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La mobilité devient un enjeu majeur pour les villes

Interview de Valérie DISDIER

Directrice de la Maison de l'architecture Rhône-Alpes et d'Archipel

<< Lyon se situe dans une culture de mobilité sud européenne, c'est-à-dire multimodale >>.

Date : 29/07/2012

En tant que directrice de la Maison de l’architecture Rhône-Alpes, vous vous intéressez particulièrement à la question de la ville contemporaine. En quoi la mobilité devient un enjeu majeur pour les villes ?

La mobilité a toujours été un sujet majeur : le fait de se déplacer, de déplacer de la marchandise, de faire le lien, transporter, échanger, c’est la base de l’humanité ! Mais aujourd’hui, on est dans une complexification de ces questions de mobilité qui est démultipliée.

Cela tient d’abord au fait que l’équilibre travail / habitat a complètement été révolutionné. En Europe, jusqu’à la fin du 19e, les gens habitaient là où ils travaillaient. En France, après la seconde guerre mondiale, l’exode rural et la nécessaire Reconstruction ont accéléré ce phénomène. Dans des pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne, la révolution industrielle s’est faite beaucoup plus tôt.

A partir du moment où les gens ne sont plus sédentaires et n’habitent plus là où ils travaillent, la question du déplacement devient majeure. L’accélération des échanges de produits et de marchandises, à la faveur de la mondialisation, accentue encore l’importance de la question du transport. Aujourd’hui, on achète en France un jean fabriqué en Chine avec un coton venant d’Inde… La question du transport est cruciale, et elle croise une préoccupation récente : la question des ressources énergétiques.

 

Quels sont les principaux défis que doit relever la ville contemporaine selon vous ?

Les principaux enjeux urbains sont : se déplacer, habiter, et demain ce sera manger. On est dans une société où les gens sont de plus en plus sensibles à la qualité et à la sécurité de ce qu’ils mangent. Or accéder à cette nourriture devient de plus en plus compliqué, notamment pour des raisons de mobilité. « Comment nourrir les grandes villes ? » est une des questions essentielles débattue et expérimentée à l’échelle de la planète.  Comment avoir des zones de production agricoles sinon dans la ville, au moins à proximité de la ville ? Après la catastrophe de Fukushima, les Japonais travaillent sur une ceinture verte autour de Tokyo et Osaka destinée à la production agricole. A New York, ils sont quasiment en train de réquisitionner les anciennes usines etc. pour les transformer en zone de production agricole. C’est une question fondamentale. Peut-être que demain, on fera des potagers sur les berges du Rhône !

 

Les villes n’ont-elles pas pris le problème des mobilités à bras le corps ?

Je trouve que les métropoles européennes ont fait des efforts considérables sur ces questions là. Beaucoup d’énergies, en matière grise et en moyens financiers, sont déployées. Résultat : on voit nos villes muter. J’habite à Lyon depuis 25 ans, et il est clair qu’en particulier sur cette question de la mobilité, Lyon s’est transformée.

En revanche, dans l’interstice entre les villes, je trouve qu’il se passe peu de choses, les investissements se concentrent dans les agglomérations urbaines. Cela créé, me semble t’il un différentiel qui devient très inquiétant. Dans cette zone du territoire que j’appelle « interstitielle » - car il est difficile de la qualifier de campagne ou zone suburbaine -, il y a un déficit énorme sur la question des mobilités. Un des autres problèmes majeurs dans ces segments de territoires, c’est le travail : les usines à la campagne disparaissent ! Et on ne peut pas faire les villes uniquement avec une maîtresse d’école et un maire, ça ne marche pas ; le système a muté.

Sur ces questions-là, je suis à la fois très optimiste pour ce qui concerne la ville, et totalement pessimiste pour ce qui se passe en dehors des villes.

 

Vous avez participé au dernier séminaire sur les mobilités organisé par le Grand Lyon ; qu’en avez-vous retenu ?

Deux aspects m’ont frappée. D’abord le passage de la voiture patrimoniale à la voiture « servicielle ». C’est un peu une révolution culturelle qui est en marche ! Et je comprends qu’il puisse y avoir des freins, notamment du côté de nombre d’élus actuels : culturellement, cette idée de ne plus posséder de voiture, appartient à la génération qui arrive et non à celle qui est en place !

