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Les impacts de l'internationalisation et d'internet sur l'enseignement supérieur et la recherche

Interview de Olivier REY

<< La recherche en éducation peut difficilement se développer de façon totalement désintéressée et autonome, aussi bien vis-à-vis de la demande politique que de l'attente des praticiens et usagers de l'éducation nationale >>.

Quels sont les impacts de l'internationalisation et d'internet sur l'enseignement supérieur et la recherche, sur les pratiques des chercheurs et, en particulier, des chercheurs en éducation ?
Nous avons interrogé Olivier Rey, ingénieur de recherche au service de veille scientifique et technologique de l'INRP (Institut national de recherche pédagogique), sur ces différents aspects. Il souligne notamment l'urgence de développer davantage de confrontation internationale pour la recherche française en éducation.

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Date : 11/03/2008

L'INRP a pour mission de développer et favoriser la recherche en éducation et formation. Cet institut public national a son siège dans le quartier de Lyon-Gerland. Il met son expertise et ses équipes au service de l'ensemble des chercheurs, formateurs et décideurs du monde de l'éducation.L'internationalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche semble être une tendance lourde qui s'affirme depuis les années 1990. Quelles en sont les caractéristiques les plus marquantes ?

L'internationalisation de l'enseignement supérieur fait référence au changement d'échelle auquel nous assistons dans tous les domaines, induit notamment, mais pas seulement loin de là, par la diffusion internationale d'informations grâce aux nouvelles technologies.
A priori, l'Université a toujours été un secteur international : les étudiants et les universitaires ont toujours voyagé depuis le Moyen-âge. Mais à la fin du XIXe siècle, l'Université, en tant qu'institution, est devenue un instrument de puissance nationale et, avec les guerres en Europe, une certaine vocation internationale des universités s'est amoindrie. A côté de cela, les découvertes scientifiques ont toujours été internationales. Plus précisément, les sciences dites exactes ou dures, sont internationales : la physique, les mathématiques, la biologie, les sciences de la terre... Les échanges entre chercheurs, la confrontation des recherches et l'évaluation de la qualité des recherches via des articles en langue anglaise dans des revues à comité de lecture, des prix et des congrès, etc., sont internationaux. C'est aussi le cas pour certaines sciences humaines comme l'économie ou encore la psychologie sociale. Mais dans de nombreuses disciplines, le quotidien des universitaires reste marqué par des réalités nationales, à l'exception de quelques brillants scientifiques rompus aux colloques internationaux et pour quelques autres suspectés d'user et d'abuser des charmes du « tourisme universitaire ». C'est l'univers décrit par David Lodge dans son roman « Un tout petit monde » ! Les années 1990 marquent un véritable tournant dans le sens où l'internationalisation gagne toutes les disciplines scientifiques et ne touche plus seulement les enseignants-chercheurs mais également les institutions elles-mêmes. 

 

Pouvez-vous nous donner des signes de ce tournant ?

Pour la France, la mise en place de mesures européennes, telles que les bourses Erasmus, puis le programme Socrates, a été significative. Le programme Socrates vise à promouvoir l'apprentissage des langues et à encourager la mobilité et l'innovation, via des aides à la mobilité, à la constitution de projets collaboratifs, etc. Les bourses Erasmus permettent aux étudiants d'effectuer une partie de leurs études (de 3 mois à 1 an) dans un autre établissement européen sans frais supplémentaires. Même si ces mesures touchent en pratique qu'une faible proportion d'étudiants, cela a modifié les mentalités. Aujourd'hui, un étudiant « moderne » doit passer quelques mois à l'étranger, et à l'inverse, son université doit accueillir des étudiants étrangers.
Un facteur de changement puissant dans les politiques universitaires de chaque pays européen a été le processus de Bologne lancé à la fin des années 1990 en Europe. Destiné à mettre en marche l'Europe de l'enseignement supérieur, à adopter une vision commune,  le processus de Bologne a été, dans les faits, décliné et traduit de façon très diverse selon les Etats signataires. En France, cette « re-nationalisation » de la politique européenne a conduit notamment à l'implantation du schéma « licence-master-doctorat » dans les universités, mais l'enseignement supérieur tout entier a été touché. Les grandes, moyennes et petites écoles, comme les formations techniques, qui cultivaient jusqu'alors les caractéristiques nationales, ont peu à peu développé une volonté de convergence, motivée notamment par le souci de visibilité internationale. L'évolution de Sciences Po'-Paris est en un bon exemple. L'internationalisation a considérablement fait bouger les lignes à l'intérieur de nos frontières. Le regroupement des établissements lyonnais (les universités, les ENS, l'Ecole centrale, etc.) en Université de Lyon paraît naturel aujourd'hui, mais c'était loin d'être le cas au début des années 1990.
Enfin, on peut citer le classement de Shangaï. C'est un classement académique des universités mondiales, qui prend en compte les publications, les récompenses (prix Nobel, médailles Fields, etc.), les activités de valorisation (brevets, licences, etc.)... Ce classement ne concerne que les sciences dures, il est très critiquable sur le plan méthodologique et néanmoins extrêmement populaire et repris dans toutes les sphères politique, médiatique, économique... Mais là encore, il est significatif d'un changement d'échelle : hier, on évaluait les chercheurs via leurs publications, leurs récompenses, leurs communications dans les congrès, aujourd'hui, on évalue l'établissement tout entier. Chaque université veut entrer dans la compétition et rivaliser avec les grandes universités américaines et asiatiques.

