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L’INSA de Lyon dans le paysage de l’enseignement supérieur lyonnais

Interview de Alain STORCK

Directeur de l'INSA de Lyon

<< Aujourd’hui à l’heure où se développent des phénomènes de mondialisation et de globalisation qui n’existaient pas en 1957, cette capacité à innover, à expérimenter est d’autant plus nécessaire >>.

L'école se présente ainsi : "L'école d'ingénieur, INSA Lyon, forme en 5 ans des ingénieurs pluri-compétents, humanistes, innovants et dotés d'un esprit entrepreneurial. Notre école d'ingénieur conduit une politique d'excellence déclinée à tous les niveaux. L'INSA de Lyon diplôme plus de 800 ingénieurs par an dans 10 spécialités." 

Rencontre avec son directeur Alain Stork.

Réalisée par :

Date : 11/02/2008

Comment aujourd’hui se situe l’INSA de Lyon dans le paysage de l’enseignement supérieur lyonnais ?
Le paysage de l’enseignement supérieur lyonnais est tout à fait riche et diversifié. Il possède trois universités dites traditionnelles, un certain nombre d’écoles d’ingénieurs sous des statuts et des tutelles ministérielles différentes, deux écoles normales supérieures, une grande école de commerce et de management (EM-Lyon) et d’autres institutions spécialisées. 
Par ailleurs, il faut également souligner qu’en matière de sciences pour l’ingénieur, la métropole de Lyon représente le plus grand pôle après l’Ile de France. Lyon est à la deuxième place après Paris en ce qui concerne le nombre d’ingénieurs formés par année. 
L’INSA de Lyon dans ce paysage occupe toute sa place. Il s’agit de la plus grosse école d’ingénieurs française avec près de 5000 étudiants de premier, deuxième et troisième cycle. 

Quelles sont les caractéristiques qui distinguent l’INSA de Lyon des autres écoles d’ingénieurs ?
L’INSA de Lyon présente un certain nombre de spécificités qui ont pour la plupart été pensées et voulues par les fondateurs dès la création de l’institut en 1957.
La première d’entre elles est sans doute la pluridisciplinarité. En effet, l’INSA comporte 10 départements de formation avec 12 filières auxquels sont associés 23 laboratoires de recherche et ainsi, l’INSA recouvre pratiquement tous les secteurs en sciences pour l’ingénieur : la mécanique, les matériaux, les sciences et les technologies de l’information et de la communication (STIC), l’informatique, les télécommunications, l’énergie et le développement durable, l’urbanisme, la biotechnologie/santé. 
Mais la pluridisciplinarité ne s’arrête ni au nombre ni à la diversité. L’enjeu de l’INSA est de faire en sorte que ces différents secteurs travaillent ensemble. Pour ce faire, nous avons donc créé cinq pôles de compétences :
- le pôle mécanique
- le pôle matériaux avec le génie civil à l’interface
- le pôle STIC
- le pôle énergie/environnement
- le pôle biotechnologie/santé

La pluridisciplinarité est encouragée à l’intérieur de chacun de ces pôles mais aussi entre les pôles. L’innovation prend naissance aux frontières des disciplines et pour concevoir des objets sociotechniques innovants, nous avons besoin d’appréhender les problèmes via plusieurs disciplines en transférant les compétences, les méthodes, les outils de chacune. 
Cette pluridisciplinarité est une spécificité forte de l’INSA de Lyon et elle est, entre autres, autorisée par sa taille. En effet, la taille moyenne d’une école d’ingénieurs en France est de 500 étudiants et 130 diplômes par an. A l’INSA, nous avons environ 5000 étudiants et nous délivrons par an 1400 diplômes dont 900 diplômes d’ingénieurs. La deuxième spécificité est une forte intégration formation/recherche. Aujourd’hui, tout le monde a compris les enjeux de la recherche mais en 1957, la situation était très différente. Ce fut donc une difficile bataille à mener. Mais qui se solde aujourd’hui par une réussite puisque au sein de l’INSA nous avons 600 doctorants, 140 thèses délivrées par an dans tous les secteurs de compétence. Ceci est d’autant plus important que la visibilité des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, sur le terrain mondial, se fait aussi et peut-être surtout par la recherche. 
Cette recherche se fait en étroite collaboration avec les autres établissements de l’enseignement supérieur lyonnais puisque la majorité des laboratoires sont communs à d’autres établissements, puisque les 10 masters recherche de l’INSA de Lyon sont tous en co-direction et puisque que l’INSA fait partie de dix écoles doctorales. La troisième spécificité de l’INSA est une forte ouverture vers les milieux économiques. A l’époque, Gaston Berger et le recteur Jean Capelle l’avaient clairement voulue et avaient établi leur projet sur une implication réelle de l’institut dans le tissu économique local. 
A ce propos, l’appellation « Sciences Appliquées » avait d’ailleurs à l’époque une réelle signification, elle est aujourd’hui moins pertinente. Elle laisserait entendre qu’il y a des sciences nobles, fondamentales et des sciences appliquées qui ne seraient que l’application des premières. Aujourd’hui, nous sommes dans une approche plus « circulaire » de la recherche fondée sur une intégration des différentes finalités de la recherche en intégrant le « comprendre pour faire », caractéristique des sciences de l’ingénierie. 

