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Les bénéfices de la réduction du temps de travail pour l'entreprise

Interview de Michel WEILL

<< Le premier réflexe est de dire que la réduction du temps de travail ne profite qu’au salarié et que l’entreprise n’a rien à y gagner. >>.

Gérée paritairement par les organisations patronales et les syndicats de salariés, ARAVIS offre aux entreprises du conseil en organisation et un accompagnement du changement. Depuis les lois sur la réduction du temps de travail, elle est particulièrement engagée dans l'aide à l'aménagement des temps de travail. 
Entretien avec Michel Weill Directeur d'ARAVIS, Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l'innovation sociale et l'amélioration des conditions de travail, réalisé pour le Cahier Millénaire 3, n°27 - 2002 - , pp 25-27

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Date : 28/01/2002

Quels sont, pour l'entreprise, les bénéfices de la réduction du temps de travail (RTT) ?
Le premier réflexe est de dire que la réduction du temps de travail ne profite qu'au salarié et que l'entreprise n'a rien à y gagner. C'est faux si on parle, non pas de RTT mais d'ARTT, voire d'ORTT (aménagement ou organisation et réduction du temps de travail). Il ne peut y avoir de performance accrue que si l'on sort d'une vision purement quantitative pour entrer dans une démarche qualitative. En ce cas, l'entreprise est, elle aussi, gagnante. D'abord, elle peut allonger le temps d'utilisation de son outil de travail, ce qui lui permet de mieux amortir son matériel. Ensuite, elle peut allonger les plages d'ouverture des services aux usagers, ce qui est particulièrement important s'il s'agit du secteur tertiaire.

Cela veut dire qu’individuellement on travaille moins mais que collectivement on travaille plus ?
Oui, et avec l'effet bénéfique recherché à l'époque de l’élaboration de la loi, c'est-à-dire la création d'emplois. Si au lieu d'une équipe qui travaille 8 heures vous constituez deux équipes qui travaillent 6 heures, vous diminuez le temps de travail de chacun des salariés mais vous augmentez le temps de travail collectif de 4 heures, vous amenez 25 % d'activité supplémentaire et créez des emplois. On voit bien l'intérêt de chacun : celui de l'entreprise, celui du salarié et celui des demandeurs d'emploi.

Cela pose la question de la flexibilité du temps de travail, notamment pour ceux qui vont travailler aux heures les plus difficiles ou les jours autrefois non ouvrés ?
Oui. Il y a ici un gros problème de négociation. La flexibilité peut être entendue sous deux formes.
La première relève du simple changement des habitudes de travail : un salarié va, par exemple, travailler de 7h à 15h, au lieu des horaires classiques 8h-12h / 14h-18h.
En général, si cela répond à une négociation, cela ne pose pas de problème. Ce qui est plus problématique, ce sont les situations où il n'y a pas de régularité du rythme de travail. Dans ces cas là, il faut insister sur le “temps de prévenance” pour que les salariés puissent s'organiser à l'avance. Ceci étant, on constate que des organisations différentes du travail peuvent parfois résoudre ce type de problèmes. Il y a par exemple des secteurs comme l'agro-alimentaire où, après le travail de production, il y a un long et minutieux travail de sanitation (nettoyage). Si l’entreprise ne dispose que d'une équipe unique, celle-ci devra nécessairement s'acquitter de ce travail, quitte à rester plus longtemps. En revanche, si une deuxième équipe prend régulièrement le relais, c'est elle qui gérera le travail restant, tandis que les membres de la première équipe pourront quitter leur travail à l'heure. Dans ce cas, la réduction du temps de travail accompagné de l'allongement des plages ouvrées permet de garantir un temps de travail fixe et régulier pour tous, en dépit des aléas de production.

Cela signifie que l'annualisation du temps de travail doit s'accompagner d'une réflexion en profondeur sur l'organisation du travail ?
Oui et d'une négociation, car selon qu'on est une femme ou un homme, jeune ou plus âgé, qu'on habite la campagne ou en ville, qu'on a des problèmes de déplacement ou de garde d'enfants, etc., on n'a ni les mêmes besoins ni les mêmes contraintes. L'important est de négocier des accords qui correspondent aux attentes de chaque catégorie de salariés.

On parle souvent de pressions sur les salariés pour les obliger à travailler aux horaires les plus contraignants, par exemple, lors des ouvertures tardives des magasins.
C'est vrai qu'il y a des pressions de la part des dirigeants d'entreprise dans ce sens-là.
Personne ne peut le nier. Dans ces situations, il faut que la négociation et la loi, ici c'est important, jouent leur rôle d'encadrement. Il faut également que les conditions de l’élargissement du temps de travail des entreprises soit bien précisées et s'organisent de manière suffisamment rigoureuse pour que la vie sociale reste possible. Un exemple, le travail le week-end n'est pas toujours mal vécu. Je connais une entreprise où des salariés travaillaient 24 heures, le week-end, payées 39 heures. Ce système leur convenait parfaitement.

