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La planification urbaine dans la région lyonnaise durant les années 60 et 70

Interview de Charles DELFANTE

<< La planification court toujours après l’évolution tandis que l’urbanisme, s’il est bien conçu, garde un certain caractère d’intemporalité >>.

Entretien avec Charles Delfante, ancien directeur de l’atelier d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon.

Charles Delfante est né à Lyon en 1926. Après des études d’architecture puis d’urbanisme, il intervient en tant qu’urbaniste-conseil pour le ministère de la Reconstruction. Des dizaines de villes bénéficient de ses services, en particulier Bagnols-sur-Cèze et Firminy Vert. Le ministère de la Construction le charge d’entreprendre les études du Plan d'aménagement et d'organisation générale de la région lyonnaise (PADOG) en 1961. Parallèlement, le 1e septembre 1961, l’atelier municipal d’urbanisme de la ville de Lyon est créé par l’Etat et la mairie de Lyon. Charles Delfante en prend la direction. Il dirige également le groupe d’études mis en place par le ministère pour la restructuration du centre de Lyon qui aboutira au quartier de la Part-Dieu. En 1969, la création de la communauté urbaine amène l’atelier d’urbanisme à se transformer en atelier d’urbanisme de la communauté urbaine. Cette société civile est liquidée en 1978 lorsque la décision est prise de créer l’agence d’urbanisme de la communauté urbaine de Lyon (association loi 1901). Après son départ de la direction de l’urbanisme lyonnais, Charles Delfante demeure conseiller technique de l’Agence d'urbanisme pour l'aménagement de la Part-Dieu. Parallèlement à ses activités pour le compte de l’Etat et les collectivités locales, Charles Delfante a conservé son cabinet d’architecture privé jusqu’à la fin des années 90.

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Date : 09/07/2008

Quand commencez-vous à vous intéresser à la planification urbaine ?

Dès le début de ma carrière professionnelle. A l’époque, la distinction est encore faite entre l’urbanisme et la planification : l’urbanisme concernait l’aménagement de la ville et la planification l’aménagement du territoire. Le vocabulaire a été à l’origine de maintes incompréhensions et autres confusions. La différence n’est véritablement apparue que lorsque la région parisienne a entrepris l’étude du PADOG. Les documents produits étaient alors très différents des plans d’urbanisme tels qu’ils avaient été codifiés pour permettre la reconstruction. La clarification est venue de l’étranger. Les Anglais avaient une avance considérable. Sir Abercrombie avait en effet élaboré un plan du Grand Londres sous les bombes allemandes. Ce plan, modèle de planification à moyen terme était complété par toute une kyrielle de « Land Use Plans » semblables aux plans d’urbanisme conçus en France.
Les plans de ville et les plans de détail relevaient de la compétence de la direction de l’Aménagement du Territoire. Avec la création de la DATAR et la focalisation sur les plans d’urbanisme sensés organiser l’urbanisation, nous avons progressivement perdu le sens de la planification et de l’aménagement du territoire. J’ai suivi tout au long de ma carrière l’évolution des concepts sur la planification grâce aux travaux du centre d’études du ministère. Quand je débute mes missions à Lyon, en 1961, les « anciens » du ministère me font adhérer à la Fédération Internationale pour l’Habitat, l’Urbanisme et l’Aménagement des Territoires (FIHUAT), association créée par Ebenezer Howard, l’inventeur des cités jardins. J’étais ainsi au fait des réflexions internationales, pouvant prendre conscience des méthodes britanniques et néerlandaises. Ceux-ci distinguaient les schémas d’aménagement, traitant de la planification à long terme, et les plans à court terme, sur des territoires plus réduits et urbanisés ou davantage capables d’urbanisation.

 

Quelles sont les études à entreprendre sur le territoire de l’agglomération lyonnaise ?