 

Les universités sont donc de plus en plus en concurrence, y compris au sein même de nos frontières, avec les dérives que cela peut engendrer : une sélection des meilleurs étudiants, le choix de sujets de recherche les plus « payants » en termes de publications, etc. Comment concilier la logique de service public de l'Université et cette exigence de résultats pour exister sur la scène internationale  ?

L'enjeu est bien là et on essaie d'y répondre peu à peu, au moins au niveau européen. L'association européenne de l'université (AEU) tente pour cela d'élaborer un système cohérent d'enseignement supérieur et de recherche au niveau européen . Il convient surtout de prendre en compte le fait que si la mission de recherche est naturellement prise dans la concurrence internationale entre universités et centres de recherche, la mission de formation des universités peut en revanche être largement articulée  autour d'une logique de démocratisation et de service public, si les choix politiques nationaux vont dans ce sens.

 

Quelles sont les conséquences de l'internationalisation sur les pratiques des universitaires français, chercheurs et enseignants-chercheurs ?

Les conséquences de l'internationalisation sont variables selon les champs disciplinaires. Comme je vous le disais, pour les sciences exactes, l'internationalisation fait partie de leur culture et de leur quotidien. Les échanges et collaborations entre laboratoires sont guidés par les sujets, peu importe si le laboratoire se situe à Grenoble ou à Cambridge ! En revanche, les sciences humaines se limitent davantage à l'ère francophone. Et cela pose question, en particulier aux jeunes chercheurs : peut-on ignorer ou méconnaître encore longtemps les recherches américaines et européennes ? Certes, des disciplines, comme l'Histoire ou le Droit par exemple, ont de forts ancrages nationaux. Mais la recherche en éducation et plus largement, toutes les disciplines s'intéressant aux grands processus sociaux, ne peuvent continuer à ignorer les recherches menées en dehors de l'ère francophone, au risque d'altérer considérablement la pertinence de leurs travaux. Par exemple, il est  intéressant de traiter la question du redoublement et de ses effets avec les  conclusions de la recherche allemande ou suédoise, l'Allemagne et la Suède n'ayant pas les mêmes pratiques que la France en la matière. Les travaux de Nathalie Mons (maître de conférences à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble) vont dans ce sens en examinant les conséquences des politiques éducatives dans une optique comparative entre différents pays (voir son ouvrage « Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? » paru en 2007 aux PUF). Il devient de toutes façons très difficile d'ignorer la dimension internationale. Il suffit de constater l'impact de l'étude Pisa/OCDE (programme international de suivi des acquis des élèves) qui fournit des données comparatives internationales sur les savoirs et savoir-faire de jeunes de 15 ans en lecture, culture mathématique, culture scientifique. Depuis 2000, l'étude est menée tous les trois ans dans trente pays de l'OCDE. Outre l'effet « palmarès » inévitable, on peut en tirer des conclusions intéressantes qui n'ont pas été sans conséquences dans certains pays. Par exemple, l'Allemagne qui avait constaté une grande disparité de niveaux chez ses adolescents, a réformé l'ensemble de la recherche en éducation, en vue de réformes du système éducatif. La France se situe dans la moyenne, mais constate aussi une grande disparité de niveaux entre les jeunes, en particulier entre ceux ayant déjà redoublé et les autres. La recherche en éducation doit donc s'occuper de ce type de questions. Mais l'annonce des résultats suscitent parfois des décisions politiques hâtives, pas forcément adaptées, alors que les enjeux de qualité sont bien réels !

 

Des mesures sont-elles prises pour favoriser davantage d'ouverture et de confrontation internationale ?

Les choses évoluent progressivement. L'Union européenne, comme de nombreux gouvernements nationaux, se pose la question de l'évaluation des recherches en sciences humaines et sociales. Celle-ci ne peut se faire selon les mêmes critères que ceux utilisés pour les sciences dures. L'Europe soutient un projet de la Fondation européenne de la science  qui vise à identifier et classer les revues scientifiques de référence (voir l'article « quelles revues en éducation sont au niveau « international » ? ». Mais cela implique d'utiliser une langue de communication commune. Jusque dans les années 1990, la recherche française en éducation s'est principalement développé à travers des monographies et des revues francophones, avec au mieux des résumés en anglais... Cela ne va plus être possible.
Par ailleurs, un autre projet « EERQUI » (European Educational Research Association) est développé au nom du septième programme-cadre (2007-2013) « Bâtir l'Europe de la connaissance » . L'objectif de ce projet est de mettre au point un moteur de recherche européen pour indexer les productions scientifiques dans le domaine de la recherche en éducation et prendre en compte le plurilinguisme et l'ensemble de la littérature : les monographies, les articles, la littérature grise, etc. Au final, il s'agit d'avoir un outil proche de l'esprit de « google scholar ».