Cette façon d’envisager la recherche, est-ce une spécificité de l’INSA de Lyon ou est-ce une spécificité des sciences pour l’ingénieur ?
On est là davantage dans une spécificité des sciences de l’ingénierie qui se positionnent dans une optique de « comprendre pour faire ». Elles développent des approches très circulaires pour dépasser le cadre de l’approche linéaire qui fut, un temps, celle qui dominait (science fondamentale en amont et  science appliquée en aval). Cette façon de voir est dépassée.

Dès 1957, on note avec la création de l’INSA de Lyon celle du Centre des Humanités. Est-ce également une caractéristique de cette école de vouloir intégrer les sciences humaines et sociales à la formation d’ingénieur ?
L’INSA de Lyon a, là aussi, marqué une différence importante par rapport aux autres écoles d’ingénieurs. En effet, on peut dire que l’école forme depuis 1957 des ingénieurs humanistes, c’est-à-dire que l’institution propose une formation très bien articulée avec les sciences humaines et sociales. 
C’est une originalité : la formation en SHS ne vient pas « par-dessus » la formation en sciences dures mais y est complètement intégrée. Par exemple, l’école dont je suis diplômé et dont j’ai été le directeur, a été créée en 1887, le cursus étant essentiellement scientifique et technique. On a essayé de rajouter beaucoup plus tard une part de SHS mais qui s’apparente plus à un « supplément d’âme ». La formation en SHS doit être pensée, d’une part pour être adaptée à l’ingénieur et à ses besoins, et d’autre part pour contribuer à la formation d’ingénieurs humanistes, capables de penser la science et la technologie. Elle est par ailleurs totalement intégrée dans les fondements du modèle INSA. 

Comment l’INSA de Lyon se positionne-t-il par rapport à l’ouverture internationale ? 
Il s’agit là aussi d’une spécificité de l’INSA développée dès la création de l’Institut. Les créateurs de l’INSA ont voulu une ouverture à l’international qui s’est traduite dès les premières promotions par la présence d’étudiants étrangers. Il y a 50 ans, peu d’écoles s’y étaient d’ailleurs engagées. Mais 50 ans après, on se rend compte qu’il est impossible de faire l’économie d’une ouverture – clairement pensée et conçue – vers l’international. 
Nous concevons cette ouverture de façon originale et nous dépassons le stade des simples échanges d’étudiants et d’enseignants. Nous avons aujourd’hui 28% d’étudiants étrangers, c’est-à-dire 1200 étudiants étrangers sur 5000 provenant de 48 nationalités différentes. 75% de nos étudiants passent au minimum un semestre à l’étranger, soit en séjour académique soit en stage dans une entreprise. Mais, désormais, notre ouverture internationale va également beaucoup plus loin puisque, nous avons décidé d’être présents sur un certain nombre de continents à travers des projets conjoints et partagés. 
Par exemple, au Japon, à Tohoku, nous sommes, en train de créer un laboratoire international en nous associant à l’université de Tohoku, en partenariat avec l’Ecole Centrale de Lyon. C’est un projet global car nous y développons la dimension formation avec des masters en double diplôme et la dimension recherche avec ce laboratoire commun. 
En Chine, et plus particulièrement à Pékin, nous avons construit en partenariat avec l’Ecole des Mines de Paris, le Centre Franco-chinois de l’Energie et de l’Environnement (CEFCEET) qui est également un projet global reposant sur les dimensions formation et recherche. 
Tous nos accords ne sont pas uniquement développés en Asie, nous en développons aussi dans d’autres continents (Maghreb, Amérique latine, Europe…).Nous avons d’ailleurs besoin de deux types d’accords : ceux qui nous permettent d’accueillir un juste pourcentage d’étudiants étrangers dans nos rangs et ceux – en nombre plus restreint – qui nous permettent d’établir des collaborations plus globales en recherche et en formation. Finalement, le mot « ouverture » traduit bien ce qu’est l’INSA aujourd’hui. Ouverture aux milieux économiques, ouverture vers la recherche et l’innovation, ouverture internationale, ouverture de la formation aux humanités, ouverture à des partenariats et à des synergies renforcés d’une part avec les universités lyonnaises et d’autres part avec les autres écoles d’ingénieurs et de management. 

