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Le parcours effectué par les femmes de l'enfantement à l'accouchement

Interview de Elisabeth MARTINEAU et Vanina GOETGHELUCK

<< Initialement conçue pour réduire les pathologies, la médicalisation de l’accouchement tend aujourd’hui à déshumaniser et techniciser une étape fondamentale de la vie de la mère et de l’enfant… >>.

Entretien avec Elisabeth Martineau, présidente de l’association « La Cause des Parents » et  Vanina Goetgheluck, fondatrice de la formation « ALNA, Accompagnante à LA Naissance ».

Cette interview permet de faire le point sur le parcours effectué par les femmes de l'enfantement à l'accouchement.
Il en ressort que la technicité domine au détriment de l'accompagnement lui-même de la femme enceinte. 
C'est pour pallier à cette déshumanisation qu'une nouvelle profession est née : accompagnante à la naissance. Elle se situe dans une démarche de prévention : empêcher les effets psychologiques de cette technicisation et donc de cette déshumanisation. 

Ce métier, par ailleurs, exige une formation spécifique dispensée notamment par l’association ALNA et propose un accompagnement personnalisé au cours de la grossesse, de l’accouchement et de la période post-natale.
C’est une prestation de service prise en charge par les parents ou par certaines mutuelles, dans le cadre du « forfait naissance ». Personne référent, l’accompagnante répond au travers d’entretiens de deux heures à toutes les questions que les futurs parents se posent : sexualité, cohésion du couple, gestion de l’arrivée de l’enfant, question de l’allaitement…

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Date : 23/06/2004

Aujourd’hui, quel est le parcours d’une femme enceinte ? Quel type de prévention est mis en place ?
La grossesse se déclare avant le 3e mois au médecin généraliste pour permettre une prise en charge par la CAF et la Sécurité Sociale. La Sécurité Sociale rembourse les consultations auprès d’un médecin généraliste ou d’un spécialiste : gynécologue obstétricien, sage-femme libérale ou hospitalière. Pour obtenir les allocations familiales, il faut au minimum une consultation mensuelle à partir de la déclaration. Il est conseillé le dernier mois d’aller consulter deux fois. Durant la grossesse, l’immunité contre la toxoplasmose et la rubéole est contrôlée. Le 3e , 5e et 7e mois, trois échographies sont prises en charge, ainsi que 8 séances de préparation à l’accouchement. Au 8 e mois, une visite auprès de l’anesthésiste est obligatoire au cas où l’accouchement nécessiterait une anesthésie générale ou locale.

Comment se déroule l’accouchement ?
Lorsqu’une femme est sur le point d’accoucher et qu’elle arrive en clinique ou à l’hôpital, elle a une consultation avec une sage-femme. Celle-ci prend sa tension artérielle, sa température, fait un toucher vaginal et une analyse d’urine pour vérifier le taux d’albumine. La sage-femme pose un monitoring pour contrôler l’activité cardiaque du bébé et les contractions de la maman. Elle pose aussi une voie veineuse en cas de besoin. Si le travail est commencé, quelqu’un d’autre doit s’occuper de l’admission dans l’établissement de soins. Lorsque la femme fait le choix d’une péridurale, un monitoring est de nouveau posé pour surveiller la maman et le bébé. Pour la femme qui a dépassé de 10 jours le terme initialement prévu pour l’accouchement, un gel de prostaglandine est posé sur le col de l’utérus. Si cela ne déclenche pas le travail, on fait une perfusion d’ocytocine synthétique (hormone qui vient naturellement pendant l’accouchement physiologique) et qui, là, déclenche artificiellement les contractions. Une fois le bébé né, il est mis sur le ventre de sa mère et on coupe le cordon. Durant deux heures, la mère et l’enfant sont en salle de travail : pesée, insertion de sondes dans le nez et la gorge du bébé pour vérifier l’ouverture de l’œsophage et la perméabilité des voies respiratoires, vérification des orifices, pose du collyre dans les yeux. La santé du bébé est évaluée grâce au Score APGAR, qui teste la fréquence cardiaque, la coloration de la peau, la respiration, le tonus musculaire et la réactivité à diverses stimulations. Selon les établissements, le bébé est ensuite mis en couveuse. La mère est accompagnée pour l’expulsion du placenta, et reste sous surveillance pendant deux heures. Le séjour moyen en maternité est de 4 à 6 jours, 7 pour les césariennes. Il y a parfois la possibilité de faire une sortie précoce avec suivi d’une sage-femme. Si l’enfant n’a pas été examiné à la maternité, il doit y avoir une consultation chez un généraliste dans les 8 jours. La Protection Maternelle Infantile du Département propose ensuite de faire une visite au domicile de la mère.