Un chiffre également m’a marquée : 95% de la vie d’une voiture se passe à l’arrêt. C’est une donnée choc.

C’est pour cela que, quand certains urbanistes ou autres estiment un peu hâtivement que Confluence est un échec en terme d’accessibilité et de mobilité, je ne suis pas d’accord. Essayer de limiter l’emprise de l’automobile sur toute une portion de ville, ce n’est ni un hasard, ni une erreur. C’est justement ça l’expérimentation d’une ville différente !
Encore une fois, c’est une révolution culturelle ! Il faut désormais arriver à vaincre des réticences qui sont souvent de vieux réflexes dénués de fondement objectif.

Les plus réfractaires à la piétonisation et à la restriction du stationnement de surface, sont bien souvent les commerçants. Pourtant, le chiffre de rotation par voiture est en moyenne de 2 à 3 fois par jour. Quand un commerce a deux places de stationnement devant lui, c’est potentiellement 4 à 6 clients. C’est donc complètement fantasmé !

Je suis optimiste parce que la génération qui arrive, les jeunes adultes qui ont grandi en ville, passe 3 ou 4 fois moins le permis que les générations d’avant, ils sont donc prêts à une pratique urbaine différente.

 

Vous avez réalisé une étude de benchmark sur le profil « mobilité » des villes. Qu’en ressort-il pour Lyon ?

On a étudié des villes européennes qui font à peu près la même taille que le Grand Lyon : autour d’1,4 millions d’habitants. En comparant le nombre de lignes de bus, les kilomètres de pistes cyclables, de métro, etc. on s’est rendu compte que Lyon est plutôt bien placée. Elle tente de faire cohabiter toutes les réponses. En cela, Lyon se situe dans une culture sud européenne, c’est-à-dire multimodale : place est donnée aux voitures, aux transports collectifs, au vélo, au piéton… En 25 ans, Lyon a prolongé le métro, crée le tram, relié Vénissieux, Vaulx-en-Velin et bientôt Oullins par des lignes structurantes, inventé le vélo partageable en libre service, Vélo’v… c’est considérable ! L’offre s’est non seulement intensifiée mais aussi démultipliée en proposant une diversification des modes de déplacements.

Lyon n’est pas dans une posture plus radicale comme le sont très nettement les villes du nord de l’Europe. Copenhague par exemple enlève 1% par an de stationnement en surface. En 2020, ils en auront supprimé 50%. Car la restriction du nombre de places de stationnement diminue la circulation dans la ville. C’est mathématique. C’est vrai aussi pour les parcs de stationnement qui sont des aspirateurs à voitures. Quand on sait que potentiellement, on peut se garer, on prend la voiture. Sinon, on fonctionne autrement. Dans les villes du nord, les parcs de stationnement ne sont qu’à la périphérie. Les villes du nord de l’Europe font concrètement tout pour que la voiture ne rentre plus dans la ville. De manière incitative, en mettant en place des modes doux performants, ou de manière coercitive en instaurant des péages, en supprimant des stationnements. Ici, on ne le fait pas de façon aussi radicale. En France, un élu peut-il vraiment afficher son intention de bannir la voiture individuelle propriétaire de sa ville ?

 

Sans aller jusque là, il y a eu des tentatives, par exemple à Part-Dieu, de séparer les flux automobiles des flux piétons…

Justement, l’exemple de La Part Dieu montre à quel point les mutations urbaines s’accélèrent.

La Part Dieu est un quartier qui a 40 ans. Il y a 40 ans, on a pensé la ville en séparant les voitures des piétons, en faisant des passerelles, en construisant un « mille feuilles » vertical. Aujourd’hui, le projet de réinvention urbaine de La Part Dieu, conçue par les architectes et urbanistes de l’AUC, prévoit un « sol facile », un sol unique sur lequel il n’y aurait quasiment pas de marquage, où les voitures seraient ralenties au maximum pour cohabiter avec les modes doux.