En 1962, le plan du groupement d’urbanisme vient d’être approuvé. C’est un bon plan, réalisé par l’équipe Revillard, urbaniste en chef régional, Maillet, inspecteur de l’urbanisme, Gagès et Grimal, architectes.
Son principal défaut réside dans la taille trop limitée du territoire concerné. Son périmètre est contraint par les limites du département du Rhône. Rappelons-nous qu’en 1960, des communes comme Décines, Saint- Priest, Feyzin, Rillieux, etc. sont dans les départements voisins. Ce découpage date des décisions de la Convention qui, en décrétant « Lyon n’est plus », a réduit le département du Rhône de toutes parts. Un exemple significatif de cette situation grotesque nous est donné par la Caisse des Dépôts qui implante une « ville nouvelle » (qui n’en est pas une) à Rillieux, dans le département de l’Ain, pour accueillir le développement démographique de Lyon.Le service central du ministère est conscient du problème et me charge de l’élaboration des PUD des communes de Décines, Meyzieu, Saint-Priest afin que j’assure la cohérence avec les études de la direction départementale du Rhône. Sous le contrôle de Jacques Foch, Directeur Départemental, Jean Meyer, chef du Groupe d’études et de programmation (GEP), et moi-même faisons une analyse critique du plan du groupement d’urbanisme approuvé et demandons à Monsieur le Préfet sa mise en révision. Notre secrète grande ambition est de créer un groupement d’urbanisme interdépartemental. Le préfet nous soutiendra.Compte tenu de la pression foncière qui s’exerçait à la périphérie de Lyon, nous nous rendons compte qu’il est impossible de délimiter sans réflexion préalable et études diverses un périmètre pour un nouveau groupement d’urbanisme. Nous proposons donc au ministère et à la DATAR d’entreprendre une étude régionale qui permettrait de délimiter un périmètre pour le futur plan. En première urgence nous nous proposons de travailler sur la « zone de peuplement industriel et urbain » de l’INSEE. Nous tentons de préciser le périmètre en étudiant les déplacements pendulaires domicile – travail. Nous avons dessiné l’enveloppe des circuits des cars des grandes entreprises lyonnaises comme Berliet qui allaient chercher leur personnel à des distances excédant parfois 50 km. Nous ne tenons pas compte des circonscriptions administratives départementales mais nous nous appuyons sur leurs structures pour organiser le travail. Le périmètre comprend : le département du Rhône, les arrondissements de Vienne et Bourgoin dans l’Isère, Bourg-en-Bresse dans l’Ain et Saint-Étienne dans la Loire. Ce périmètre est proposé aux préfets et nous imaginons avec le soutien de Serge Antoine (DATAR) une structure pour tenter d’établir une planification de la zone considérée. Elle sera de trois niveaux : La « cheville ouvrière » est composée de Jean Meyer (direction départementale de l’urbanisme), Charles Delfante (chargé de mission) et son équipe. Des bureaux d’études sont appelés pour étudier la démographie, la structure économique ; le secteur tertiaire : SEDES, CREDOC et plus tard BERU. Des universitaires tels que David (géologue), Jean Pelletier (géographe), Jean Labasse (géographe) et d’autres, sont appelés en consultation en raison de leurs connaissances. Le deuxième niveau est le « groupe de travail » composé des préfets, des directeurs départementaux de l’urbanisme et des ingénieurs en chef des Ponts et du Génie Rural. Enfin, l’« assemblée » comprend outre le groupe de travail tous les hommes politiques ayant quelque importance.Le principe ayant été adopté, nous entreprenons l’étude et la rédaction d’un Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale (PADOG) de la région lyonnaise.

 

En quoi consistent les premières études ?

Les premières études débutent en 1961 et concernent l’environnement physique : topographie, géologie, hydrologie, pédologie, occupation végétale ou non des sols assortie d’un inventaire de toutes les parties boisées du territoire. Des cartes sont dressées ; elles représentent une photographie de l’état initial de toute la région. De cette analyse nous tirons des synthèses : délimitation des secteurs boisés, agricoles ou paysagés qui, par soustraction des terrains inconstructibles, (topographie, zones inondables, servitudes et protections diverses) nous permettront de préciser les secteurs capables d’urbanisation. L’objectif essentiel poursuivi consistait en la préservation de toutes les ressources naturelles, des boisements, des étendues d’eau, des paysages, etc…Ces études préliminaires nous ont permis de calculer les surfaces de terrains disponibles pour l’urbanisation et les résultats obtenus nous ont fait craindre que si la croissance de Lyon se poursuivait au rythme du début des années 60 par extension des parties urbanisées, nous allions à la catastrophe ! L’agglomération s’étendrait sous la forme d’une « tache d’huile » de trois millions d’habitants selon les prévisions de l’INSEE.

 

Face à ce constat implacable, vous devez proposer des solutions ?