Il semble que l’INSA de Lyon soit un « système qui marche » : beaucoup de diplômés, ouverture internationale, recherche et formation intégrées, nouveautés pédagogiques, etc. Quels sont aujourd’hui les enjeux pour un tel institut ? 
Tout d’abord, il faut savoir quels sont les indicateurs qui montrent qu’une structure de formation « marche bien » ? On forme par an 1400 diplômés dont 900 ingénieurs, 300 diplômés de master, 140 doctorants et 80 à 100 mastères spécialisés de la Conférence des Grandes Ecoles. Un des critères est déjà de savoir si ces diplômés se placent avec des salaires corrects. La réponse aujourd’hui est clairement positive. 
Sur le plan de la recherche, nos laboratoires ont une grande visibilité, la plupart étant associés aux EPST : CNRS, INSERM, INRA, INRIA. Ces laboratoires jouent leur rôle avec une triple mission : participer au développement socio-économique, produire des connaissances et participer à la formation des ingénieurs. L’enjeu aujourd’hui est de former des ingénieurs humanistes – aptes à la maitrise de la complexité et au développement durable – capables de faire face aux évolutions en cours. Dans le cas des ingénieurs, ces évolutions touchent évidemment les domaines de l’innovation et de la conception. L’Europe privilégiant le développement de l’économie de la connaissance et du savoir, l’ingénieur sera dans le futur davantage sollicité pour des tâches de conception : concevoir des produits, des matériaux innovants, concevoir des procédés, des services, etc. ; il ne pourra être performant et innovant qu’en ayant baigné dans une atmosphère de recherche. On a besoin d’ingénieurs dotés d’une attitude entrepreneuriale et innovante et qui aient donc intégré les outils de la recherche et les capacités développées par la recherche. Ceci constitue un fort enjeu de formation.

Ce sont là des enjeux en termes de formation, mais en avez-vous sur d’autres domaines ? 
L’un des grands enjeux de l’INSA est aussi celui de la diversité. L’INSA a été créé en 1957 avec une forte volonté d’ouverture sociale. A l’époque on disait qu’il fallait « transformer des paysans en ingénieurs ». Aussi, la diversité est placée au centre des projets de l’INSA. Elle se décline sous 4 formes :
- ouverture sociale
- accueil d’étudiants handicapés
- égalité homme/femme
- étudiants étrangers

Ces quatre champs répondent à une même problématique : celle de la diversité. Les enjeux y sont encore plus importants qu’il y a 50 ans.
De ce point de vue, nous avons expérimenté un certain nombre d’outils d’ouverture sociale, notamment au travers d’expérimentations conduites avec les lycées situés en ZEP (à Vaulx en Velin, Vénissieux…). Nous sommes aussi en train de réfléchir à l’échelle nationale à la création d’une école adaptée à l’accueil de bacs pro. C’est un challenge très important. On recense aujourd’hui 90 000 bac Pro en France par an, si seulement 1% parmi eux pouvaient intégrer une école d’ingénieurs, les promotions seraient de 900 étudiants… soit une promotion d’insaliens.
Ce challenge de la diversité s’applique dans les deux sens : que pouvons-nous apporter à ces publics mais aussi en quoi ces publics constituent une source d’enrichissement mutuel ?Un autre enjeu réside dans la diversité et l’accroissement de nos ressources financières au travers d’une campagne de développement et d’une levée de fonds. C’est un enjeu décisif en termes d’attractivité de talents et de compétitivité à l’international.

