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La stratégie à adopter pour que Lyon devienne capitale de la gastronomie

Interview de Daniel GOUFFE

Illustration représentant un cuisinier dans sa cuisine
Président de MERIAL

<< Si l’on veut assurer à la métropole lyonnaise une reconnaissance internationale comme capitale de la gastronomie il faut mettre en avant nos chefs >>.

Entretien avec Daniel Gouffe, président de MERIAL.

Réalisée par :

Date : 01/03/2006

Pensez-vous que la métropole lyonnaise est légitime pour affirmer son ambition de capitale mondiale de la gastronomie ?

Si la métropole lyonnaise souhaite réellement atteindre son ambition d’être la capitale mondiale de la gastronomie d’ici 15 ans, il faut mettre au point une stratégie avec un état des lieux partagé par tous, des orientations claires ainsi qu’un plan d’action pour la mise en œuvre. L’état des lieux c’est le point de départ et je ne suis pas sûr qu’il soit aujourd’hui partagé par tous ceux que nous devrons mobiliser. Il faudrait mettre au clair nos points forts et aussi nos points faibles en prenant un peu de recul.

 

Justement, comment voyez-vous la situation actuelle de la gastronomie à Lyon ?

Il faudrait certainement mener un diagnostic complet et approfondi mais je pourrais vous donner un exemple des enjeux que nous devons certainement aborder. Cela peut paraître paradoxal mais, selon moi, Paul Bocuse est à la fois un des meilleurs ambassadeurs de notre ville (avec l’Olympique Lyonnais !) et un passage obligé qui fige le système. La conséquence est qu’aujourd’hui beaucoup de chefs sont en quête de reconnaissance, souvent méritée, et risquent de privilégier leurs intérêts personnels plutôt que l’intérêt de la métropole lyonnaise.

L’enjeu est d’arriver à créer une dynamique plus collective, de rassembler les grands chefs plus anciens et la nouvelle génération de jeunes. Les « stars » doivent encourager les jeunes à valoriser pleinement leur potentiel. Il faudrait arriver à recréer une nouvelle « bande de copains » comme celle qui a existé à Lyon autour de Paul Bocuse. Tout cela, c’est ce que les Toques Blanches essayent de faire sans y arriver complètement.

 

Selon quelles grandes lignes la métropole lyonnaise pourrait-elle orienter sa stratégie ?

Le groupe de travail qui a été mis en place a bien avancé sur les grandes lignes de la stratégie. J’adhère parfaitement aux trois axes qui ont été mis au point :
● La qualité de nos terroirs, de nos produits et de notre cuisine.
● La convivialité et la dimension humaine qui sont au cœur de notre vision de la gastronomie.
● L’attention que nous portons à mailler le plaisir du goût avec une alimentation saine.

Pour moi, ces axes sont très pertinents par rapport aux grandes tendances de la société et suffisamment originaux pour nous assurer une place distinctive sur la scène internationale. De plus, je crois que Lyon est crédible pour mettre en avant ces trois axes. Nous avons des atouts indéniables sur chacun d’eux.

J’insisterai sur un point : pour moi les chefs sont des emblèmes indispensables d’une stratégie gastronomie. Si l’on veut assurer à la métropole lyonnaise une reconnaissance internationale comme capitale de la gastronomie il faut mettre en avant nos chefs. Aujourd’hui, c’est comme cela que le système fonctionne et qu’il a été mis en place autour de Paul Bocuse. Celui-ci est au cœur de tous les réseaux qui font vivre et connaître la gastronomie lyonnaise : cuisine, restauration, formation, médias, produits et terroirs,… Demain, il faut poursuivre cela, il faut que le passage de relais soit réfléchi et organisé dès maintenant. Personnellement je pense que Gauvreau doit faire partie de nos chefs emblématiques. Il est vraiment incontournable et reconnu par toute la profession.

 

Et comment pensez vous que cette stratégie devrait être mise en œuvre ?