Nous présentons au groupe de travail les schémas de développement de Washington DC et du Great London Plan de Sir Abercrombie. Nos hauts responsables sont séduits et nous enjoignent de proposer plusieurs solutions. Nous retenons le principe de « ceinture verte » car elle permet de contenir et d’organiser le développement. Ayant interrogé un certain nombre de spécialistes, nous décidons de proposer une limitation de la taille de Lyon à 1.500.000 habitants et de reporter la croissance soit sur des pôles nouveaux, soit sur des villes moyennes existantes développées. Nous aboutissons à cinq schémas d’aménagement possibles : la tache d’huile (1), le développement sur des axes (2), le développement sur une série de pôles nouveaux ou anciens à développer (3), le développement sur des unités périphériques et sur des centres existants (4), le développement sur une ville nouvelle inspirée du « Paris Parallèle », proposé par la revue L’architecture d’aujourd’hui (5).

Le groupe de travail choisit l’hypothèse de développement 3, (en fait 3b). Nous développons une hypothèse de schéma directeur qui utilise les pôles existants de Bourgoin-Jallieu - La Tour du Pin et Meximieux pour deux raisons : ils permettent de protéger l’environnement et sont situés à proximité de zones industrielles existantes ou en cours de développement.

Trois immenses plans sont dessinés : un plan de l’état initial, un plan de synthèse des analyses mettant en évidence les protections voulues et le P.A.D.O.G. Ces plans sont présentés au Groupe de Travail dont les membres nous demandent d’exposer ces réflexions à un nombre limité de personnes importantes à Grenoble, Bourg-en-Bresse puis ultérieurement à Saint-Étienne. A la suite de ces présentations, le Groupe de Travail puis l’Assemblée approuvent le plan, en 1963.

 

Le plan du PADOG est approuvé parce que les maires sont convaincus ou bien parce qu’ils n’ont pas trop le choix ?

Les maires sont convaincus pour une seule et unique raison, ils voient des possibilités d’apport en équipements : routes, voies ferrées, écoles, lycées, etc. Les maires des communes qui devaient porter les « points d’appuis » étaient absolument ravis car ce statut leur assurait un très fort développement.
Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas très éloignés de la période de guerre, la reconstruction a sollicité toutes les finances de la France pendant un certain nombre d’années. Le pays commence seulement à émerger. Il y a des bidonvilles partout, les besoins en logements sont considérables. L’Etat tente de pallier au plus pressé en mettant en place une véritable industrie du bâtiment, politique qui sera heureusement portée par une continuité gouvernementale. Raoul Dautry invente le « secteur industrialisé » puis Eugène Claudius-Petit le reprend à son compte en le généralisant. Cette politique technique a ensuite dépassé toutes les espérances puisque des usines de préfabrication se sont construites de partout et on a fait du « Coignet », du « Barest » ou du « Camus » de Moscou à Alger !Pour revenir au PADOG, je dirais qu’il a eu quelques mérites : mettre en évidence les nécessités de protection des ressources naturelles, créer des solidarités entre les villes (qui n’ont été que de très courte durée), faire admettre que Lyon devait être la capitale régionale et qu’en conséquence il fallait la pourvoir d’un centre capable d’accueillir des activités de direction et des équipements de niveau régional (d’où la Part-Dieu) et enfin celui d’éviter, très temporairement, le mitage du territoire (ce fut ensuite un échec total !).
Un autre avantage du PADOG a été de provoquer la modification des limites départementales. Elle fut beaucoup plus modeste que celle que nous souhaitions : de mesquines questions de circonscriptions électorales ont stoppé net les avancées.

 

Existait-il en France d’autres exemples de planification à cette échelle ?

