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L'air est un enjeu de santé publique

Interview de Frédéric BOUVIER

Illustration représentant une usine et un camion polluant l'atmosphère

<< Il y a des milliers de composés dans l’air. On sait que ça va mieux pour les composés qu’on mesure. Pour ceux qu’on ne mesure pas, on ne sait pas >>.

Coparly (Comité pour le Contrôle de la pollution athmosphérique dans le Rhône et la région Lyonnaise) est une association dont l’objectif est de mesurer en permanence la qualité de l’air. A ce travail de surveillance s’ajoute une mission d’information du public et des autorités, notamment en cas d’alerte.

Enfin, Coparly joue un rôle d’expertise et accompagne la mise en œuvre des politiques publiques visant l’amélioration de la qualité de l’air. Rencontre avec Frédéric Bouvier, son directeur.

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Date : 29/09/2003

De quand date la prise de conscience que l’air est un enjeu de santé publique ? 

En hiver 1952, Londres a subi un grave épisode de pollution qui a provoqué plusieurs milliers de décès. Cela a constitué un choc qui a permis de sensibiliser les autorités anglaises et, progressivement, l’ensemble des pays occidentaux et leurs opinions publiques. 

 

Et dans l’agglomération lyonnaise, comment cette prise de conscience s’est-elle organisée ?

Dès 1961 la ville de Lyon et l’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA) ont créé un réseau de surveillance. Elles ont été suivies par des initiatives émanant d’acteurs comme EDF à Loire-sur-Rhône en 1963 et des industriels de la vallée de la chimie qui ont créé en 1975 leur propre réseau de surveillance. Mais il n’y avait pas forcément de cohérence dans toutes ces mesures. En 1979, Coparly a été créé pour coordonner l’action des trois réseaux existants et en 1993, ces réseaux ont fusionné et Coparly est devenu l’acteur unique de la surveillance de l’air. Unique et transparent car Coparly est une association qui rassemble plusieurs collèges : Etat et organismes publics, collectivités, industriels, associations et experts. Cette pluralité garantit l’indépendance et la transparence de la structure. Enfin depuis 1996, la loi sur l’air organise en France la mesure et la surveillance de la qualité de l’air.

 

Après plusieurs années de surveillance de l’air, quelles sont les tendances qui se dégagent ?

Les industries qui étaient les plus gros pollueurs ont été mieux surveillées et encadrées pour que leurs rejets dans l’atmosphère baissent. Cela a très bien fonctionné et a eu une répercussion importante sur les concentrations de dioxyde de soufre (SO2), par exemple, qui est un indicateur de la pollution industrielle. A Lyon dans les années 1960, la moyenne du SO2 était de 100 µg.m-3, aujourd’hui les concentrations moyennes sont inférieures à 10 µg.m-3. Ce type de pollution a donc été divisé par 10 en 40 ans et les niveaux sont maintenant bien en dessous de l’objectif de qualité et même en dessous de la valeur limite de la protection des écosystèmes.

 

Qu’en est-il des autres polluants ?

Pour les autres indicateurs la tendance est soit à la baisse, comme pour le monoxyde de carbone (CO), soit à la stagnation. Certains problèmes persistent, notamment pour des polluants d’origine automobile comme les oxydes d’azotes (dont les émissions stagnent et qui dépassent régulièrement l’objectif de qualité voire les valeurs limites dans les zones à fort trafic) ou l’ozone. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de progrès de faits, au contraire. Les émissions des polluants de chaque voiture diminuent, mais cette baisse est malheureusement compensée par l’augmentation du parc automobile.

Enfin, certaines pollutions, comme celle due au plomb, ont pratiquement disparu. Il y a quelques années on atteignait les valeurs limites, aujourd’hui le plomb n’est presque plus détecté dans l’air.

 

A quoi tient cette amélioration ?

A plusieurs facteurs. D’abord, je vous ai parlé de l’effort fait en direction des industries. Par ailleurs, Il y a une vingtaine d’année, Lyon a été classée zone de protection spéciale dans laquelle tout usage de produits de combustion contenant trop de soufre a été interdit. Des efforts ont également été faits pour traiter les fumées rejetées. Le second facteur également évoqué est l’évolution des véhicules automobiles : moteurs plus performants, pots catalytiques et amélioration des carburants, sont autant de progrès qui limitent la pollution.

