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Ecole et égalité des chances

Interview de François DUBET

Professeur de sociologie (Université Bordeaux Segalen)

<< De manière régulière, les évaluations internationales nous apprennent que l'école française est plus inégalitaire que supposerait la seule amplitude des inégalités sociales >>.

François Dubet est professeur de sociologie à l’Université Bordeaux Segalen, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, Paris), chercheur au Centre Emile Durkheim (UMR CNRS 5116), et chercheur associé au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHESS). La théorie sociologique, les inégalités et la justice sociale ainsi que l’éducation sont ses trois grands domaines de spécialisation.

Entretien réalisé dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire » sur le thème « Solidarité, logement et cohésion sociale ». 

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Date : 31/05/2012

Egalité des chances : le regard de François Dubet

 

Dans votre ouvrage, Les Places et les chances paru au Seuil en 2010, vous distinguez sans opposer, l’égalité des places et l’égalité des chances dans une société. Comment ces deux logiques peuvent-elles se traduire dans le domaine de l’éducation et plus particulièrement à l’école ?

L’égalité des chances est le modèle scolaire dominant : placés dans des conditions d’égalité initiale, les élèves doivent être hiérarchisés et orientés en fonction de leurs résultats afin que tous aient les mêmes chances de réussir et donc d’échouer. Il n’y a rien à redire à cette conception de la justice, sinon d’observer qu’il est très difficile d’effacer les effets des inégalités sociales et que cette conception de la justice peut engendrer de très grandes inégalités scolaires et, par conséquent, sociales. Pour que l’égalité des chances soit acceptable, il convient donc de s’assurer que les élèves qui n’ont pas la chance d’être bien nés et d’avoir la chance de réussir bénéficient de la meilleure éducation possible. Il faut donc s’assurer que, avant l’égalité des chances, tous les élèves et notamment les plus faibles bénéficient d’une certaine égalité des places, d’égalité élémentaire des acquis et des compétences. A mon avis, c’est là la vocation de l’école commune, de l’école élémentaire et du collège. La compétition de l’égalité des chances doit commencer plus tard afin que les plus faibles des élèves obtiennent ce à quoi ils ont droit. Ceci suppose de lutter résolument contre l’échec précoce et de faire en sorte que tous les élèves obtiennent un socle commun afin que les inégalités scolaires se fassent moins aux dépends des élèves les plus faibles qui sont aussi les moins favorisés socialement. Il s’agit là d’une véritable inflexion de la culture de l’école, de son fonctionnement, de ses programmes et de sa pédagogie. 

 

L’école française apparaît inégalitaire. Est-ce une réalité ? Quel regard portez-vous sur l’école d’aujourd’hui ?

De manière régulière, les évaluations internationales nous apprennent que l’école française est plus inégalitaire que supposerait la seule amplitude des inégalités sociales. Elles nous apprennent aussi que les inégalités scolaires se reproduisent plus entre les générations, que ce n’est le cas dans les pays comparables. C’est dans notre conception de l’école et dans notre croyance dans les diplômes que peuvent tenir les causes de cette inégalité scolaire excessive.

 

Les leviers pour agir à l’école

 

Il semble que le collège unique ne profite pas réellement aux enfants issus des classes moyennes et populaires. Cette situation ne va t-elle pas à l’inverse du principe qui présidait à sa création ?

Le collège unique reste encore conçu comme le premier cycle du lycée d’enseignement général. Dans sa pédagogie et ses programmes, il ne s’adresse qu’aux futurs lycéens des filières générales et pas aux autres. En fait, ce collège n’est unique que dans son intitulé puisqu’il ne sait pas quoi faire d’une grande part des élèves. Notons que ce n’est pas le cas d’un grand nombre de pays, qui ont de très bons résultats, où le collège est le prolongement de l’école élémentaire.

 

Faut-il réintroduire une sélection à l’entrée en sixième, exercer une orientation plus importante vers les voies professionnelles ou refaire des classes de niveau ?Pour retrouver le supposé « bon temps » d’avant, beaucoup souhaitent le retour de l’examen d’entrée en sixième afin de ne s’adresser qu’à de bons élèves qui seront très largement des élèves des classes moyennes. Mais ils ne disent jamais ce que nous ferons des autres élèves, qui visiblement ne seront pas leurs enfants. Quant aux classes de niveau, elles furent longtemps la règle, creusant les inégalités entre les élèves. Est-il si difficile de construire une école résolument commune jusqu’à 16 ans ?

