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Le tourisme religieux à Lyon

Interview de Etienne PIQUET-GAUTHIER

Délégué épiscopal de Lyon à la Pastorale du tourisme et des loisirs, en 2010.

<< Après le tourisme d’affaire, le tourisme lié à la soie, le tourisme viticole, etc., nos partenaires prennent conscience de l’importance du tourisme religieux >>.

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Date : 07/06/2010

Quelle est la mission de la Pastorale du tourisme et des loisirs ?
Ce service diocésain qui existe depuis 1975 a pour objectif d’ouvrir les bâtiments religieux au public et de concrétiser à l’intention des visiteurs une présence chrétienne témoignant de la vivacité de ces lieux qui ne se réduisent pas seulement à leur dimension « muséale ». C’était à la fois un enjeu pour les chrétiens — savoir accueillir les visiteurs et leur donner des clés de lectures des lieux — et pour les visiteurs —, afin qu’ils comprennent que ce sont toujours des endroits vivants, des lieux de foi, qu’il s’agisse de sites archéologiques comme l’amphithéâtre des trois Gaules, d’églises anciennes, ou d’églises récentes. Cette volonté d’ouverture, qui met fin à une période où les églises étaient le plus souvent fermées, nécessite une logistique importante pour qui, comme l’Eglise catholique, n’a que peu de moyens. Nous nous appuyons donc sur un réseau d’une vingtaine de guides bénévoles qui accueillent environ 5000 visiteurs chaque année.

Quel est le paysage du tourisme religieux à Lyon ?
Il y a différents acteurs à Lyon. La Pastorale du tourisme, essentiellement pour les visites de la cathédrale, de l’amphithéâtre, et en partie de Saint-Martin d’Ainay, la Fondation de Fourvière, pour la basilique, et des services d’accueil sur certains sites majeurs comme Saint-Nizier, Ainay, Saint-Irénée, Saint-Just, qui sont indépendantes mais de qui nous sommes très proches. D’ailleurs, tous nous travaillons en bonne intelligence et nous avons en charge chacun les principaux lieux touristiques. Avec 1,5 millions de visites par an, Fourvière est sans contexte le plus attractif, viennent ensuite la cathédrale Saint-Jean puis l’église Saint-Nizier, qui est l’une des premières églises de Lyon par son importance ; c’était à l’origine celle des commerçants, des banquiers, et elle était dans l’axe de l’ancien Pont du Change, premier et unique pont sur la Saône durant longtemps. Le site d’Ainay est encore trop peu connu ; parce qu’il vient d’être rénové et parce qu’il renferme des trésors, il devrait monter en puissance. Ensuite, ce sont les églises du Beaujolais, ou l’ancienne abbaye de Charlieu, dans la Loire, qui attirent les touristes. D’autres lieux d’intérêt existent bien sûr, mais ils sont peu visités, soit parce qu’ils sont moins connus, soit parce qu’ils sont excentrés. Saint-Irénée, par exemple, est peu fréquentée, sauf par les Orthodoxes. Hormis les églises et l’amphithéâtre, il convient de faire mention du cachot de saint Pothin à l’Antiquaille. La légende veut que saint Pothin ait été enfermé à cet endroit. L’Espace Culturel du Christianisme à Lyon (ECCLY) rénove actuellement le cachot et le couvent des visitandines pour y installer un parcours du christianisme et une présentation du fait religieux. Il sera ouvert aux visites fin  2011. Cela créera un nouveau lieu dans la ville, avec un circuit autour de l’Antiquaille, qui sera en relation étroit avec Fourvière, la maison de Pauline Jaricot et Saint-Irénée. Au service de la Pastorale du tourisme, il nous arrive également de répondre à des demandes précises, par exemple pour ceux qui veulent suivre les pas du père Chevrier, visiter le Prado…

Ne pensez-vous qu’il faudrait unifier la porte d’entrée du tourisme religieux à Lyon plutôt que d’avoir plusieurs interlocuteurs selon les sites ?
La Fondation de Fourvière est indépendante par nature. Le voudrait-on, pour des raisons juridiques, cela ne serait pas possible. Et pour ma part, je n’y suis pas favorable car cela ne présente aucune valeur ajoutée pour le visiteur extérieur. De surcroit, le service apporté par la Fondation Fourvière est remarquable. Aujourd’hui, la « porte d’entrée du patrimoine religieux » existe. Beaucoup de demandes passent par l’Office du tourisme qui nous les renvoie systématiquement. Et nous sommes à même de les gérer, y compris en renvoyant vers les sites eux-mêmes lorsqu’ils sont bien structurés. Nous sommes en matière de tourisme, sans jeu de mots, le « portail » de l’Eglise.