 

Ces mesures prouvent qu'une recomposition des sciences humaines et sociales est en marche...

Ces mesures montrent une volonté de structurer, d'organiser la confrontation internationale dans la recherche. Mais il ne suffira pas de traduire nos articles scientifiques en anglais, l'évolution doit être beaucoup plus large : il s'agit de prendre en compte les résultats internationaux dans nos travaux, de comparer les méthodologies utilisées,... avec l'ambition de rendre, en ce qui nous concerne, les recherches en éducation plus « rigoureuses » et plus pertinentes pour la société. Tout cela ne sera pas sans conséquences en termes de stratégies de recherche et d'investissements, car la recherche en éducation peut difficilement se développer de façon totalement désintéressée et autonome, aussi bien vis-à-vis de la demande politique (ministère, collectivités...) que de l'attente des praticiens et usagers de l'éducation nationale. Ce n'est pas une discipline qui peut « vivre sa vie » dans son coin, à l'abri d'une longue tradition et de sa respectabilité académique.

 

Une des composantes de l'internationalisation est la croissance des échanges numériques. Concrètement, quels sont les principaux impacts de la montée du numérique sur le monde universitaire ?

Dans les années 1980, un étudiant n'utilisait que le papier, ses sources d'information étaient plus limitées : il connaissait tel ou tel auteur étranger grâce à son professeur ou parce que l'un de ses ouvrages avait été traduit. Aujourd'hui, c'est tout à fait différent : en quelques clics, l'étudiant ou le chercheur peut connaître les différents chercheurs ayant traité le même sujet, multiplier les sources d'information, prendre connaissance des différents courants de pensée, télécharger les articles le jour même de leur parution, rentrer en contact avec les auteurs par e-mail, savoir quels auteurs utilisent leurs propres travaux et les citent dans leurs publications, connaître les programmes des congrès et colloques, etc. En bref, se construire une vision d'ensemble de la production scientifique internationale sur son sujet est possible et les échanges entre chercheurs sont extrêmement facilités. Tout ceci était bien sûr possible avant l'arrivée d'internet, mais avec beaucoup plus de temps et de difficultés.

 

Les échanges entre chercheurs étant facilités, les collaborations européennes ou internationales se sont-elles développées ?

Il me semble que le travail reste encore très individualiste, il s'agit plus d'échanges inter-personnelles ou d'amalgames de travaux personnels que de programmes communs. Les conditions sont réunies pour une meilleure confrontation internationale de la recherche mais l'outil ne suffit pas à créer la pratique...

 

Le manque d'appropriation des nouvelles technologies de certains chercheurs aurait donc une influence sur la qualité de leurs travaux ?

En quelque sorte... certains chercheurs, quelque soit leur âge, ont adopté les nouvelles technologies dans leurs pratiques professionnelles, d'autres s'y refusent, prétextant des gaspillages de temps, d'argent, faute de formation ou de volonté.

 

N'est-ce pas le rôle de l'employeur, leur université ou leur établissement de recherche, de les inciter à modifier leurs pratiques et à dépasser ces contraintes techniques ?

Passer aux nouvelles technologies ne se commande pas, cela pose question en termes de qualité de travail et donc, d'évaluation : en quoi l'utilisation des TIC améliore ou non les recherches menées. Encore un fois, l'important est qu'il y ait une confrontation internationale, peu importe les supports et technologies utilisés.

 

Les établissements scolaires ont-ils mieux accueilli les nouvelles technologies que les chercheurs en éducation ?

La reconnaissance officielle d'une formation aux technologies de l'information et de la communication à l'école date de la mise en place du B2i (brevet informatique et internet) en 2000. Il y avait eu bien sûr des démarches auparavant mais pas de la même ampleur, ni aussi efficaces. L'objectif du B2i est d'attester le niveaux des élèves du primaire, du collège et du lycée dans la maîtrise des outils multimédias et d'internet. Un certificat (C2i) dans le même esprit est développé au niveau de l'enseignement supérieur.
Concernant l'usage des nouvelles technologies par les enseignants dans leurs pratiques quotidiennes, il y une grande variabilité selon les établissements, leurs équipements informatiques, l'organisation de la maintenance et la motivation des enseignants. Le logiciel Cabri-géomètre par exemple est couramment utilisé par les professeurs de mathématiques. Dans d'autres disciplines, le recours à l'ordinateur pour l'enseignement reste marginal ou exceptionnel, même si les enseignants utilisent beaucoup internet pour leur usage personnel.  L'accès à l'équipement n'est sans doute pas le problème majeur, mais organiser son cours en intégrant l'ordinateur n'est pas si simple.

 

La recherche française en éducation s'est certainement penchée sur ces questions : l'intérêt de l'usage des nouvelles technologies en éducation, l'évaluation des techniques d'apprentissage collaboratif...

Il y a beaucoup d'initiatives en lien avec les différents usages d'internet (création d'un site, de blogs sur des projets scolaires, de forums, etc.) au sein des établissements scolaires, mais pas encore d'étude approfondie et de grande ampleur sur le sujet.