire lyonnaise des greffes avec notamment les travaux du Professeur Jean-Michel Dubernard. Ses 1ères greffes de pancréas et de main relevaient de l'expérimentation, les protocoles de greffes ont été ensuite affinés au fil des interventions et là, on se situe plus dans le champ de la recherche. Ce domaine est en pleine évolution sur le plan scientifique, grâce en particulier à la thérapie cellulaire, qui permet d’ouvrir un nouveau champ, celui de la médecine régénérative. Dans un avenir à la fois lointain et proche, il sera sans doute possible de créer de nouveaux organes, ou parties d’organes, qui viendront suppléer les organes défaillants. On pourrait ainsi éviter les transplantations à partir d’organes d’autres personnes, et tous les problèmes immunologiques de gestion des rejets, qui obligent aujourd’hui à des traitements à vie. Toutes ces recherches doivent se faire dans un cadre éthique rigoureux, mais les perspectives pour les patients sont fabuleuses. Nous avons la chance à Lyon de bénéficier de la très grande expérience d’Odile Damour, biologiste responsable de la Banque de Tissus des HCL, installée à l’hôpital Edouard Herriot..
On a bien sûr besoin d'innovation, d'inventivité et de créativité pour franchir des étapes. L'expérimentation va s'appuyer d'abord sur la créativité, alors que la recherche, au sens strict du terme, repose d'abord sur des études fondamentales.

La masse critique de chercheurs issus de la recherche fondamentale au sein de l'agglomération participe donc au dynamisme de la recherche clinique...

Certainement, c'est pourquoi nous nous attachons à développer la recherche translationnelle, le maillon entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Nous essayons de tisser ce lien pour que les échanges aient lieu dans les deux sens : trouver des applications  concrètes à des connaissances scientifiques et parvenir à comprendre des observations cliniques à la lumière de « modèles » scientifiques. Distinguer la recherche fondamentale et la recherche appliquée a d'ailleurs de moins en moins de sens. Il faut penser la recherche comme un circuit d’amélioration des connaissances qui conduit au progrès médical avec un bénéfice pour le patient.

Votre service cherche à établir et fluidifier ces liens entre les différentes dimensions de la recherche...

Nous sommes aidés en cela par les médecins qui travaillent également au sein de laboratoires, des unités mixtes de recherche formées par des chercheurs de l'Inserm, du CNRS, de l'Université ou encore de l'ENS. Au-delà, nous essayons de mettre en place des rencontres favorisant également les échanges. Nous avons par exemple déjà accueilli des chercheurs du CEA de Grenoble qui ouvrent des perspectives tout à fait nouvelles.
A l'inverse, des chercheurs, biologistes, chimistes, etc., viennent parfois nous soumettre leurs demandes. Elles peuvent venir aussi de disciplines plus étonnantes : par exemple, l'été dernier, un géologue nous a contactés afin d'obtenir des échantillons sanguins. Les nouvelles technologies, les techniques d'imagerie en particulier, viennent encore augmenter le nombre de partenaires possibles.
Ces collaborations ouvrent des perspectives très intéressantes mais elles sont aussi très complexes car ces professionnels ne connaissent pas toujours les règles, les coûts et les délais des essais cliniques. Même les petites entreprises de biotechnologies ou les entreprises des dispositifs médicaux méconnaissent la réglementation de la recherche clinique. Obtenir les autorisations pour une étude exige plusieurs mois et engendre des coûts qu'elles n'avaient pas forcément anticipés. Des organismes, comme le pôle de compétitivité Lyon Biopôle dans le champ de l'infectiologie, aident beaucoup ces petites et moyennes structures à aller chercher des financements, répondre à des appels à projets... Ces entreprises de biotechnologies ont la créativité, des idées, l'envie d'entreprendre des essais cliniques mais n'ont pas toujours la connaissance du système. Le pôle de compétitivité Lyon Biopôle assure particulièrement bien l'interface entre eux et notre service. Cela crée des échanges très riches et intéressants et nous fait gagner à tous beaucoup de temps. Ces petites biotech' n'auraient pas forcément eu l'idée de s'adresser à nous et, de notre côté, nous n'aurions pas repéré leurs innovations, faute de moyens humains et financiers pour assurer cette veille.