Il semble qu’après une époque de ferveur catholique, où les fidèles investissaient les lieux de cultes ou de mémoire, il s’agit surtout aujourd’hui de tourisme culturel lié à ces lieux ?
Je nuancerais. Certes nous avons beaucoup de scolaires qui visitent dans le cadre des cours d’enseignement du fait religieux et, également, beaucoup de groupes du deuxième et du troisième âges qui s’intéressent à la culture, à l’histoire, à l’architecture des lieux. Du côté des étrangers, nous avons des Chinois, dont très peu effectivement sont catholiques, ainsi que des Américains, mais aussi de nombreux touristes qui viennent des pays traditionnellement catholiques comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal, etc. Pour beaucoup d’entre eux, il ne s’agit pas seulement de visites patrimoniales. Ils sont croyants, connaissent ces sites, leur histoire, et viennent presque comme s’il s’agissait d’un pèlerinage. Nous ne faisons pas de différence, dans la mesure où nous accueillons tout le monde, touristes comme pèlerins. Même si le pèlerinage n’est pas la motivation première, il existe des contre-exemples qui témoignent que l’idée de pèlerinage n’est pas morte. Les 150 ans du curé d’Ars, par exemple, ont attiré beaucoup de monde à Dardilly où se situe la maison natale du saint curé. En 2010, Année sacerdotale mondiale, la grande majorité des pèlerins qui se rendaient à Ars passaient à Lyon. Autre cas — un phénomène exceptionnel — les fêtes mariales du 8 décembre : c’est également un exemple de pèlerinage bien vivant, dans toute sa partie procession et intentions portées à Fourvière en tout cas. Tous les ans, l’affluence des processionnaires double et les intentions déposées à Saint-Jean sont de plus en plus nombreuses. C’est un signe de foi et d’espérance !

Pourtant la fête a été largement laïcisée. De la Fête du 8 décembre à la Fête des lumières, l’esprit a changé…
Pour nous, Eglise catholique, l’attractivité de la fête est une bonne chose : 4 millions de personnes sont là, et nous les accueillons. Certes ils ne viennent pas tous pour Marie, mais ils voient tous le « Merci Marie » inscrit sur Fourvière et les affiches dans le métro et dans les commerces. Nous prenons ce renouveau comme une chance et comme une mission, car à une époque l’Eglise avait un peu délaissé l’événement, jusqu’à parfois ne pas organiser de procession ! L’affluence massive du public nous permet de revenir dans cette fête populaire, ce qu’elle était à l’origine. D’ailleurs, nous sommes en relation avec les responsables de la ville de Lyon pour coordonner les œuvres projetées sur les monuments religieux. Nous jouons notre rôle de ce que j’appelle le « partenaire historique » de la fête ! C’est devenu une fête laïque, mais qui n’oublie pas ses origines religieuses. C’est ce que nous cherchons à cultiver à chaque édition.

Les relations avec la ville sont fluides ?
Elles sont exemplaires et basées sur la confiance réciproque. Pour la partie visible, nous sommes inscrits sur le programme officiel de la Fête des lumières et, inversement, nous indiquons les événements organisés par la ville. Une bonne entente entre les deux institutions, c’est lié à l’histoire de Lyon et puis, l’histoire démontre que pour être maire de Lyon, il faut avoir de bons rapports avec l’Eglise…

Avez-vous d’autres partenaires institutionnels et sur quoi travaillez-vous avec eux ?
Outre la ville, nous travaillons avec le Grand Lyon avec qui nous avons eu plusieurs échanges au sujet de la Fête des merveilles. Cette ancienne fête d’origine religieuse avait autrefois cours sur l’eau, et nous aimerions participer à son retour, ce qui ferait le pendant, aux beaux jours, de la Fête du 8 décembre. Nous aimerions organiser quelque chose autour des chants et des chorales embarquées sur la Saône, pour rappeler la fête originelle, et ouvrir les églises du bord de rive.
Nous sommes également en relation avec l’Office de tourisme (OT), le Comité départemental du tourisme (CDT), le Comité régional du tourisme (CRT) et un certain nombre de tours opérateurs. Sans oublier les professionnels du tourisme que sont les hôteliers à qui nous adressons chaque année le guide pratique du diocèse et les différents supports édités par le diocèse qui peuvent intéresser leurs clients qui souhaitent découvrir les richesses de la ville.
Nous créons, au moment de Noël, un Chemin des crèches pour redécouvrir le sens de cette tradition. Par ailleurs, une innovation cette année est la création d’un parcours du chemin de Saint-Jacques qui passe par Lyon, inauguré le 24 juillet prochain. 
Enfin, il y a trois ans, nous avons édité un Guide des Madones de Lyon. A travers 7 circuits pédestres, les promeneurs peuvent admirer les statues de saints et de Marie, qui font de Lyon une des villes les plus riches en la matière. A cette occasion, un inventaire exhaustif des niches et statues a été créé par le diocèse, qui sert également à la ville de Lyon, à l’association les Madones de Lyon et à la Fondation du Patrimoine qui mènent ensemble une action auprès des propriétaires pour la conservation et la rénovation des statues.
Ces exemples témoignent des collaborations fructueuses entre les institutions et nous, ils montrent également le potentiel encore inexploité du tourisme religieux. Cela fait d’ailleurs partie de nos discussions avec les instances en charge du tourisme. Et les choses bougent. Après le tourisme d’affaire, le tourisme lié à la soie, le tourisme viticole, etc., nos partenaires prennent conscience de l’importance du tourisme religieux. Et c’est très encourageant.