 

Subjectivement, l’idée qu’on se fait de la pollution est très dépendante des seuils d’alerte. Chaque fois qu’ils sont dépassés, on a un épisode de pollution qui entraîne une information spécifique et plus alarmante. A quoi correspondent ces seuils ? Et qu’implique leur dépassement ?

La réglementation actuelle définit des valeurs limites. Par exemple, la valeur limite du dioxyde d’azote (NO2) est de 56 µg.m-3 en moyenne annuelle et on estime que 98 % de la population du Rhône et de l’Isère est soumise à des concentrations inférieures. Mais attention, les valeurs limites sont les valeurs à ne pas dépasser, ce ne sont pas nécessairement les valeurs optimales et elles sont régulièrement revues à la baisse par l’Union Européenne.

Ainsi, on distingue les « valeurs limites » d’une part et les « objectifs de qualité » d’autre part, qui sont souvent bien inférieurs. Par exemple, la valeur limite du benzène est de 10 µg.m-3, mais l’objectif de qualité est de 2 µg.m-3, et, lorsqu’on regarde les mesures, on s’aperçoit que la concentration moyenne est proche de 3 µg.m-3.

Concrètement, cela signifie que 100 % de la population est soumise à des concentrations en benzène très inférieures aux valeurs limites, mais que 50 % de la population est exposée à des concentrations supérieures aux objectifs de qualité de l’air.

Par ailleurs, on parle ici de pollution de fond puisque les seuils s’expriment en valeur annuelle. Or il n’est pas rare que ces seuils soient dépassés localement, au bord des routes, par exemple, ou très ponctuellement. Il faut alors informer les personnes sensibles et tenter de limiter la pollution (déplacement, etc.), mais il faut également rappeler que le plus gênant en terme de santé ce n’est pas les quelques jours les plus pollués mais la pollution permanente et de fond à laquelle on est exposé.

 

D’où vient le sentiment que l’air est de plus en plus pollué alors que sa qualité est en amélioration constante depuis au moins 10 ans ?

C’est compliqué. Dans les années 50, 60, les cheminées qui crachaient des fumées noires étaient perçues comme un signe de prospérité industrielle. A l’autre extrême, les gens qui voient aujourd’hui des fumées blanches ont peur pour leur santé, alors qu’il s’agit parfois uniquement de rejet de vapeur d’eau. Une étude récente montre qu’aujourd’hui, pour ce qui concerne l’environnement, la première préoccupation des grandlyonnais, c’est la qualité de l’air. Il y a quelques années cette sensibilité n’existait pas. L’attente est donc plus importante.

 

N’y a-t-il pas un problème de communication ?

Certainement et nous essayons d’améliorer notre communication et notre travail d’information. Il faut faire passer le message que pour certains indicateurs il y a des améliorations, mais que pour d’autres il y a stagnation et que même si c’est mieux que par le passé, il faut continuer. Mais pour améliorer la situation, il faudra mettre en place autre chose que les solutions techniques jusque-là utilisées (pots catalytiques, essence sans plomb, etc.) et poser des questions de mode de vie, comme la problématique de la voiture en ville.

 

Comment s’organise le système d’information ?

L’indice Atmo est une échelle graduée de 1 à 10 qui donne une mesure quotidienne de la qualité de l’air. Il est disponible sur le site Internet de Coparly (abonnement gratuit par email) et nous avons des partenariats avec des médias qui relayent l’information. Plusieurs autres médias, avec qui nous n’avons pas de partenariat particulier, le font également. L’objectif est de mettre l’information à disposition d’un public le plus large possible.

 

Si la qualité de l’air s’améliore, comment expliquer l’augmentation des maladies respiratoires type asthme, bronchiolites, etc. ?

Il y a effectivement une augmentation de l’asthme mais elle n’est pas nécessairement liée uniquement à la pollution atmosphérique. L’asthme est par exemple moins présent à Athènes qui est pourtant fortement polluée que dans d’autres grandes agglomérations européennes. Il n’y pas que la qualité de l’air qui entre en ligne de compte. La nourriture, l’habitat (moquettes, tapis, colles, peintures, etc.), les animaux domestiques, sont autant de nouveaux facteurs qui influencent cette prévalence de problèmes sanitaires.