Au regard de votre expérience, quels sont les principaux freins au développement de la recherche clinique ?

Le temps... Le système actuel de financement des hôpitaux, qui est la tarification à l'activité, n'encourage pas l'investissement des médecins et des équipes dans la recherche clinique. Entre une activité qui implique un gros investissement personnel et qui va vous donner potentiellement une publication dans 4 ou 5 ans et l'activité de soins, qui reste la mission première des équipes médicales et qui engendre des recettes sur l'année d'exercice, le choix peut être vite fait.
Nous soutenons bien sûr l'idée que la recherche est un investissement pour le futur : les malades viendront à nous demain parce que nous avons fait de la recherche. Mais les médecins ont déjà des emplois du temps extrêmement chargés, il faut vraiment une volonté très forte pour mener de la recherche actuellement. Nous les soutenons et les aidons du mieux que nous pouvons mais leurs motivations doivent être solides.
J'ai vraiment vu évoluer les choses. Il y a quelques années, je ne vous aurai pas cité le temps comme la principale difficulté. Mais les médecins ont de plus en plus de contraintes. Nous essayons de montrer à la jeune génération de médecins qu’ils peuvent faire de la recherche leur motivation. Nous essayons de les attirer et de les retenir en leur donnant les moyens de s'investir dans la recherche et dans de bonnes conditions...
La 2ème contrainte n'est pas la réglementation mais les délais qu'elle exige. Même pour des essais n'impliquant que des gestes simples et sans risque pour le patient, comme une simple prise de sang, les délais sont très longs. L'harmonisation européenne et la garantie de la sécurité des patients expliquent en partie ces délais, et on ne peut s'en plaindre, mais c'est une réalité. La loi Jardé (voir encadré) relative aux recherches impliquant les personnes humaines va venir rebattre les cartes. Elle va dans le sens d'une simplification, d'une recherche de cohérences des règles existantes tout en conservant la protection des patients comme une priorité incontournable. Certaines modalités de la loi pourront être mises en œuvre très rapidement, d'autres demanderont au préalable la rédaction de décrets d'application dont certains ne sortiront probablement qu'en 2014.

La « loi Jardé », la loi n°2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine
 Ce texte a pour objet de donner un cadre unique aux recherches médicales sur l'être humain et ainsi de simplifier les démarches des chercheurs. Il vise aussi par là à renforcer l'attractivité de la France en matière de recherche biomédicale.
 
 Trois types de recherches sont distingués selon le niveau de risque pour les personnes :
 - les recherches "interventionnelles" avec risque (expérimentation de nouvelles molécules sur des personnes malades, par exemple),
 - les recherches interventionnelles "visant à évaluer les soins courants" ne comportant que des risques négligeables,
 - les recherches "non interventionnelles ou observationnelles" dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle (suivi statistique de cohortes de malades par exemple).

Toutes ces recherches seront soumises à l’autorisation d’un Comité de protection des personnes (organismes mis en place pour encadrer les recherches biomédicales par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique)
Pour les recherches interventionnelles avec risque, les obligations ne sont pas modifiées (autorisation préalable du Comité de protection des personnes, consentement écrit du patient, souscription d'une assurance spécifique).
Les recherches interventionnelles sans risque exigeront une information du patient plus complète, son consentement et les exigences de compétences de l’équipe de recherche seront renforcées.
Les recherches non interventionnelles n’étaient jusqu’alors pas réglementées. Désormais les participants recevront une information préalable avec la possibilité de s’opposer à la recherche. Ces recherches seront aussi soumises à l’autorisation des Comités de protection des personnes. Des recommandations de bonne pratique seront publiées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et un répertoire national des recherches effectuées sera mis en place.
(source : www.vie-publique.fr)

Percevez-vous un intérêt croissant des patients pour la recherche clinique ?