La loi impose la RTT, vous parlez d'ARTT. Comment passe-t-on d'une loi quantitative à une mise en place qualitative ?
D'abord il faut rappeler qu'il y a eu trois lois successives sur le temps de travail. La loi de Robien, la loi Aubry I et la loi Aubry II. Sur ces trois lois, deux étaient incitatives et toutes trois ont beaucoup insisté sur le fait que pour arriver à la réduction du temps de travail, il fallait réorganiser le travail. L'objectif n'étant évidemment pas d’appauvrir les entreprises, celles-ci doivent trouver des marges de manœuvre dans la réorganisation du travail afin de financer la réduction du temps de travail. Cela implique donc des gains de productivité et de compétitivité. Il faut travailler mieux et de façon plus intensive.

C'est justement une des critiques faites à la RTT. Elle compacte la charge de travail sur un temps plus court. Les salariés doivent faire en 35 heures ce qu'ils faisaient autrefois en 39 heures.
Il est vrai que cela peut poser des problèmes réels. Mais il ne faut pas généraliser. Les entreprises qui ont anticipé la réduction du temps de travail ont trouvé des solutions.

Cela veut-il dire que, là où ça fonctionne mal, c'est avant tout un problème de négociation dans l'entreprise qui est en cause ? 
Pas seulement. Ce sont surtout des problèmes de réflexion, d'analyse et de construction de projets. La négociation est l'acte final qui consacre la réorganisation de l'entreprise. Le travail le plus important se fait en amont. C'est un travail long, lourd, mais payant. Si on doit le faire dans l'urgence parce qu'on est à la veille du délai légal d'application de la loi, il est évident qu'il sera mal fait. 

L'ARTT apporte, par définition, une baisse du temps de travail au salarié. Y a-t-il d'autres bénéfices pour lui ?
La baisse du temps de travail n'a ni le même intérêt ni le même sens pour tous et dépend de la manière dont un salarié va profiter de ce nouveau temps libre. Le bénéfice est différent s'il s'agit d'une demi-journée par semaine, d'une journée tous les 15 jours ou d'une heure par jour. Et, pour chacune des situations, tout dépend des besoins de chacun. La répartition des rôles dans la société étant ce qu'elle est, gagner une heure par jour intéresse beaucoup de femmes parce que cela diminue la pression qui pèse sur le rythme de leur vie extra-professionnelle : aller chercher les enfants, faire les courses, etc. En revanche, les hommes préfèrent libérer une journée ou une demi-journée, plutôt qu'une heure dont ils ne peuvent pas faire grand-chose.

Il y a donc des applications différentes de l'ARTT selon qu'on est une femme ou un homme ?
Oui, c'est très net. Je connais l'exemple d'une entreprise où il a été impossible d'arriver à un accord parce que les propositions et les aspirations des hommes et des femmes étaient trop divergentes pour qu'un compromis émerge.

Les applications de l'ARTT varient-elles selon la fonction qu'on occupe dans l'entreprise ?
Oui, car l'ARTT est liée aux contraintes du travail. Proposer aux cadres, qui ne pointent pas, de travailler une heure de moins par jour n'a pas de sens. Ils sont évidemment favorables à des jours de congés supplémentaires, ce qui permet, d'ailleurs, de mieux annualiser le temps de travail. Tout dépend également de ce que l'on fait du temps libéré et des moyens financiers dont on dispose pour en profiter. Ceci étant, beaucoup de gens considèrent plus cette journée comme une journée de repos que comme l'occasion de multiplier les activités sportives, culturelles ou sociales. C'est un moment qui leur permet de souffler, de se reposer en prenant du temps pour eux-mêmes.

Est-ce qu'on ne touche pas là à l'extrême de la désynchronisation des temps, avec l'apparition d'un nouveau “ type ” de temps libre, différent du week-end où l'on est en famille ?
C'est plus compliqué que cela car les modalités de l'ARTT sont extrêmement diverses. Ceci étant, la question de la synchronisation des temps est essentielle et renvoie à une réelle demande des salariés qui souhaitent une harmonisation. Mais, là encore, les demandes sont multiples, voire opposées. Certains veulent être en congés en même temps que leur conjoint, d'autres souhaitent organiser des temps complémentaires de façon à assurer la continuité des charges familiales, notamment la garde des enfants.

On se situe ici à la jonction entre entreprise et société au sens large. Est-ce qu'il y a déjà des nouveaux modes de gestion du temps qui émergent et qui s'accompagnent de nouvelles pratiques sociales ?
La question de la coordination des temps sociaux et des temps de travail est une question qu'ARAVIS aborde depuis peu dans le cadre du projet EQUAL mené avec le CERTU (Centre d'Étude et de Recherche sur les Transports et l'Urbanisme) et l'AGEFOS PME. Il s'agit de poser la question de l'interaction entre ce qui se passe dans l'entreprise et ce qui se passe dans la société,
un peu sur le modèle de ce qui se fait en Italie avec le Bureau des temps. Cependant on repère déjà des modifications qui touchent le tourisme et les déplacements. Les temps de vacances ne sont plus répartis comme autrefois. On assiste à la multiplication des courts séjours que l'on prend plus souvent dans l'année. Cela a évidemment des répercussions sur les heures de pointe qui se sont décalées du vendredi soir au vendredi matin, voire au jeudi soir. Il y a une sophistication des temps de loisir qui rend l'organisation de la société beaucoup plus imprévisible, au moins pour l'instant.