 

Faut-il supprimer les devoirs à faire à la maison ?

Il n’est peut-être pas indispensable de les supprimer, à condition que les devoirs soient ceux des enfants et pas ceux de leurs parents. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. De plus, il est absurde de concentrer la semaine scolaire sur quatre jours, ce qui empêche l’école elle-même de s’occuper des devoirs et des exercices qu’elle donne aux élèves. Aujourd’hui, les devoirs sont une machine à creuser les inégalités et à se défausser sur les familles dont beaucoup n’ont pas les compétences scolaires nécessaires.

 

Comment rendre l’école plus égalitaire ?

Il faut d’abord que l’égalité soit un objectif de l’école, en tous cas de l’école commune, ce qui implique de lutter résolument contre l’échec à l’école élémentaire où trop d’élèves échouent gravement. Il faut ensuite veiller à l’égalité entre les établissements scolaires au moment où les inégalités se sont profondément creusées. Il faudrait aussi que l’école soit plus efficace ce qui suppose de consacrer beaucoup d’efforts à la formation des maîtres.

 

L’école : le premier lieu de mixité sociale ?

 

Il semble que les stratégies d’évitement scolaire s’accroissent. Mais comment en vouloir aux parents, notamment ceux des petites classes moyennes dans l’actuel contexte de crise et dans une société qui survalorise le diplôme, d’être particulièrement inquiets sur leur présent et pour l’avenir de leurs enfants ?

Il ne me paraît pas raisonnable de reprocher aux parents leurs stratégies d’évitement des établissements considérés comme difficiles et ceci d’autant plus que les enseignants de ces établissements n’y mettent généralement pas leurs enfants. Tant que nous laisserons des établissements accueillir tous les problèmes sociaux, constituer des équipes instables et peu expérimentées, notamment dans la banlieue populaire de Paris, il sera difficile d’enrayer les stratégies des familles qui, pourtant, contribuent à creuser les inégalités. 

 

Est-ce juste d’exiger de ces parents qu’ils scolarisent leurs enfants dans un collège qui n’atteint pas 50% de réussite au brevet des collèges ?

Non, ce n’est pas juste. Mais surtout, ce qui est injuste, c’est de laisser ces établissements en l’état et de faire que les plus démunis n’ont pas d’autres choix. Si les parents choisissent, rien ne peut autoriser les établissements publics et privés à faire leur « marché » de bons élèves. Puisque tous sont financés par de l’argent public, rien n’interdit de leur imposer des « quotas » de diversité sociale et culturelle.

 

Quelles seraient les conditions d’une mixité réussie à l’école et au collège ?

Deux phénomènes commandent : l’absence de mixité urbaine qui se retrouve dans les établissements, et les choix des familles qui accentuent l’homogénéité culturelle des écoles. En plus de politiques urbaines courageuses, il me semble que la question décisive est celle de l’amélioration de la qualité éducative des établissements défavorisés. Ceci suppose des moyens, mais aussi la constitution d’équipes solides, d’autres mécanismes d’affectation des enseignants… Il existe de bons établissements dans des quartiers difficiles et ce n’est donc pas impossible à condition de le vouloir vraiment et de ne pas s’abriter derrière une égalité formelle qui est un leurre auquel personne ne croit plus vraiment. Là encore, le développement de la compétence professionnelle des maîtres est un enjeu décisif si l’on ne veut pas que les enseignants soient dépassés par les problèmes.

 

Les leviers pour agir à l’échelle des territoires

 

Comment appréhender les questions des inégalités et de mixité à l’échelle des territoires ?

Les politiques urbaines sont décisives en la matière. Il faut aussi que tous les acteurs concernés travaillent ensemble : communes, Conseils régionaux, Conseil généraux, Communautés de communes. La France a fait des progrès en la matière, mais nous sommes encore loin du compte. Au fond, les inégalités scolaires peuvent nous choquer, mais il n’empêche qu’une grande partie de la population en est bénéficiaire et résiste farouchement à des politiques égalitaristes qui lui feraient perdre des privilèges décisifs alors qu’il faudrait envisager de répartir différemment les moyens quand on sait que, aujourd’hui, ce sont les élèves les plus favorisées qui reçoivent le plus de ressources.