Il y a en effet un intérêt croissant mais l'inclusion des patients n'est pas facile pour autant. Je suis admirative des médecins qui incluent des patients dans les essais. D'une part, il y a des patients qui ont une crainte inhérente à la recherche et redoutent d'être des cobayes, ce qui n'est pas du tout un terme approprié mais qui est encore employé. Comment les convaincre ? Tout dépend de leur confiance envers leur médecin.
A l'inverse, vous avez des patients extrêmement motivés et demandeurs de nouveaux traitements mais qui veulent être sûrs de recevoir la nouvelle molécule testée ou de tester le nouveau protocole d'intervention. Il faut leur expliquer et les convaincre que le tirage au sort reste la méthode la plus juste pour constituer d'une part, le groupe de patients expérimentant la nouvelle molécule ou le nouveau protocole et d'autre part, le groupe de patients recevant le traitement déjà connu.
Il arrive aussi que les études ne soient pas réalisées à temps. Les connaissances ne cessant de progresser, les médecins peuvent considérer qu'à un moment donné, il n'est plus éthique de ne pas faire bénéficier leurs patients de la nouvelle molécule ou du nouveau protocole.
J'ajouterai aussi que l'affaire du Médiator a également fait beaucoup de tort. Les médecins ont encore plus de mal à convaincre les patients depuis cette affaire.
Enfin, sur les dispositifs médicaux, convaincre est encore plus difficile car il n'y a pas d'autorisation de mise sur le marché, seulement un marquage CE qui indique la conformité à toutes les directives européennes concernées et non le fait que le dispositif soit de qualité. Mais l'AFSSaPS, rebaptisé l'ANSM, va revoir la réglementation des dispositifs médicaux et notamment renforcer leur évaluation dans le cadre de la réforme du médicament.

Comment situer la recherche clinique locale par rapport aux activités d'autres grandes agglomérations internationales ? Et pour l'avenir, sur quoi portez-vous vos efforts ?

Honnêtement, nous nous défendons très bien. En revanche, pour l'avenir, nous devons vraiment faire attention pour rester dans le paysage international. La vigilance doit se porter à tous les niveaux : améliorer les passerelles entre la recherche fondamentale et la clinique, les délais de signatures des conventions, mais aussi avoir des médecins qui remplissent mieux les cahiers d'observation, être plus efficaces et fiables sur le taux d'inclusion des patients et en particulier la concordance entre le taux estimé et le taux réel... Ne pas atteindre le taux d'inclusion prévu peut vous faire perdre l'étude suivante, car le laboratoire pharmaceutique peut décider tout simplement de ne pas l'ouvrir en France.
Pour l'avenir, plus nous serons structurés et mieux nous nous connaîtrons entre partenaires (industriels, délégation à la recherche, investigateur, entreprises ou regroupements d'entreprises comme Lyon Biopôle, etc.), meilleure sera notre recherche clinique. Nous pourrons ainsi créer des habitudes de travail reposant sur des méthodes solides. Les savoir-faire existent et l'importance du marché français n'est pas négligeable pour les entreprises, mais mieux nous structurer et mieux nous connaître sont les seuls moyens pour rester compétitif au niveau international. Globalement, les partenariats avec les industriels doivent être développés, c'est une nécessité incontournable pour les années à venir.

La recherche menée aux Hospices Civils de Lyon en chiffres
La Délégation à la Recherche Clinique et à l'Innovation a assuré en 2011 le suivi de nombreux projets de recherche :
- 141 PHRC nationaux ou régionaux
- 42 appels d’offres internes
- 1057 essais thérapeutiques en partenariat avec des promoteurs extérieurs (industries pharmaceutiques ou des dispositifs médicaux, organismes publics ou associations)
- 184 études à promotion HCL
- 788 contrats de recherche avec des financeurs extérieurs
- 1567 publications
- 12 brevets déposés.