En France, à la Part Dieu comme à Mériadeck à Bordeaux, cet urbanisme de dalle, issu des principes du Mouvement moderne, n’a pas marché. Au contraire de la Chine, où le flux de population piétonne et le flux de voitures sont tels, que ce système de séparation modal fonctionne.

En France, ça n’a pas fonctionné parce que je pense que, culturellement, le piéton veut être dans la rue. La rue n’est pas forcément un repoussoir ; au contraire, la rue c’est le bistrot, le boulanger, les rencontres que l’on peut faire. Du coup, réserver la rue aux voitures et mettre les piétons dans des jardins suspendus, fut un échec.

Prenez l’exemple de la rue de la République. Elle est soi disant piétonne, mais en fait, il y a de tout et ça fonctionne très bien ! C’est frappant car il y a un vrai mélange et il n’y a pas vraiment de conflit. Ce qui ne marche plus ce sont les axes comme la rue Garibaldi, qui sont en rupture, où les voitures roulent vite, etc.

 

Que pensez-vous du concept de « ville marchable » ?

Plus de 50% des déplacements  se font à pied. Dans notre vie d’urbain, la moitié des trajets en moyenne que nous faisons le sont à pied.

Pour redonner de l’espace aux piétons, il faut que l’espace public reprenne le pas, non pas sur la voiture en mouvement mais sur la voiture stationnée en surface. C’est la reconquête d’aujourd’hui.

C’est ce qui a été fait à Lyon sur les places publiques par l’équipe Michel Noir – Henry Chabert, et c’est ce qu’a fait Gérard Collomb avec les berges du Rhône, et actuellement les rives de Saône.

Peu de villes se sont risquées à faire ce qu’a fait Lyon. Les villes qui ont vraiment opéré une mutation dans ce domaine sont Strasbourg, Nantes et Bordeaux. Paris et Marseille sont très en retard, même si des projets émergent : Paris, avec l’aménagement de la place de la République, les berges de la Seine et le tramway ; Marseille avec son tramway et la reconquête du port. Autant Paris est riche en monuments et bâtiments exceptionnels, autant sur la question de la rue et des places publiques, peu de choses ont été faites. La plupart des grandes places parisiennes - Concorde, Invalides, Champs-Elysées…  - sont simplement des carrefours de voitures. Alors qu’à Lyon, les espaces publics sont de qualité. Bordeaux est également très en pointe sur la reconquête de ses espaces publics.

 

Dans quelle mesure la question des mobilités impacte-t-elle la ville ?

Toute intervention a une influence, économique, esthétique, morphologique…. Avec l’aménagement des berges du Rhône, 30% de commerces supplémentaires se sont ouverts sur les quais. Ça a boosté le prix du foncier et l’activité économique de proximité. Donc oui ça change. Autre phénomène : les gens roulent moins vite. Cela change donc non seulement l’usage, mais aussi la perception. Ça a une influence majeure sur la ville et la forme de la ville.

 

Faut-il s’attendre à voir se développer dans la ville des « hubs de mobilité » agrégeant de nouveaux services ?

A Lyon, on a déjà plusieurs hubs de mobilité : Charpennes, Bellecour, Perrache, évidemment la Part Dieu, où la jonction métro / gare est malheureusement ratée puisque le métro est sous le centre commercial.

Je citerais également le micro hub de la place Jean Macé qui accueille une station métro, des lignes de bus, une petite gare, un garage à vélo, une boutique d’alimentation…
Il est clair que de nouveaux services vont se développer à ces points de jonction.

En Suisse, où le système ferroviaire est ultra développé et très dense, dans chaque train pendulaire, un wagon complet est transformé en épicerie. C’est intéressant ! De même, le groupe Monoprix travaille sur des micro épiceries qui seront implantées dans les gares. Le développement des zones de commerce aux endroits qui sont dits des hubs s’annonce très important. On voit bien qu’à un moment donné, la question des besoins de consommation se conjugue avec la mobilité.

Archipel Centre De Culture Urbaine : 21 place des Terreaux, Lyon 1er. Ouverture tous les jours sauf lundi et jours fériés, de 13h à 19h, entrée libre. T : +33 (0)4 78 30 61 04, M : contact@archipel-cdcu.fr, W : www.archipel-cdcu.fr