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La parole et la mémoire pour les immigrés

Interview de Sabiha AHMINE

<< Donner la parole aux étrangers qui sont souvent oubliés >>.

Sabiha Ahmine était adjointe à l'Intégration et aux droits des citoyens à la Mairie de Lyon en 2002.

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire3 n°28, p 45.

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Date : 15/03/2002

Considérez-vous qu 'il y a un manque de prise en compte des aspirations  des gens issus de l 'immigration par les partis traditionnels ?
Un diagnostique objectif de la crise de la politique aujourd'hui dans notre pays, révèle un écart important entre les institutions classiques (partis, société  civile...) et les aspirations réelles de nos concitoyens, notamment les exclus.
La réponse n'est pas dans la création de listes ethniques. Cela risque de conduire,  à terme, à des clôtures culturelles en place et lieu d'une véritable ouverture  citoyenne, et d'une vraie modernisation de nos institutions. C'est  le ghetto. La solution c'est la construction d'une nouvelle norme sociale et  citoyenne. Ce qui obligera les partis déjà en place à s'ouvrir, se rajeunir, et accueillir de nouvelles idées. Nous avons besoin d'un vrai volontarisme social  et d'une nouvelle discrimination positive pour construire une nouvelle norme  citoyenne à l'image de la France et de la société d'aujourd'hui. C'est cela  le sens à suivre pour redonner le pouvoir aux citoyens. Cette démarche n'est  pas artificielle. Car il ne faut pas confondre les listes ethniques avec la plupart des listes "indépendantes" qui se sont créées récemment. Ces dernières  sont des listes citoyennes qui ont pris en compte les réalités sociales vécues  par les jeunes issus de l'immigration et ont obtenu des scores relativement  importants. Même si elles ont fait de bons scores, et même si leurs motivations  confirment en partie mon analyse sur la crise de la politique, les listes citoyennes  ne peuvent pas constituer une alternative politique, car elles ont besoin d'un  vrai projet de société.

 

Vous soutenez le projet de création d 'un Conseil municipal des Étrangers,qui  devrait effectivement voir le jour. Qu 'en attendez-vous ?
Ce sera un espace d'expression, de concertation, de consultation, et (...) de  proposition. Dans la même configuration juridique du Conseil Lyonnais pour le  Respect des Droits, ce qui n'est pas seulement symbolique, il s'agit là d'une  commission extra-municipale, qui va dynamiser la démocratie participative et  la citoyenneté dans notre ville, en donnant la parole aux étrangers qui sont  souvent oubliés.

 

La reconnaissance de l'apport des migrations doit-elle passer par la prise en compte effective des "mémoires immigrées "?
La lutte contre les discriminations, pour le respect des droits et  pour l'intégration, n'aura aucun sens sans un rappel rigoureux de la mémoire. Les processus identitaires, dont la résultante n'est autre que la citoyenneté  par la résidence, s'appuient sur la transmission des références culturelles  et des mémoires individuelles, familiales ou collectives. Or la mémoire de l'immigration  est aujourd'hui marquée par des silences, par des trous vides, comme les trous  de l'exclusion. Ce déni, correspondant aux expériences de l'exil  et souvent confondus avec les espaces refoulés de la mémoire ouvrière et celles  des quartiers populaires, n'est qu'un bannissement de la citoyenneté.