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La question du réchauffement climatique et des chaleurs estivales dans les villes

Interview de Nicolas TIXIER

Photographie représentant une route gorgée de soleil sur laquelle circulent des voitures

<< Bien sûr la ville doit être fonctionnelle, c’est une nécessité. Mais elle ne doit pas être que cela. Chaque lieu doit aussi être un endroit d’expériences sensibles, d’usages ou de rencontres sociales possibles >>.

Nicolas Tixier est enseignant-chercheur au Laboratoire Cresson (Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain, laboratoire de recherche de l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble – Avec le laboratoire Cerma à l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes, ils forment une UMR CNRS 1563 "Ambiances architecturales et urbaines"), Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble.

Date : 30/03/2008

Le projet « Chaleurs urbaines » questionne la vie en ville dans une ville réchauffée, pouvez vous nous expliquer comment est né ce projet et en quoi il consiste ?

C’est une des premières actions touchant à la pédagogie et à la recherche du Plan climat mis en place par la communauté urbaine de Grenoble, la Metro. L’idée initiale était de mener une réflexion prospective sur la ville de Grenoble plus 6 degrés. Mais nous ne voulions travailler ni sur la ville idéale de demain ni inversement sur un scénario catastrophe. Nous avons plutôt choisi d’aborder la question des « chaleurs urbaines » sous l’angle des sensations en privilégiant la dimension locale, l’approche par le projet, et l’interdisciplinarité en mêlant des étudiants en architecture, urbanisme et géographie. Comment se vivent aujourd’hui les grandes chaleurs dans les espaces urbains de l’agglomération ? Comment se vivront-elles demain ? Quelles postures prendre en tant qu’architecte, urbaniste, maître d’ouvrage, politique et citoyen ? Quels dialogues sont-ils possibles avec les climatologues, les géographes, les usagers… ?

Ce thème permet de faire le point des savoirs sur la question et de conforter certaines hypothèses par des travaux sur des sites concrets. Cette double approche, par la recherche d’une maîtrise énergétique et la proposition de sensations urbaines liées à des usages, permet d’interroger différemment l’espace public, les mobilités, et l’habitat que l’on soit dans la maîtrise d’oeuvre ou dans la maîtrise d’ouvrage. Au final, ce sont quelques 150 étudiants, futurs constructeurs et gestionnaires de la ville de demain qui sont sensibilisés à la question du réchauffement climatique et des chaleurs estivales.

 

Pourquoi privilégier cette approche locale et sensible ?

Le laboratoire Cresson, dont je fais partie, est un centre de recherche sur les ambiances architecturales et urbaines où les travaux portent sur l’ensemble des modalités sensorielles : sonores, thermiques, lumineuses… Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur la ville de l’expérience ordinaire : en restant au niveau corporel, quelle expérience a-t-on de la ville sociale, sensible, construite ? Quelles sont les relations entre les formes construites et le sensible, entre ces formes et les usages ? Notre approche s’inscrit dans une logique d’action plus que de prévention ou de protection et s’appuie sur le local, le contexte, qui est toujours quelque chose de spécifique. Comment se vivent les lieux et comment les améliorer, où les rendre plus divers, plus accueillants ? Les ambiances jouent un rôle primordial dans la vie quotidienne. On pourrait les considérer comme un supplément d’âme, alors qu’elles sont souvent l’essence même des lieux !

Bien sûr la ville doit être fonctionnelle, c’est une nécessité. Mais elle ne doit pas être que cela. Chaque lieu doit aussi être un endroit d’expériences sensibles, d’usages ou de rencontres sociales possibles. Pour cela, il est fondamental de prendre en compte le contexte bâti, les usages existants et l’ambiance actuelle de chaque endroit que le projet d’aménagement va modifier. C’est un peu un plaidoyer pour le projet, un projet qui s’appuie sur l’existant. Si cette démarche peut s’accompagner de prouesses énergétiques, être en phase avec les normes environnementales…. alors tant mieux ! Mais cette démarche est à l’inverse de l’approche environnementale qui travaille sur le global et va s’intéresser aux causes des îlots de chaleur urbains, aux risques du réchauffement pour la santé publique… et dont la bascule au projet peut être ensuite plus difficile, tellement le saut d’échelle reste à faire.

 

Ces deux approches peuvent–elles se combiner ?