« En ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs, nous ne devons pas nous précipiter. Si notre horizon stratégique est l’année 2020 et que notre ambition est de viser l’excellence, nous devons construire nos projets sur des bases solides et donc prendre notre temps. Certains proposent de monter un événement populaire, pourquoi pas, c’est sûrement une bonne idée, mais pour qu’il soit porteur d’une image forte et qu’il s’inscrive dans la durée, nous devons l’appuyer sur une base d’acteurs stabilisée et mobilisés derrière ce projet collectif. On peut se permettre de prendre un an ou deux pour le préparer collectivement !

Je vais prendre l’exemple d’une des orientations dont nous parlions précédemment, il s’agissait de travailler sur le lien entre le plaisir du goût et la santé alimentaire. C’est pour moi un thème porteur d’avenir qui traduit d’ailleurs une réalité physiologique : le plaisir fait saliver et la salive favorise une bonne digestion et donc une bonne santé ! Pour mettre en œuvre une stratégie qui relie gastronomie et santé nous devons réussir à mailler deux mondes, celui de l’art culinaire et des chefs avec celui de la science et de la recherche.

C’est sur cette voie que souhaite s’engager Hervé Fleury et l’Institut Paul Bocuse en créant un centre de recherche avec une démarche unique au monde :
● Des chefs participeraient à l’aventure pour démontrer scientifiquement que la bonne cuisine peut être bonne pour la santé, ils s’engageraient ainsi à former des jeunes chercheurs et des doctorants…
● Le centre de recherche aurait pour vocation d’apporter aux chefs, aux restaurateurs et aux producteurs lyonnais de nouveaux savoir-faire et de nouvelles technologies avec une vocation opérationnelle.

Ce centre de recherche ne serait pas uniquement scientifique et universitaire mais il serait tourné vers les chefs, les produits et les terroirs. Il s’agit en fait de mettre en pratique un partenariat public-privé qui constitue pour moi une des clés pour toute stratégie de développement territorial avec un horizon à 15 ans.

 

Vous insistez sur l’importance de mobiliser tous les acteurs concernés, quels sont justement selon vous les acteurs à mobiliser sur cette question ?

Effectivement, le cœur de la stratégie gastronomie tournera autour des chefs et de leurs restaurants mais il ne faut pas négliger le rôle important de nombreux autres acteurs. Il y a d’abord tout le monde sanitaire avec notamment l’AFSA qui peuvent nous aider à pointer les risques et peuvent apporter leur soutien aux projets lyonnais. Sans eux, nous n’iront pas loin et nous nous exposons à un échec. Il y a ensuite toute le monde agricole organisé en filières très complexes sur lequel il faut nous appuyer pour couvrir toute la chaîne, « de la fourche à la fourchette » !

Enfin, je pense au monde de l’entreprise au sens large. Les entreprises se préoccupent en effet de plus en plus des enjeux de santé de leurs salariés et je suis certain que l’alimentation va rapidement devenir un de leurs axes de travail, à travers des efforts sur la restauration d’entreprise mais aussi des politiques éducatives à destination des salariés. Sur des enjeux de société comme l’alimentation, les entreprises sont souvent plus réactives que l’Etat et elles peuvent jouer un rôle très efficace sur la santé publique.

 

Et pour mettre en place cette stratégie, quelle est l’échelle de travail pertinente ?

Pour que la stratégie soit pertinente et suffisamment ambitieuse, il faut raisonner à une échelle élargie pour intégrer les formidables terroirs qui entourent la métropole et des acteurs importants comme Trois Gros à Roanne par exemple… Pour autant, il est nécessaire de conserver une polarisation sur Lyon qui doit demeurer le centre d’intérêt principal.

Il faut aussi veiller à la qualité et à la cohérence du positionnement de Lyon en évitant de mobiliser n’importe quel partenaire, dans n’importe quelles conditions. Je prendrai l’exemple du Beaujolais pour illustrer ce point. Ce vignoble est certes porteur d’une image forte à l’international mais cette filière est en plein renouvellement pour lutter contre la crise qu’ils ont connu ces dernières années. Si Lyon souhaite associer son image à celle du Beaujolais il faut veiller à ce que ce partenaire s’inscrive de manière visible et durable dans une politique qualitative cohérente avec le positionnement de la métropole gastronomique lyonnaise. Peut être faudrait-il attendre un peu que la stratégie et l’image du Beaujolais confirment leur renouvellement. Là encore, prenons le temps et laissons les choses se construire progressivement...