L’espace public a longtemps été un lieu investi par l’Eglise à travers les signes religieux, les processions, les fêtes mariales, etc. L’Eglise a été contrainte d’abandonner cet espace, sous l’effet de la laïcisation, qu’en est-il aujourd’hui ?
C’est vrai que l’espace public a longtemps été désinvesti. Il est vrai aussi que les chrétiens se sont, d’une certaine manière et à une certaine époque, un peu cachés. Mais je crois que cette époque est derrière nous. Les jeunes prêtres et les jeunes chrétiens affichent avec fierté leur appartenance à une foi. Les chrétiens à Lyon se placent dans l’action et dans le témoignage : d’où notre volonté d’ouvrir les lieux de cultes et d’aller à la rencontre des gens. L’espace public est lui aussi réinvesti : la Fête-Dieu, par exemple, a été de nouveau organisée à l’initiative de la paroisse de Saint-Georges. Il y a le chemin de croix qui a également lieu dans la rue le vendredi Saint, de Notre Dame Saint-Louis à la Guillotière jusqu’à la cathédrale. Enfin, cette année, une partie de la célébration d’ordination des prêtres se fera en extérieur sur la place Saint-Jean.
Ce réinvestissement de l’espace public tient selon moi au fait que les chrétiens ont moins de réticence à se montrer, au succès du 8 décembre qui a permis de créer les Missionnaires du 8, où 1500 chrétiens bénévoles donnent de leur temps pour accueillir les gens dans la rue et dans les églises ouvertes. Les chrétiens sont certainement moins nombreux qu’avant, mais ils sont aussi moins frileux. On n’est plus dans un catholicisme de tradition culturelle, mais dans un catholicisme d’adhésion où les gens n’ont plus peur d’évangéliser. Cela signifie quoi ? Certainement pas une volonté de reconquête, mais que nous avons conscience de l’importance de témoigner de notre foi, d’expliquer, de dialoguer, de répondre à une demande spirituelle, et tout simplement d’être présent et en capacité de rencontre avec l’autre. Pour l’Eglise, cette dimension est essentielle. Or notre présence dans l’espace public nous donne l’occasion de le faire et de toucher des gens différents de ceux qui vont à la messe dominicale. En forme de clin d’œil, nous rencontrons beaucoup de jeunes femmes musulmanes à l’occasion des festivités du 8 décembre, parce que Marie est une figure qui les touche.

Lyon, ville mariale, c’est toujours une réalité ?
Oui. Les Lyonnais, en tout cas, y sont très attachés. La Fête du 8 décembre de l’Immaculée-Conception en témoigne, puisque les gens se rendent à la chapelle de la Vierge. Le 8 septembre avec le Vœu des échevins le montre aussi et le succès rencontré par le Guide des Madones de Lyon et les balades commentées, également. Cela est anecdotique mais on s’aperçoit que certaines niches qui étaient vides à l’inventaire de 1995, abritent aujourd’hui des statues qui n’ont rien à voir avec les originales mais qui ont été placées là par des particuliers, des propriétaires, des commerçants, etc. Cela montre que la dévotion à Marie existe encore. Il y a une idée qui pourrait prendre forme, sans doute pas tout de suite, mais d’ici à quelques années, c’est d’organiser un congrès marial à Lyon, comme cela se faisait autrefois. Car tout n’a pas encore été dit sur Marie !

Quelles sont les étapes suivantes ?
C’est un scoop ! Nous sommes en train de créer des applications de réalité augmentée disponibles gratuitement sur smartphones dans les prochains mois. Le principe est simple. Lorsqu’on se trouve face à la cathédrale Saint-Jean, il suffit d’enclencher la fonction appareil photo du téléphone pour que se surajoutent à l’image des informations sur le bâtiment que l’on voit et les possibilités de téléchargement de guides audio en français et en anglais. C’est pour l’Eglise un vrai défi du 21ème siècle qui n’a rien à voir avec du jeunisme mais c’est un formidable outil porteur de grandes potentialités touristiques et de première annonce. Le format papier continuera à être présent mais le numérique est une vraie chance ; il offre un accès plus vivant au savoir. On pourra créer une promenade audio-guidée, avec la possibilité d’insérer des archives, des liens, etc. C’est un moyen de plus pour apporter aux visiteurs les clés pour comprendre les monuments qu’ils ont sous les yeux. Ambitieux, non ?