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Le CECOS et les conditions de don de sperme en France

Interview de Jean-Loup CLEMENT

<< Les donneurs considèrent que l’enfant naît de la rencontre entre deux êtres : le sperme qu’ils donnent n’a pour eux aucune valeur intrinsèque, car c’est la relation amoureuse qui lui donne sa valeur >>.

Entretien avec Jean-Loup Clément, psychologue, chargé de communication au CECOS de Lyon. Le centre est intégré au Service de médecine et de biologie de la reproduction de l’hôpital Edouard Herriot (HCL).

La France a connu un important développement de l’insémination artificielle avec sperme de donneurs, en s’appuyant sur un réseau de 22 banques de sperme, les CECOS (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains). Ces organismes créés en 1973 ont pour mission principale de recruter des donneurs pour transmettre le sperme à des couples dont l’homme est stérile, ou pour le conserver (malades du cancer avant la chimiothérapie, qui engendre un risque de stérilité) ; ils conservent aussi les embryons non transférés lors d’une fécondation in vitro, ce qui permet au couple de multiplier ses chances d’avoir un enfant lorsqu’il y a un échec. Mais depuis leur création, les banques traversent une crise, liée à la pénurie de donneurs.

Il y a plusieurs raisons expliquant cette pénurie et notamment la réticence à donner son sperme ou ses ovocytes. Il faut savoir aussi que les religions sont opposées au don de sperme et d’ovocyte. Par ailleurs, le CECOS ne peut pas faire de publicité : à la suite des lois de bioéthique de 1994, la publicité pour le don de sperme et d’ovocyte est interdite, alors que l’information est autorisée.

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Date : 09/09/2004

Quels sont les conditions de don de sperme en France ?
Le don de gamètes, spermatozoïdes et ovocytes, est régi par les lois dites de bioéthique du 29 juillet 1994, révisées par la Loi du 6 août 2004. Pour être donneur, l’homme doit avoir moins de 45 ans, être père et être en bonne santé. Il faut aussi l’accord écrit de sa conjointe ou compagne. Le don est anonyme et n'est pas rémunéré. Le donneur ne saura jamais à qui le sperme a été donné. Le don ne peut se faire qu’une fois dans sa vie, pour limiter le nombre de grossesses issues d’un même donneur (leur nombre est passé de 5 à 10 depuis la loi du 6 août). Ce n’est pas la même logique que dans le don du sang, qui fait appel surtout à des donneurs réguliers. Du côté du demandeur, chaque membre du couple doit faire une demande écrite et la stérilité de l’homme doit être prouvée. Les délais d’attente sont longs (12 à 18 mois) car il faut mener une recherche sur les pathologies susceptibles d’être transmises par le sperme du donneur et trouver un donneur dont les caractéristiques génétiques (couleur de la peau, des cheveux, des yeux…) correspondent à ceux du receveur. Une fois les tests réalisés, le sperme est congelé ; il sera réchauffé au moment de l’insémination.

Les CECOS manquent de don par rapport à la demande des couples en attente d’insémination artificielle par donneur…
Effectivement, de 1980 à aujourd’hui, le nombre de donneurs a chuté de 700 à 400 par an, malgré une sollicitation croissante. Un peu plus de 40 donneurs se rendent au CECOS de Lyon chaque année. C’est loin d’être suffisant pour couvrir les besoins. Ils atteignent 2000 demandes en France et 200 en Rhône-Alpes.

Comment expliquer cette pénurie ?
Il existe une réticence très forte à donner. Elle s’explique par plusieurs facteurs : les représentations courantes vont à l’encontre du don de sperme ou d’ovocyte : le sperme est associé à la paternité et rares sont les hommes acceptant l’idée d’avoir des enfants « dans la nature ». Ensuite, nous avons remarqué qu’en période de crise ou d’incertitude, les gens ne donnent pas. Les « affaires » ont aussi eu un impact : l’affaire du sang contaminé en particulier a remis en cause la confiance accordée au médecin ; or, la confiance est fondamentale dans l’acte de don. Enfin, il existe des craintes de la part des donneurs potentiels concernant l’utilisation de leur sperme.

Quel est le profil d’un homme qui donne ? Comment envisage-t-il le don ?
Les donneurs sont des hommes ayant passé le cap de la trentaine, ayant souvent deux enfants ou plus. Ils considèrent que l’enfant naît de la rencontre entre deux êtres : le sperme qu’ils donnent n’a pour eux aucune valeur intrinsèque, car c’est la relation amoureuse qui lui donne sa valeur. Sans surprise, on ne trouve pas de catholiques pratiquants chez les donneurs. Les religions sont opposées au don de sperme et d’ovocyte. Le Vatican s’est prononcé clairement contre. L’IAD est assimilée à une forme d’adultère, puisqu’une femme est enceinte avec le sperme d'un homme qui n'est pas son conjoint.

L’enfant né après une IAD avec sperme de donneur pourra-t-il demander un jour à connaître l’identité de son père « biologique » ?
Non, ce n’est pas possible en France, contrairement à la Suède (1984) et Royaume-Uni, où une loi est en projet. D’après une enquête que j’ai réalisée, les enfants une fois devenus adultes ne veulent pas savoir qui a été le donneur. Ils n’ont qu’un seul père, celui qui les a vus grandir. Et du côté des donneurs, si la loi était modifiée en ce sens, cela provoquerait une chute du don.

Le manque de donneur s’explique sans doute également par une information insuffisante auprès du public. Comment le CECOS fait-il passer son message ?

C’est compliqué. A la suite des lois de bioéthique de 1994, la publicité pour le don de sperme et d’ovocyte est interdite, alors que l’information est autorisée. Mais le Ministère de la santé n’a jamais pris clairement position pour engager des campagnes d’information et de sensibilisation. La loi modifiée du 6 août 2004 relative à la bioéthique attribue entre autres missions à la future Agence de la Biomédecine (qui remplacera l’Etablissement français des greffes), la promotion du don d’organes, de tissus du corps humain, ainsi que de gamètes. La loi va dans le bon sens, mais sans clarifier la position du Ministère en matière de promotion du don de gamètes. En France, de manière générale, les gouvernements de droite ne veulent pas promouvoir cette forme de don…

Que fait concrètement le CECOS à Lyon pour promouvoir le don ?
Le CECOS organise chaque année deux campagnes d’information, l’une après la rentrée — mais pas trop près des fêtes de Noël, trop centrées sur la famille pour le message que nous délivrons, l’autre au printemps. Des dépliants sont distribués dans la rue ; nous achetons aussi des encarts dans la presse et des espaces dans le métro. J’ai rencontré une opposition considérable de la part des institutions : celle de la Mairie de Lyon lorsque j’ai cherché, en 1994, à organiser une campagne d’information sur le don de sperme dans le métro.

Le don d’ovocytes est-il aussi insuffisant par rapport aux besoins ?
Le don d’ovocyte reste très marginal. La pénurie de donneuses est encore plus importante que chez les hommes et les délais d’attente plus longs. C’est un acte techniquement compliqué à réaliser (les ovocytes, contrairement aux spermatozoïdes, ne peuvent être congelés) et contraignant pour la donneuse puisque les gamètes sont recueillis sous anesthésie générale. Le don d’ovocyte est méconnu du grand public. C’est dommage, car la femme qui reçoit ce don porte son futur enfant durant la grossesse, ce qui renforce encore la parenté.