Dans ce contexte, quelle est la place d’une accompagnante à la naissance ? En quoi son rôle consiste-t-il ?
Une accompagnante à la naissance est une femme qui a déjà accouché et allaité. En outre, elle a suivi une formation spécifique dispensée par l’association ALNA. Enregistrée en préfecture depuis 2003 et en demande de reconnaissance auprès du Ministère de la Santé, cette formation consiste en quelques 128 heures de théorie (anatomie, physiologie, alimentation de la femme enceinte et allaitante, allaitement, relations humaines, préparation à l’accouchement…), un mémoire, un stage auprès d’une sage-femme libérale et trois accompagnements en solo gracieusement offert à des couples ou des femmes seules. Un certificat atteste le suivi de la formation. L’accompagnante à la naissance propose un accompagnement personnalisé au cours de la grossesse, de l’accouchement et de la période post-natale. C’est une prestation de service prise en charge par les parents ou par certaines mutuelles, dans le cadre du « forfait naissance ». Personne référent, l’accompagnante répond au travers d’entretiens de deux heures à toutes les questions que les futurs parents se posent : sexualité, cohésion du couple, gestion de l’arrivée de l’enfant, question de l’allaitement… Son rôle est d’apporter une information fiable et objective qui permet au couple de faire les choix les plus adaptés à leurs besoins et envies. Mieux informés, les jeunes parents sont plus responsables et aptes à tenir leur nouveau rôle. Plus rassurés, ils ont également moins tendance à faire appel au médecin… La présence de l’accompagnante à la naissance lors de l’accouchement augmente sensiblement le sentiment de sécurité psychologique de la maman. Vigilante, l’accompagnante fait souvent le lien entre l’équipe médicale et les jeunes parents… Et enfin, lors du retour à la maison, le recours à l’accompagnante a pour effet de briser le sentiment d’isolement et de solitude que nombre de jeunes mamans peuvent éprouver.

Vous défendez toutes les deux une meilleure prévention pré et post-natale. Quelle est votre position sur la question ?
En France, on considère la grossesse comme un état pathologique et non comme un état physiologique ! L’hypermédicalisation s’est imposée, perturbant le processus naturel de la grossesse et de l’accouchement. Nous ne rejetons en aucun cas les progrès médicaux mais nous nous interrogeons sur la façon dont ils sont actuellement utilisés. Initialement conçue pour réduire les pathologies, la médicalisation de l’accouchement tend aujourd’hui à déshumaniser et techniciser une étape fondamentale de la vie de la mère et de l’enfant… Que fait-on du rôle de la mère ? Les parents sont déresponsabilisés. Pour caricaturer, le corps médical sait tout, le couple ne sait rien… La naissance est entièrement remise entre les mains du médecin, qui, littéralement, « prend en charge » l’accouchement et « prend en charge » la douleur de la parturiente. A notre avis, une confusion est faite entre la douleur d’un accidenté et celle, naturelle, d’un accouchement. La péridurale est administrée quasi automatiquement, alors qu’il y a d’autres moyens de gérer la douleur : aller dans l’eau, se faire masser le dos, marcher, changer de position… Les sages-femmes ont, pour la plupart, perdu leur rôle d’accompagnante et sont devenues des techniciennes : les nouvelles promotions ne sont même pas formées à l’accompagnement d’un accouchement sans péridurale ! Le métier, rendu moins intéressant, n’attire plus les jeunes générations. Par conséquent, la pénurie de sages-femmes conduit à l’augmentation de moyens techniques de surveillance. Il est désormais courant qu’une sage-femme suive par monitoring ou télésurveillance plusieurs accouchements en même temps, que ce soit de son bureau ou de la salle d’accouchement : elle peut ainsi surveiller sur écran Mme A et Mme B pendant qu’elle aide Mme C à accoucher ! Dans ce contexte, pour faciliter l’agencement horaire d’accouchements qui pourraient être simultanés, on utilise la médicalisation pour avancer ou retarder un accouchement… De même, un protocole est automatiquement appliqué à la mère selon le niveau de risques qui a été décelé lors de la grossesse1 : des actes médicaux peuvent alors être posés inutilement simplement pour répondre au protocole. La naissance est uniformisée, alors qu’il n’y a pas de moment plus unique dans une vie ! Nous pensons, en outre, que la multiplication des actes médicaux, y compris la péridurale, peut avoir ultérieurement une répercussion sur le psychisme de l’enfant et la construction de la relation mère/bébé. Il nous est difficile de croire qu’une intervention médicale non nécessaire reste sans effet… Malheureusement, en France, il n’y a pas de remise en cause de ces pratiques et aucune surveillance épidémiologique sur de potentiels effets à long terme.