 

Comment s’articule le problème des gaz à effet de serre ?

Les gaz à effets de serre ne font pas partie des gaz que nous surveillons, pour une raison simple, qui est que la mesure du CO2 dans l’agglomération de Lyon n’aurait pas de sens. Il faut au contraire faire ces mesures dans des zones éloignées de l’activité humaine. Pour autant, nous ne négligeons pas ce problème et nous avons mis en place un suivi de ce polluant pour connaître la quantité émise chaque année. On réalise un inventaire des émissions à partir des trois types de sources : ponctuelles (les industries), linéaires (les voitures, camions, etc.) et les sources surfaciques (forêts, champs, chauffages domestiques, etc.). On pourra suivre l’évolution de ces polluants qui ont un impact sur le long terme et sur le climat, mais pas un impact direct sur la santé.

 

Quelles sont les mesures qui permettent d’aller plus loin ?

Là encore, il faut évoquer plusieurs mesures. D’abord, le Plan régional pour la qualité de l’air (PRQA) qui, à l’échelle de la région, permet de réfléchir aux mesures à mettre en œuvre. Ensuite, le Plan de déplacements urbains géré par le Sytral, qui organise les déplacements en tenant compte de la qualité de l’air. Enfin, le Plan de protection de l’atmosphère (PPA), qui est réglementaire et qui impose que partout où les concentrations dépassent les valeurs limites soient mises en œuvre des mesures pour faire en sorte que l’on passe sous les valeurs limites et qu’on tende vers les objectifs de qualité de l’air. Les démarches pour lancer le PPA ont été engagées par le Préfet en avril dernier. Par ailleurs, il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics. Au plan individuel, chacun peut faire un effort en évitant, par exemple, d’utiliser sa voiture pour des parcours de moins de 1 km. Proportionnellement, ce sont ces petits trajets qui sont les plus polluants car les moteurs sont froids et moins bien réglés. Or un déplacement sur cinq fait moins de 1 km. On peut aussi vérifier régulièrement sa chaudière ou utiliser des peintures sans solvant, etc. Il y a plein de petits « trucs » comme ça.

 

Comment se situe l’agglomération de Lyon par rapport aux autres grandes agglomérations ?

Ce n’est pas toujours facile à établir. Il faudrait comparer polluant par polluant. De façon globale Lyon est polluée comme une grande agglomération, mais on a la chance d’avoir des vents et une topographie favorables ce qui nous épargne un peu. A titre d’exemple, cet été l’agglomération a connu 16 pics de pollution à l’ozone ; la région Provence Côte d’Azur, plus de 70.

 

Que nous réserve l’avenir ?

On ne peut pas le dire. Nous profitons de l’amélioration de la qualité de l’air pour aller plus loin dans notre surveillance. Nous mesurons maintenant d’autres composés qui peuvent avoir un impact sur la santé comme les métaux lourds, les composés organiques volatils, etc. pour lesquels il n’existe pas encore de norme ni d’historique de mesure. Nous anticipons donc sur la réglementation, mais il y aura toujours des produits que nous ne mesurerons pas. C’est pour cela que nous essayons surtout de mesurer des types de pollution, plutôt que des composés. Par exemple, le SO2 est un indicateur de la pollution industrielle, l’ozone, un indicateur de la pollution photochimique, etc. Rechercher un composé particulier peut s’avérer difficile. On parle de µg.m-3, c’est comme si on cherchait une pincée de sel dans une piscine olympique ! Pour les polluants comme les métaux lourds, c’est encore mille fois plus difficile. Donc on se heurte parfois à des limites de nature métrologique.

 

Cela veut-il dire qu’il y a encore des composés qu’on ne mesure pas ou qu’on ne sait pas encore mesurer et qui pourraient être nocifs ?

Il y a des milliers de composés dans l’air. On sait que ça va mieux pour les composés qu’on mesure. Pour ceux qu’on ne mesure pas, on ne sait pas. C’est pour cela qu’il faut poursuivre les efforts entrepris et continuer à être vigilants.