Le monde politique se soucie beaucoup de l’écologie et du développement durable mais la mise en pratique reste compliquée. En matière d’aménagement urbain, le développement durable et les enjeux liés au réchauffement climatique ne représentent qu’un paramètre parmi beaucoup d’autres. Il n’est pas toujours facile de mettre en œuvre des choses simples, comme de proposer des parcours ombragés, des zones de fraîcheurs, qu’elles soient minérales ou végétales. D’autres soucis peuvent prédominer et l’emporter dans la concrétisation d’un projet urbain. Il est utile alors de travailler sur le vécu des habitants et des usagers, qui localement, peut être incompatible avec une approche trop globalisante de la ville. Le cas de la voiture en ville est souvent emblématique de cela : les approches doivent s’inventer à chaque contexte, pour que l’orientation ne soit pas uniquement le tout voiture, ou le tout piéton selon les lieux.

Pourtant, il ne faut pas faire passer une approche avant l’autre : technique, social et sensible sont tout aussi importants. Ces deux approches méritent de s’articuler et non pas de s’ignorer voire de s’opposer. C’est d’ailleurs un des objectifs du projet « Chaleurs urbaines » que de tenter de les rapprocher de manière pédagogique et scientifique en impliquant les collectivités locales et territoriales, tout en travaillant sur le récit habitant.

 

À vous entendre, les réflexions sur le réchauffement et le développement durable font la part trop belle au global quitte à en oublier quelque peu le local ?

Un peu oui ! Il faut des actions globales et en même temps du projet local, voire micro. Chaque immeuble, chaque quartier, chaque ville est différent et recèle sa propre logique inhérente à ses qualités et usages. . Même si l’idéal est de pouvoir travailler sur tous les fronts, il n’y a pas de solutions toutes faites : ainsi, dans certains endroits, il est plus urgent de mettre des brises soleils que d’isoler, à d’autres endroits, de végétaliser, etc. Tous ces niveaux, global, local et micro impliquent des stratégies d’intervention différentes et combinées. L’hypothèse générale guidant notre projet est celle d’un rapprochement possible et nécessaire entre ces deux modes d’approche de l’environnement, de prime abord très éloignés. D’un côté, la recherche sur les ambiances dont l’attention, centrée sur l’expérience sensible et les pratiques usagères, s’inscrit dans une logique de compréhension et de prise en compte des modes d’habiter à une micro-échelle ; de l’autre, les approches qui, tournées vers les questions de risques et de santé publique, engagent une planification et une gestion de l’environnement urbain à une macro-échelle. Comment faire pour que le banc public, l’arrêt de bus soient à l’ombre l’été et au soleil l’hiver ? En pratique, le récit habitant, mais aussi celui des techniciens de la ville, concret est très important pour déceler ces enjeux.

 

Quelles sont les pistes qui vous semblent particulièrement intéressantes à explorer au regard de cette question de la chaleur urbaine ?

Une des pistes fortes est de maintenir et proposer l’existence d’espaces différenciés et de travailler  l’accessibilité à ces espaces. Prenons la chaleur estivale : ce qui compte, ce n’est pas qu’il fasse frais de partout l’été mais qu’il y ait des espaces thermiques différenciés, des zones de fraîcheur accessibles, traverser telle place publique et être en situation de bain de soleil, ou au contraire pouvoir choisir de passer par telle ruelle, qui recèle des puits de fraîcheur. D’un point de vue sensoriel, il ne faut pas une collection d’espaces neutres mais une ville des différences et de l’expérience sensible, sans tomber bien entendu dans un Lunapark sensoriel ! Les différents matériaux, les multiples ambiances thermiques… sont des expériences agréables à vivre à condition de ne pas uniquement les subir. Les étudiants ont travaillé sur le repérage des zones de fraicheur inaccessibles pour le moment, comme des plans ou des cours d’eau, des cours d’immeubles, des zones boisées… Une des idées proposée serait de pouvoir constituer des parcours de fraîcheur dans les cours et les passages du centre ville, un peu à l’image de ce qui se fait sur Lyon avec les traboules ouvertes à certaines périodes. C’est aussi un moyen de découvrir la ville autrement.