Pouvez-vous préciser en quoi l’enjeu de levée de fonds est si important ?
Tout d’abord de façon très pragmatique, nous avons des locaux qui datent de 50 ans… et à terme, il va bien falloir, si ce n’est les changer, au moins les rénover.
Par ailleurs, sur la scène internationale, nous sommes en compétition avec des universités nettement mieux dotées que nous. Par exemple, l’université de Jia Tong à Shanghai a eu les moyens de créer en 3 ans un deuxième campus trois fois plus grand que celui de la DOUA sur la base d’un projet de l’ordre de un milliard de dollars d’investissement. 
Ensuite, il nous faut pouvoir maintenir la diversité de notre formation. Lorsqu’on enquête auprès des étudiants, on apprend qu’ils choisissent l’INSA car l’Institut a une très bonne réputation mais aussi parce qu’il offre une diversité de formations très importante (filières artistiques, internationales, douze spécialités d’ingénieur, section sportive de haut niveau, séjours à l’international…). C’est cette diversité qui fait l’attractivité de l’INSA mais elle a un coût, surtout si l’on veut garantir la qualité des parcours. Nous sommes entrés dans une campagne de levée de fonds dont la première phase consiste à tester, auprès des entreprises sélectionnées, les offres proposées, le slogan de campagne, la méthodologie mise en place, etc. Cette phase précède la phase de campagne proprement dite qui, si le conseil d’administration l’autorise, devrait commencer dans quelques mois.  

Cela va-t-il se concrétiser par la création d’une fondation comme pour l’université Claude Bernard Lyon1 ?
Nous avons préféré d’abord travailler sur le contenu des projets, avant de nous intéresser au contenant. 
La loi sur la recherche d’août 2007 offre des possibilités nouvelles et nous les examinons sans a priori. Il s’agit là d’une véritable expérimentation car cela nous conduit à mettre en place des partenariats nouveaux avec les milieux économiques. Le contexte est tel qu’il nous faut être capables d’envisager de nouveaux modes de partenariats globaux qui mettent en scène à la fois la formation, la recherche ainsi que le transfert de technologie... Dans une telle campagne de développement, nous sommes amenés à réfléchir aux grands axes stratégiques que nous souhaitons privilégier, aux projets que nous voulons « vendre ». Les retombées sont donc plus que seulement financières. 

Au niveau des entreprises, comment s’est fait votre choix ? 
Au moment de la campagne test, nous avons sorti nos carnets d’adresse en sollicitant nos partenaires les plus proches et de grands ambassadeurs de la campagne. Nous essayons d’avoir un panel d’entreprises qui soit assez ouvert thématiquement afin que l’ensemble des champs disciplinaires de l’INSA soit représenté. 

Comment l’INSA de Lyon va-t-il se positionner dans les grands ensembles (PRES, pôles de compétitivité, RTRA/RTRS, instituts Carnot, etc.) qui se mettent place depuis quelques années tout en gardant son identité d’école d’ingénieur ? 
Depuis trois ans, de nombreuses choses ont évolué dans le paysage de l’enseignement supérieur. Le maître mot est celui de la synergie et du partenariat : plus de synergie entre les différents acteurs, plus de partenariats entre les grandes écoles, les universités, les organismes de recherche, les milieux économiques et les collectivités territoriales. L’esprit des deux lois (celle d’avril 2006 sur la recherche et celle d’août 2007) est de promouvoir ces synergies par la mise en place de nouveaux outils et d’augmenter la performance globale du dispositif d’enseignement supérieur et de recherche. Ces derniers sont les Réseaux Thématiques de Recherche Avancée (RTRA), les labels Carnot, les pôles de compétitivité, les clusters recherche de la région, les PRES…
L’INSA a obtenu un label Carnot, nous sommes partenaires de la plupart des pôles de compétitivité et des clusters rhône-alpins. Quant au PRES de Lyon, notre conseil d’administration a voté en mars 2007 notre adhésion  en tant que membre fondateur mais nous n’y entrerons que lorsque le Conseil d’administration du PRES sera en place.