Si je réponds « non » ce sera exact et inexact. Exact, parce qu’aucun plan n’a été publié. Inexact, parce qu’en Alsace, (où j’ai travaillé jusqu’en 1961) les départements avaient créé des ateliers d’urbanisme qui travaillaient de manière synchrone. Je crois me souvenir que dans le nord, en raison des problèmes que posaient les bassins industriels, les planificateurs travaillaient dans un souci d’intérêt régional. Mais, il n’y avait pas de plan ressemblant au PADOG. En province, nous étions donc des précurseurs, ce qui nous a valu de recevoir de nombreuses missions étrangères qui venaient voir les travaux des planificateurs et urbanistes…et qui en profitaient pour rendre visite aux industriels du bâtiment. Il faut rappeler que Lyon, grâce à la profusion de matériaux de construction disponibles (sables et graviers), a permis l’éclosion précoce d’usines de préfabrication.
Le gouvernement (DATAR) adoptera ensuite la politique des Métropoles d’Equilibre et les ORganisations d'Etudes des Aires Métropolitaines (OREAM) pour lesquelles le PADOG servira un peu de guide voire même d’exemple. Avec l’OREAM Lyon-St Etienne-Grenoble, l’ambiance changera radicalement, certainement à cause de l’institutionnalisation des politiques propre à la France ! Puis il y eut l’épisode des villes nouvelles : en haut lieu fut décidé qu’il y aurait deux villes nouvelles en lieux et places des points d’appui du PADOG. Je persiste à penser que l’Isle d’Abeau a remis en question l’équilibre du plan original ne serait-ce que par sa situation iséroise. Il est convenu de dire que Louis Pradel était opposé à la création de l’Isle d’Abeau. Erreur ! Pradel n’a jamais été opposé à la création d’une ville nouvelle à la condition qu’elle soit implantée dans le département du Rhône ! Pour Louis Pradel comme pour nous, la première chose qu’il convenait de faire avant de réaliser la ville nouvelle était d’étendre le département du Rhône.

 

Comment naissent les réflexions autour du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de l’agglomération lyonnaise ?

Avec Jean Meyer et une autre équipe du ministère de la construction, nous arrivons à délimiter, grâce aux études du PADOG et à ses zones de peuplement, un périmètre du groupement d’urbanisme plus conforme à la logique planificatrice. Le territoire concerné, qui deviendra le périmètre du futur SDAU, s’étendait au-delà de celui de la communauté urbaine.
Simultanément, je participais avec le centre d’études du ministère aux recherches conduites pour arriver à la modernisation des textes de loi de 1958 qui aboutiront à la loi d’orientation foncière de 1967 sur les SDAU et les POS. L’équipe qui gravitait autour du directeur de l’Aménagement Foncier, Roger Macé, avait développé plusieurs hypothèses pour le schéma à long terme. A Lyon, compte tenu du réseau ferré, Roger Macé m’avait demandé de regarder ce que donnerait, dans le cadre des dispositions du PADOG, un « schéma directeur de structure » (SDS) qu’il a soumis à Lyon aux fonctionnaires de sa direction. Il fut également présenté discrètement à la SNCF qui le « fusilla » et nous avec ! Pourtant, Lyon avait la particularité d’avoir une desserte ferrée pratiquement circulaire à partir de laquelle des voies se dirigent dans toutes les directions : vers le nord, sur les bords de Saône, rive droite et rive gauche, vers l’ouest en direction de Paray-Le-Monial, Roanne et Clermont-Ferrand, au sud ouest vers Saint-Genis-Laval, vers le sud sur les bords du Rhône, rives droite et gauche vers l’est vers Grenoble ou Genève, au nord sur le plateau de la Dombes et sans compter le chemin de fer privé de l’Est. Le SDS était basé sur un principe fondamental : la desserte de toute l’agglomération à partir de ses voies ferrées, transformées en sorte de RER, avec l’application du schéma théorique idéal des urbanistes de l’époque dont j’étais. Autour de l’axe de transport en commun, nous organisions des zones d’habitations dans la verdure puis, plus loin, des zones d’activités et enfin des autoroutes. C’est ainsi que sont apparus les deux axes de développement Décines-Meyzieu et Vénissieux-Corbas…qui sont demeurés inscrits au SDAU, mais sans les voies ferrées. Simultanément, j’avais insisté lourdement pour que soit créé un impôt foncier destiné à éviter l’enrichissement sans cause… L’impôt foncier était une réforme indispensable : dès lors qu’un propriétaire terrien ou un agriculteur à plus intérêt à vendre son terrain pour bâtir plutôt que de cultiver des tomates…c’est « la fin des haricots » ! Les commissions du Parlement eurent tôt fait de démolir cette intention d’empêcher de spéculer en rond !La première approche de ce futur SDAU a été, sur la base des analyses multicritères engagées, la rédaction d’un livre blanc qui sera publié en 1969. Sa rédaction avait été facilitée par les études et réunions du PADOG qui fournissaient quantités de renseignements et donnaient des idées d’hypothèses de partis. Lorsque j’entends dire qu’il n’y a pas eu de planification à Lyon avant l’arrivée de je ne sais quel messie, j’avoue ne pas comprendre !Encore un exemple, nous avions tenu compte des facilités que pouvaient offrir les voies d’eau en matière de transports pondéreux. Avec Jean Pelletier, nous avons entrepris un voyage d’étude en Allemagne pour nous rendre compte des progrès de la mise en état de navigation du Main, du Neckar et du Rhin. Avec la CNR, nous avons ensuite examiné les possibilités de développement de la navigation entre le Rhin et le Rhône avec les conséquences qu’un tel changement d’attitude pourrait avoir sur les villes et les ponts urbains. A Lyon, les services de la navigation ont reconstruit les ponts Kœnig et Maréchal Juin. Le maire de Lyon avait donné son accord pour que soit développés les ports fluviaux de Gerland et des bords de Saône (port Rambaud). Il faut se souvenir que dans les années 60, le développement économique était basé sur l’industrie et l’agriculture. Le poids du tertiaire était infime et nous avons commencé de l’évoquer lors des projets de centres et en particulier l’établissement du programme de la Part-Dieu. Jean Labasse avait alors lancé la notion de secteur « quaternaire » que nous avons traduit en tertiaire supérieur.

