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La reconnaissance des identités n'est pas le communautarisme

Interview de Hilda Tchoboian

<< La discrimination positive en direction de populations spécifiques ne doit pas devenir un principe de base : elle ne doit pas durer et doit juste rééquilibrer des inégalités flagrantes >>.

Interview de Hilda Tchoboian, directrice de la Maison de la culture arménienne à Décines. 

Réalisée par :

Date : 05/05/2003

Les membres de la communauté arménienne souffrent-ils encore de discriminations ?
Même si nous ne souffrons plus de discriminations comme les générations précédentes, je pense qu'en temps de crise grave, le fait de ne pas être d'origine française sur de longues générations peut nous fragiliser et nous faire (re)devenir des citoyens pas tout à fait égaux. Il y a parfois dans mon entourage un choix de vouloir polir tout signe extérieur afin d'éviter toute discrimination. Par exemple, une proche amie a tout simplement rajouté Marie devant son prénom arménien pour que les portes des entreprises s'ouvrent après des mois de refus basés sur un prénom à consonance étrangère. Parfois, à l'inverse, il y a des stéréotypes plus positifs où des qualités "arméniennes" sont reconnues. Mais cette situation de relative reconnaissance reste très fragile et parfois les Arméniens ont la naïveté de se croire à l'abri des discriminations ; l'expérience prouve le contraire dans des situations extrêmes.

 

Faudrait-il alors effacer tout signe d'appartenance à une identité, ou au contraire imposer une meilleure reconnaissance afin de prévenir les discriminations ?
Normalement non, il ne faudrait pas rayer notre identité, mais plutôt changer les mentalités du monde du travail et de la société en général.
Nous sommes pour l'instant en France dans une logique du droit appliqué à l'individu et au citoyen et tout fonctionnement qui s'éloigne de ce modèle n'est pas encore accepté. Je pense toutefois que, petit à petit, nous devrions nous diriger vers une reconnaissance des identités culturelles qui permettrait de prendre en compte dans la lutte contre les discriminations des causes ethniques ou communautaires sous-jacentes. Evidemment, cette reconnaissance ne peut être administrative ou politique puisque toute notion de multiculturalisme institutionnalisé serait rejetée par la population française.

 

Doit-on distinguer parfaitement la lutte contre les discriminations de la reconnaissance des identités et a fortiori des communautés ?
La discrimination positive en direction de populations spécifiques ne doit pas devenir un principe de base : elle ne doit pas durer et doit juste rééquilibrer des inégalités flagrantes, à l'instar des politiques qui ont été menées en faveur des handicapés ou vis-à-vis des femmes où des quotas ont été mis en place. Je pense que lutter contre les discriminations passe avant tout par un changement en profondeur des mentalités, par l'éducation des plus jeunes. Les programmes scolaires pourraient être revus afin que chacun apprenne, au-delà des stéréotypes, l'histoire et la culture des autres. Cette non prise en compte crée chez ces citoyens le sentiment qu'ils n'existent pas collectivement et que l'autre part de leur identité n'existe pas ou qu'ils doivent la cacher. Et cette partie de leur histoire, devenue honteuse, donne des complexes et des phénomènes de repli qui participent aussi à creuser des fossés et à construire des logiques discriminantes.

 

Les lois existantes rendant illégales les discriminations basées sur l'ethnie ou la race d'un individu vous semblent-elles suffisantes ?
Vous pourrez multiplier les législations contre les discriminations, elles seront inutiles, si les mentalités ne suivent pas. Je pense que les pratiques vont plus vite que les lois. Face au problème majeur des discriminations pour notre société, nous pourrions faire une entorse, de façon très ponctuelle, à nos principes de non-reconnaissance des minorités ethniques et avoir le droit à l'expérience, sans pour autant, je le répète, tomber dans la reconnaissance institutionnelle et politique des communautés. Et si dans une génération, notre société est toujours aussi discriminante, c'est que le problème sera plus grave que je ne le pense et que tous les mécanismes visant à l'égalité entre les citoyens français n'auront pas marché. Mais je reste persuadée du contraire et suis très optimiste du pouvoir des jeunes issus de l'immigration à assumer les droits et les devoirs de notre pays, et notre pays à prendre en compte ces différences qui font sa richesse. Aznavour disait "je suis à 100% Français et à 100% Arménien" ; il s'agit de deux identités qui s'enrichissent mutuellement. Je pense que si ces deux logiques absolument pas antinomiques sont acceptées à 100% par tous comme constructives de la France, les discriminations basées sur les origines diminueront d'elles-mêmes.