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L'éducation à l'environnement par Citéphile

Interview de Luc BLANCKAERT

<< L’éducation à l’environnement correspond à trois perspectives : l’éducation à la ville, l’éducation dans la ville et l’éducation par la ville >>.

L'éducation à l'environnement abordée par l'assocation Citéphile : enjeu de cette éducation et méthode d'éducation avec Luc BLANCKAERT, président de l'association.

Réalisée par :

Date : 12/06/2006

Luc Blanckaert, vous êtes président de l’association Citéphile, pouvez-vous nous préciser l’objet de cette association et les valeurs sur lesquelles elle s’appuie ?

Citéphile est un réseau national d’acteurs de l’éducation à l’environnement urbain. Nous abordons la ville comme un milieu en soi, un système global et complexe qui mérite une approche pluridisciplinaire. Nous favorisons un regard croisé sur la ville, à l’inverse du fonctionnement par discipline de l’éducation nationale. Nous la considérons comme un ensemble de tissus et réunissons aussi bien des acteurs de l’urbanisme, de l’architecture, d’histoire, de géographie, de culture, d’écologie, d’économie, du développement durable et bien sûr de l’éducation. Seul, on n’arrive pas à s’approprier la ville. Notre fil conducteur est de replacer l’homme au cœur de son environnement, le milieu urbain,   et d’agir pour un meilleur « vivre ensemble » au sein des villes. À l’heure de la mondialisation et des mégalopoles, il nous semble en effet indispensable d’œuvrer en faveur d’une dimension humaine des villes. Notre préoccupation, c’est la qualité de vie des individus dans leur quotidien.

 

Comment abordez-vous le champ éducatif ?

L’éducation à l’environnement correspond à trois perspectives : l’éducation à la ville, l’éducation dans la ville et l’éducation par la ville, et ce tout au long de la vie.
La ville comporte son propre mode d’emploi. Il convient de l’étudier, de le connaître et de le comprendre. L’éducation à la ville, c’est l’éducation du citoyen citadin. De par sa complexité, la ville est également un fantastique support pour renouveler l’acte éducatif, pour aller vers l’analyse systémique et la pluridisciplinarité. L’éducation dans la ville, c’est l’utiliser comme support pédagogique. Enfin, l’éducation par la ville suppose une éducation sur la relation entre les individus et l’environnement. Tisser des relations entre nous et ce milieu de vie est fondamental en matière d’éducation pour se sentir bien dans la ville. C’est la ville comme chemin de l’éducation.

 

Les frontières entre ces trois approches sont-elles tranchées ?

Très souvent, dans les projets pédagogiques, les trois dimensions sont effectivement mêlées. Néanmoins, nous avons constaté que les actions éducatives portées par les collectivités locales mettaient essentiellement l’accent sur les gestes de protection de l’environnement et d’économie des ressources au détriment d’une vision d’ensemble.  Il est vrai que lorsque les collectivités vont plus loin, elles se mettent en quelque sorte en danger. En effet, en favorisant une approche et un dialogue plus larges, elles donnent plus de « pouvoir » aux citoyens.

 

N’est-ce pas là tout l’enjeu de la concertation, de la participation des habitants, de la démocratie participative et de ses limites ?

Tout à fait. Les décideurs, les élus, les urbanistes envisagent la ville à moyens et longs termes, sur des trames d’ensemble. Ils construisent un tissu urbain qui reste assez lâche. L’habitant, lui est focalisé sur son quotidien, sur une échelle plus restreinte et va se constituer son micro-tissu. L’enjeu de la concertation comme de l’éducation à l’environnement urbain est de mettre en harmonie ces deux approches. C’est de mailler les interstices par des actions qui correspondent au quotidien des gens, à l’échelle vécue, aux attentes premières en termes de déplacement, d’espaces publics comme de convivialité. Quand on travaille sur les trajets domicile-école, à l’exemple de l’opération Pédibus conduite par le Grand Lyon, on permet aux gens de reprendre la main sur leur quotidien. Favoriser ce type de concertation proche des préoccupations quotidiennes permet un usage facilité de la ville auquel les urbanistes ne pensent pas forcément... Bien sûr, ces actions n’ont pas valeur de rayonnement à l’échelle de la métropole, elles correspondent plus à broder une petite fleur sur de la soie. Néanmoins, elles impactent fortement la vie des habitants. Je prendrais un autre exemple, à Romans-sur-Isère. Un groupe d’adolescents qui fréquentait la maison de quartier des Ors s’étonnait, et même vivait assez mal, que les personnes qui construisaient des maisons dans leur quartier se barricadaient derrière de vrais murs d’enceinte. La maison de quartier a organisé des rencontres et une réflexion sur les raisons qui poussent les gens à construire des murs de clôture. Cette réflexion, en cours actuellement, permet aux uns et aux autres de se connaître et de mieux se comprendre. On est là pleinement dans le « vivre ensemble » la ville.