On peut facilement établir une cartographie urbaine qui permet de repérer quels sont les endroits chauds et quels sont les endroits frais, en nuançant en fonction des saisons et des heures de la journée. Cette cartographie thermique est fondamentale surtout au niveau des micro-espaces stratégiques comme des abris-bus, le trajet pour l’école ou l’hôpital… A cette fin, nous prenons comme hypothèse de travail que la coupe est un outil très intéressant pour réfléchir à cela. La coupe permet de voir les usages, de placer les piétons, les voitures, les vélos, les zones d’ombre, de soleil, les bâtiments, de représenter l’intérieur et l’extérieur, d’insérer des photos, des paroles… Visuellement on voit ce qui fait la ville, on prend conscience des choses du dedans, du dehors. C’est un lieu de rencontres et de débats des acteurs et des disciplines. Architectes-urbanistes, habitants, professionnels de la ville… peuvent y croiser leurs approches que ce soit pour l’analyse ou pour le projet. La photo aérienne est aussi très intéressante car elle ne sépare pas espace public et espace privé à l’inverse du plan. Il est alors aisé de repérer tel espace frais mais caché et de réfléchir au moyen de le rendre accessible au public….

 

Cette question de l’accessibilité vous semble primordiale ?

C’est une problématique majeure. Certaines villes de par le monde, connaissent déjà des routes, des quartiers, des zones commerciales réservés aux plus riches. Les questions climatiques peuvent générer des villes à deux régimes, ceux qui peuvent se payer le frais, et passer d’un espace climatisé ou bien rafraîchi naturellement par le végétal, l’eau, l’ombre, à un autre… et les autres, qui au niveau de la rue en général subissent de plein fouet, la chaleur estivale ou annuelle, renforcée par le phénomène d’îlot de chaleur urbaine, sans parler des bouches d’évacuation des climatiseurs qui parfois sont au niveau du passant. C’est une vraie question de démocratie urbaine. Prenons le cas des écoquartiers : à qui s’adressent-ils ? L’écoquartier construit l’habitat idéal. Utopie de la ville nouvelle… Chaque urbaniste a en tête « la » ville heureuse. La ville d’aujourd’hui ne serait plus assez bonne et le renouveau de la construction serait heureux. Trop de quartiers durables veulent créer la ville de toutes pièces, alors que nous avons bien besoin de faire la ville sur la ville, avec la ville, et non ailleurs.

Les films d’anticipation montrent bien comment on peut faire deux villes, où chaque endroit à son envers. Ainsi, dans certains pays, les quartiers écologiques semblent bien pensés, mais il y a des gardiens, voire des miradors à l’entrée… S’il y a beaucoup d’investissements sur les écoquartiers, que reste-t-il pour la ville existante ? Peut-être, à certains endroits, la construction d’un tel quartier est pertinente mais cela doit être légitimé par le contexte local et non pas résulter d’une approche globale du développement durable. Sachant que plus 80% de l’habitat de demain est déjà construit, il est impensable de ne pas partir du contexte, de l’existant, de là où vivent les gens, de construire la ville sur la ville. La ville de 2050 est déjà sous nos yeux !

 

Dans quelle mesure les pratiques étrangères, les architectures traditionnelles peuvent-elles aider à repenser nos villes ?

Ce n’est pas si simple de reprendre des modèles urbains issus soit du passé, soit d’une autre culture. Les modèles ont une histoire, et sont le plus souvent en relation avec un contexte (climatique, géographique, social, etc). Mais nous pouvons nous en inspirer tout en adaptant à nos contextes. Pourrait-on imaginer en France tendre des tissus pour ombrager et donc rafraîchir l’espace urbain comme cela se pratique parfois en Espagne ? La gestion des domaines privé et public est souvent différente : portes pleines contre grilles ajourées permettant les courant d’air, espaces mixtes mi-privés-mi-publics, etc. Dans tous les cas, cela permet de questionner les usages, voire de s’en inspirer. Ainsi, en Suisse, certaines collectivités conseillent voire subventionnent les particuliers dont les jardins sont situés en bord de rues pour les aider à végétaliser leur propriété afin d’ombrager et d’animer l’espace public.

Plus que les modèles traditionnels ou étrangers, c’est la prise en compte des paramètres environnementaux, du soleil, du vent, de la pluie…. qui conduit à l’élaboration de nouvelles formes urbaines adaptées. Tant pour le neuf qu’en matière de réhabilitation, il y a de nombreux possibles à explorer, chaque lieu étant prétexte à une réponse qui peut être technique, d’aménagement, végétale… On voit ainsi s’élaborer un nouveau design architectural et urbain, les récupérateurs d’eau de rosée, les abris bus filtrant le soleil, des façades qui deviennent actives et protectrices… autant d’éléments urbains qui sont l’occasion de nouvelles formes de design pour prendre en compte ces paramètres climatiques tout en aménageant des usages.