Cela fait toutefois beaucoup de structures différentes, comment l’INSA de Lyon peut-il « trouver sa voie » à l’intérieur de ces ensembles ? 
Ces nouveaux outils associent effectivement beaucoup d’acteurs et ce sont souvent les mêmes entités et les mêmes laboratoires qui participent à ces différentes structures. C’est pourquoi, nous avons beaucoup réfléchi à notre stratégie globale en nous posant la question : comment concilier le défi de la globalisation et celui de la diversité ? En ce qui concerne le PRES de Lyon, notre première approche était assez réservée, mais le CA du 22 mars 2007 a délibéré positivement et ce pour trois raisons majeures :
La première est liée au fait que le PRES regroupe la majorité des acteurs de l’enseignement supérieur de la région lyonnaise. Ne pas y participer conduisait à une certaine marginalisation de l’INSA, alors que nous avons effectivement beaucoup d’interactions avec les autres acteurs. 
La deuxième concerne les points de blocage de départ. En effet, ces derniers ont été levés et notamment celui relatif à la délivrance du doctorat. Dans la première version du projet, le PRES avait vocation à délivrer le doctorat de l’Université de Lyon sans mention des établissements. Or, la stratégie de l’INSA repose sur une forte intégration entre formation et recherche et il est indispensable de ce point de vue que l’institut reste visible et soit identifié tant au niveau de sa formation qu’à celui de sa recherche. C’est chose acquise aujourd’hui.
La troisième est relative à notre rôle dans le PRES. Compte tenu du paysage très diversifié de l’enseignement supérieur de Lyon, nous tenions à défendre et à assurer la promotion de valeurs et de méthodes qui sont celles des sciences de l’ingénierie en créant au sein du PRES un grand pôle Ingénierie visible et reconnue. Nous sommes en train de travailler dans cette logique depuis plus d’un an et nous tentons de mettre en réseau les campus (La Doua, Ecully, Vaulx en Velin…), qui possèdent des forces et des compétences en Sciences de l’Ingénierie. La notion de communauté de recherche et de formation, proposée par le Grand Lyon, est une idée intéressante ; trois ont été pour l’instant identifiées dont l’une en ingénierie et technologie. Le principe est que chaque communauté s’appuie sur des campus en réseau l’un étant le centre de gravité. Nous soutenons cette idée.

L’INSA de Lyon a l’image d’une école qui « expérimente ». Vous avez signalé que Gaston Berger et le Recteur Capelle avaient en leur temps expérimenté de nouvelles formules pédagogiques, de nouvelles formes d’ouverture à l’international, etc. quels sont aujourd’hui les terrains d’expérimentation de l’INSA ? 
Le terrain de l’ouverture sociale avec l’enjeu de la diversité est au cœur de nos priorités. Comment aujourd’hui faire en sorte que les élèves des milieux défavorisés puissent entrer à l’INSA et y réussir ? Il faut expérimenter, c’est vrai, mais nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier des étudiants sur l’autel de l’expérimentation. En d’autres termes, l’enjeu est de taille et difficile. Par exemple, comme souligné plus haut, nous avons essayé de favoriser l’intégration de lycéens issus de lycées en ZEP (un de Vénissieux et deux de Vaulx en Velin) au travers de partenariats entre ces lycées et l’INSA de Lyon. Nous n’avions jamais eu un candidat et a fortiori aucun admis parmi ces lycées. Avec l’expérimentation mise en place s’appuyant sur l’opération « Passeport pour l’entretien », des candidats se sont déclarés en petit nombre, il est vrai. En partenariat avec l’équipe pédagogique de ces trois lycées, nous avons travaillé sur une préparation en amont des élèves susceptibles d’être intéressés par l’INSA. 
La première année, sur une trentaine de candidats, onze sont entrés à l’INSA. Malheureusement à la fin de la première année, il n’en restait qu’un seul, les autres ayant été réorientés…

Quelles ont été alors les suites du projet ? 
Nous avons agi sur deux volets. Dans la première expérience, nous n’avions pas voulu « marquer » les élèves, c’est-à-dire les identifier comme étant des élèves différents. Même les enseignants ne connaissaient pas leur provenance. Lors du deuxième recrutement, nous avons mis en place un tutorat individualisé. Le deuxième problème était lié au fait que nos partenaires des lycées avaient privilégié lors du recrutement la motivation, presque indépendamment des résultats scolaires. Or, même si la motivation peut soulever des montagnes, l’expérience montre que ce n’est pas suffisant… 
Après avoir joué sur ces deux leviers, nous avons maintenant beaucoup moins de problèmes et le taux de réussite est plus élevé. Il faut être donc bien conscient que l’expérimentation à petite échelle, y compris sur le plan pédagogique, est nécessaire, afin de conduire des jeunes à la réussite, c’est-à-dire au diplôme ! 

En dehors de ces élèves, l’INSA de Lyon met-il en place une autre forme d’expérimentation dans le domaine pédagogique ? 
Nous avons mis en place il y a quelques années une nouvelle forme d’ingénierie pédagogique au sein de la filière FAS (Formation Active en Sciences) ouverte aux bacs STI. 
C’est une pédagogique inversée, plus inductive que déductive : on part d’études de cas et on remonte vers la théorie et les concepts. Mais la difficulté est que ce type de pédagogie ne s’applique que sur les deux premières années – le premier cycle – et qu’en département de spécialité, les élèves retrouvent une pédagogie traditionnellement déductive. C’est une difficulté que nous rencontrons aujourd’hui.