Avez-vous des pistes de réflexions à proposer pour améliorer la situation ?
Plutôt que de tout axer sur la sécurité médicale, nous suggérons de prendre également en compte la sécurité psychologique de la mère ! Le travail commence bien en amont de l’accouchement… Il débute en aidant la femme enceinte à établir un meilleur rapport avec son corps et son bébé tout en prenant confiance dans sa capacité à être mère… Autrefois, les membres d’une même famille vivaient les uns à coté des autres. L’entourage affectif de la jeune femme, les conseils pratiques, la transmission des expériences se faisaient naturellement. Aujourd’hui, l’éclatement géographique des familles autorise moins ce type de soutien. D’autres solutions sont à créer ! L’arrivée d’un enfant transforme le rapport au corps, déclenche des doutes et des interrogations sur la capacité à être parent, bouleverse la relation de couple… Les changements sont importants et toute forme d’accompagnement facilite cette période d’adaptation : sage-femme libérale, accompagnante à la naissance, groupe de futurs et jeunes parents… Si le vécu antérieur de la femme a été perturbé (viol, fausse-couche, perte d’un enfant…), la préparation psychologique est d’autant plus importante pour éviter les complications lors de la naissance. La sécurité psychologique ressentie ou non par la femme est fondamentale lors de l’accouchement : une série d’études2 internationales démontrent que la présence d’une accompagnante à la naissance diminue de 50% le risque de césarienne, de 40% le recours à l’ocytocine pour faire progresser le travail, de 30% l’utilisation de forceps et de 60% le recours à la péridurale pour soulager la douleur ! Enfin, l’accompagnement post-natal n’est pas non plus à négliger : la fatigue physique, l’isolement et le sentiment d’être dépassée par la situation peuvent conduire la jeune maman vers la dépression ou la violence.

Quel type d’actions mettez-vous concrètement en place ?
Implantée à Lyon, l’association ALNA forme 28 accompagnantes à la naissance par an. Totalement novateur en France, le mouvement en est encore à ses balbutiements et est appelé à prendre de l’ampleur dans les années à venir. Il est à mettre en parallèle avec une autre initiative locale, la Maison de la Parentalité : portée par un collectif associatif, cette Maison de la Parentalité se veut un lieu dédié à l’ « être et devenir parent » avec des salles de conférences, un centre de documentation et des groupes de parole. Quant à l’association « La Cause des Parents », elle organise des conférences et anime des groupes de dialogues sur la naissance et la parentalité. Elle est adhérente au CIANE, Collectif national Interassociatif de la Naissance.

1 Trois niveaux de risques sont distingués : I, II et III. La future maman est dirigée vers une maternité adaptée à son niveau de risques. Les maternités de niveau I accueillent les grossesses dites « normales », celles de niveau II, associées à un service de néonatologie, reçoivent des grossesses présentant un risque potentiel peu important, et celles de niveau III disposent d’un service de réanimation néonatale pour les grossesses à haut risque.

2 Voir les références sur http://madoula.tripod.com/madoula/services.html