 

Avec du recul, la succession des plans (PUD du GU, PADOG, OREAM, SDAU…) donne l’impression qu’entre le temps de la conception et celui de l’approbation, la société évolue au point de rendre obsolète toute tentative de planification ?

Certes ! La vitesse à laquelle la ville se transforme rend tout plan désuet… à tel point qu’avant même d’avoir été approuvé, il est en retard ! La planification court toujours après l’évolution tandis que l’urbanisme, s’il est bien conçu, garde un certain caractère d’intemporalité. Le handicap des planificateurs français réside dans le fait qu’ils ne connaissent pas la prospective… pour la bonne raison que les élus ne veulent pas entendre parler de long terme ! On peut se demander ce que deviendra en France le fameux « développement durable » qui est un vocable creux parmi d’autres. Nous qui n’avons jamais pratiqué la planification avons prêché dès 1972 pour la préservation des ressources naturelles et une HQE… Mais nous n’avons pas su inventer les mots ! Nous ne savons pas regarder et sommes trop forts pour prendre exemple ! Les Néerlandais, nés urbanistes,  car ils ont été dans l’obligation de fabriquer leurs terrains à urbaniser, savent depuis toujours économiser et utiliser l’espace à bon escient. De même, les Britanniques et les Scandinaves parviennent encore à planifier parce que la population tient à sa terre. Les Allemands, après une période euphorique, courent après les financiers et lorsqu’ils les ont rattrapés, leur laissent la bride sur le cou mais, oh miracle, parviennent à de bons résultats ! Nous avons été précoces en planifiant avec une trentaine d’années d’avance… ! Puis dès 1972, avec Valery Giscard D’Estaing « l’urbanisme à la Française » perd son caractère humaniste et hygiéniste pour devenir financier… tout le monde dit économique, moi je persiste et signe : financier ! Les plans d’urbanisme d’aujourd’hui n’intègrent jamais la notion d’économie, et c’est bien dommage !

 

Le SDAU approuvé en 1978 paraît pourtant bien déconnecté de la réalité socio-économique ?

Peut-être… Mais c’est un plan des années 60 : lors de l’approbation les études avaient vieilli… Le mal français réside dans le temps consacré aux procédures d’approbation : les commissions locales d’aménagement et d’urbanisme et toutes les autres étaient d’une somptueuse lourdeur, ce qui a entraîné de multiples ajustements et modifications et donc des retards en chaîne. Les études de planification sont en fait enterrées à cette époque ! Les dérives de la planification ont commencé au moment où les grands ensembles sont construits en fonction des terrains disponibles et où l’implantation des bâtiments dépend de la nature des grues des entreprises !La planification aurait pu avoir un impact beaucoup plus grand en France si messieurs les parlementaires avaient imposé la « ligne budgétaire unique » chère à Edgard Pisani. Celle-ci aurait permis la cohérence des financements des équipements. Ainsi, la planification aurait avant tout été pensée pour satisfaire les besoins des hommes et non pour servir les échéances électorales toujours à court terme. Durant ma longue carrière, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de concevoir et réaliser un équipement qui a reçu un prix 30 ans après ! Si vous m’interrogez sur la pratique de la planification de nos jours, je répondrais qu’il ne faut jamais désespérer des hommes car les choses paraissent devoir s’améliorer grâce à la structuration de la communauté urbaine. Mais il manque à la collectivité une stratégie basée sur une vision politique à long terme que l’on suivrait grâce à des tableaux de bord ad hoc pour rectifier la trajectoire au jour le jour…