 

L’éducation à l’environnement urbain est en fait l’éducation au vivre ensemble la ville ?

Pour moi, c’est effectivement ce qui guide nos actions. L’éducation à la ville doit permettre de semer des graines pour que demain, à l’exemple des jardins partagés, il y ait plus de projets collectifs. Pourquoi ne pas envisager à l’avenir, plus de chaufferies collectives dans les lotissements, des piscines ou locaux communs pour les vélos…, des jardins… Aujourd’hui, tout le monde semble être coincé par ce rêve de la maison individuelle. Dans ce domaine, les collectivités, les urbanistes, les architectes n’arrivent pas à proposer vraiment de nouveaux projets. Il faut de l’audace pour réinventer des projets collectifs semi-publics semi-privés. Certes, ce n’est pas facile, il faut casser le rêve, faire le deuil de la maison individuelle traditionnelle. Cependant, il nous faut aller plus loin à l’exemple de l’analyse environnementale des projets urbains initiée par le Grand Lyon. Nous devons développer le volet social du développement durable et aller au-delà des peurs et des replis. La peur paralyse. Rester figer dans la crainte de l’épuisement des énergies, ce n’est pas possible, trop stérile. Pour contourner cet obstacle de crises énergétique et climatique, il me semble indispensable de restituer la vie aux gens. Inciter à réfléchir autrement, l’absurdité d’un monde dépendant de l’énergie, c’est aussi l’absurdité d’un monde qui n’a plus d’enracinement, de vie sociale.

 

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

À Lille, l’association resoassometro, organise chaque année une manifestation qui s’appelle « les fenêtres qui parlent ». Cette opération a été construite à partir d’un constat simple. Dans le nord de la France, les habitants ont l’habitude d’exposer des informations sur leurs fenêtres, une annonce pour vendre quelque chose, une invitation à la prochaine réunion de la paroisse, l’œuvre graphique du petit dernier …L’idée évidente a été d’aller plus loin, d’inviter tous les habitants à s’afficher à leurs fenêtres et de créer ainsi un itinéraire à travers les rues de la ville. Bien sûr, cette balade avant tout conviviale s’accompagne de temps festifs : Les gens s’exposent, se mettent en contact avec la rue, avec les autres. Ce petit événement qui produit de grands effets, qui ne transforme pas la ville mais qui améliore la vie collective en son sein, illustre bien notre démarche et ce qui fonde notre volonté d’agir pour les années à venir. Est-ce du développement durable ? de l’éducation à la citoyenneté ? à la citadinité ? à l’environnement ? Je n’ai pas vraiment envie d’accrocher d’étiquette. Le combat pour l’environnement est avant tout un combat pour l’homme. La planète, elle, se débrouillerait bien sans nous. Pour moi, l’enjeu est de recréer du vivre ensemble et l’environnement urbain est un fabuleux moyen pour y arriver. Si demain, on devait connaître de graves crises, il serait plus sympathique de s’inscrire dans des dynamiques de solidarité et d’entraide que dans des stratégies de repli sur soi et d’opposition. Je préfère œuvrer pour créer de l’envie de vivre ensemble et envisager l’avenir dans une dynamique de projet plutôt que dans une position défensive. C’est toute l’opposition entre l’angoisse et l’envie. Et, aujourd’hui notre société vit dans cette ambiance d’angoisse et de repli. C’est particulièrement vrai dans nos villes qui abritent 80% de la population mondiale. Dans un tel contexte, comment ne pas se mobiliser pour agir dans une perspective d’éducation à l’environnement urbain pour tout simplement y vivre mieux.