Vous parliez tout à l’heure de l’accueil des bacs pro ? 
Oui, c’est exact. Toutefois, pour ces profils, il nous faudra changer totalement de dispositif et de méthodes, car la seule adaptation du système existant n’a aucune chance de réussite. Nous en sommes là au stade de la réflexion. C’est un enjeu fort. Nous mettrons sans doute en place un dispositif adapté tant au niveau du rythme – formation en 6 ou 7 ans au lieu de 5 – qu’au niveau de la pédagogie en privilégiant la formation par l’apprentissage. 

Qu’en est-il alors pour l’international ? 
Au-delà des grands projets en cours, notamment en Asie, nous expérimentons actuellement la mise en place d’une filière R&D à Pékin dans le domaine des télécommunications, qui offrira à nos étudiants la possibilité de passer un semestre sur place en y effectuant leur option transversale de cinquième année. Nous avons renoncé à l’idée de créer un établissement à l’étranger – comme a pu le faire l’Ecole Centrale à Pékin – et privilégions des partenariats locaux (dans le cas présent avec un laboratoire du CNRS et de l’INRIA implanté à Pékin).
Les Options transversales et pluridisciplinaires que nous avons mises en place en 5ème année constituent une expérimentation qui a réussi ; la filière R&D en est son expression à l’échelle internationale ; elle nous fournit l’opportunité de nouer de nouveaux partenariats (EM-Lyon, CPE-Lyon), notamment avec des entreprises.

Vous parliez d’une très forte intégration formation/recherche, l’INSA de Lyon est-il en mesure d’innover ou d’expérimenter dans son rapport à la recherche ? 
Nous sommes en mesure aujourd’hui de conduire les étudiants vers une connaissance réelle du monde de la recherche, de ses métiers, de ses méthodes de travail et de pensée et ce dès les premières années de formation. Dans cet objectif, nous avons mis en place récemment un certain nombre d’ « outils » (journée de découverte de la recherche, options spécifiques, cycles de conférences…) afin de favoriser progressivement la découverte de la recherche par les élèves-ingénieurs.

Vous avez souligné que l’INSA de Lyon présente la forte caractéristique de mettre en place une formation SHS parfaitement intégrée à la formation générale en science et en technique, est-on ici aussi au niveau de l’expérimentation ?
Nous avons été précurseurs en 1957 en créant un centre des Humanités totalement intégré au sein de l’INSA de Lyon. Mais de nombreuses controverses, voire des oppositions fortes peuvent exister à l’intérieur entre les représentants des sciences dites dures et ceux des sciences humaines et sociales, des humanités. Cette réalité peut  éventuellement devenir très conflictuelle lorsqu’il s’agit de répartir des moyens, des postes ! Au mieux, on est dans la controverse, au pire, on atteint le conflit… Un de nos objectifs est de remettre ce chantier au centre de nos expérimentations ;j’ai formulé récemment le vœu que la philosophie, la sociologie, l’économie, les sciences humaines et sociales, les arts… disciplines portées par notre centre des humanités, ne soient plus considérées comme des suppléments d’âme à l’activité de l’ingénieur, mais que s’opère, comme au siècle des Lumières, la réconciliation entre les sciences dites dures et les SHS, avec une volonté exprimée de dépasser le stade de la réflexion vers une logique d’action. Vaste chantier, qui nécessitera de mettre en débat le culte de la performance, de l’excellence, notions impérieuses, exigeantes, tyranniques (la tyrannie des classements quantitatifs) qui se nourrissent par essence même d’exclusions ! 
La désaffection des filières scientifiques et techniques par les étudiants est également un chantier difficile, qui peut être appréhendé par cette approche.

Pensez-vous que le fait que l’INSA se lance perpétuellement sur des chantiers d’expérimentations très divers repose sur une tradition instaurée par les fondateurs en 1957 ? 
En 1957, l’INSA a été mis en place pour expérimenter un nouveau modèle de formation, ouvert socialement et à l’international, intégrant formation et recherche, ouvert aux partenariats avec les milieux économiques, aux enjeux socioéconomiques, à la pluridisciplinarité. 
A l’époque, les fondateurs ont du trouver la place de ce modèle au sein du dispositif traditionnel des universités et des grandes écoles. Aujourd’hui à l’heure où se développent des phénomènes de mondialisation et de globalisation qui n’existaient pas en 1957, cette capacité à innover, à expérimenter est d’autant plus nécessaire.