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Veille M3 / De l’imaginaire à la machine, l’industrie se réinvente

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Illustration d'une figure entourée d'industrie
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle

Article

Alors que la pandémie de Covid-19 a révélé les failles de la base productive française, démunie face au manque de masques, de respirateurs ou encore de certains médicaments de base, la question d’une réindustrialisation du pays se pose plus que jamais.

Mais pour réussir son retour au premier plan, l’industrie devra se réinventer, afin de devenir l’un des champs d’action face aux crises économique, sociale et environnementale dont elle a jusqu’à présent été considérée comme l’une des sources.

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Date : 24/11/2021

Comme en témoignent les différentes définitions proposées par l’Académie française, le terme d’« industrie » s’est d’abord contenté d’évoquer l’adresse, l’habileté à exécuter un ouvrage, la puissance de travail et de création, jusqu’à désigner « aujourd’hui l’ensemble des activités ayant pour objet l’exploitation des richesses minières et des sources d’énergie, la transformation des matières premières en produits fabriqués ainsi que chacune des branches de ce secteur économique ». Qu’en sera-t-il demain, alors que son retour est appelé en France, après des décennies d’un renoncement, qui a laissé des traces tant au niveau de l’environnement que de l’emploi et de l’autonomie stratégique du pays ?

De fait, dès la fin des Trente Glorieuses et le premier choc pétrolier, l’industrie n’avait déjà plus bonne presse. Alors que les frontières semblaient doucement s’effacer pour mieux laisser circuler les capitaux, mieux valait-il la délocaliser, et exporter la production là où la main d’œuvre permettait un meilleur retour sur investissement.

Un demi-siècle plus tard, le constat semble amer. La conception suit la production, la production suit les tendances des marchés. Non renouvellement du socle d’emplois peu qualifiés qu’offraient les carrières ouvrières, dépendances stratégiques, particulièrement dans le domaine numérique, incapacité à s’adapter aux besoins inattendus suscités par une crise telle que la pandémie de Covid-19, et faible marge de manœuvre dans la réduction du coût environnemental de nos modes de vie consuméristes. Il est donc temps de réinventer l’industrie, de « ré-industrialiser », à partir de nouveaux objectifs, de nouveaux moyens, et de nouveaux systèmes de représentations symboliques.

 

Illustration d'un ciel et d'un robot
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle

 

L’heure des choix

 

Comment penser de nouveaux modèles productifs en phase avec les impératifs écologiques et sociaux ? Comment piloter une politique cohérente à partir de lieux de décisions plus disséminés que jamais ? Si ces questions sont complexes, elles ne sont pas des impasses, mais au contraire des carrefours où la diversité des solutions pose la question du leadership à même de mener une telle refonte économique et sociétale.

Nationale ou européenne, l’inconnue de cette équation semble être in fine une notion de souveraineté qui reste à redéfinir à l’aune des problématiques contemporaines, qui exigent tout autant de savoir tendre la main que de serrer le poing, de savoir coopérer ou d’assumer le jeu des rapports de force. Le besoin de réduire nos dépendances, dans un contexte géopolitique instable et sensible, nous amène à redonner à la puissance publique sa pleine légitimité, au contraire du gradualisme généré par le « laisser-faire » et la confiance accordée au marché. La question de la diversification de nos approvisionnements, liée à celle de notre autonomie productive, donne aux décideurs une feuille de route pragmatique quant aux contours d’une régulation des échanges commerciaux. L’urgence climatique et les engagements pris auprès de la communauté internationale en matière de décarbonation fixent des repères minimum pour mesurer les seuils auxquels devront s’astreindre les nouveaux process de fabrication. Enfin, la décentralisation du pouvoir ouvre la porte à une gestion particulière des « communs négatifs » (déchets nucléaires, sols pollués, etc.) dans une logique de subsidiarité qui permettrait d’adapter les efforts de chaque territoire à ses ressources naturelles et humaines.

Pour autant, la réindustrialisation jusqu’ici évoquée ne semble avoir pour seul visage qu’un miroir, où chacun voit ce qu’il veut bien voir. Pour le traverser, il faut comme Alice ou Orphée, oser partir explorer de nouveaux imaginaires. La perpétuation du modèle classique, dont les origines remontent au 19è siècle, semble irréaliste, alors que les limites planétaires nous obligent à moins produire, moins gaspiller et moins polluer. À quoi sommes-nous donc prêts à renoncer ? Quels sont nos besoins essentiels ? Et dans quel cadre devrons-nous en discuter ?

 

Illustration de la main d'un robot
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle

 

Le passionnant défi des cercles vertueux

 

La création de circuits courts et locaux, indispensables pour parvenir à nous rapprocher de la neutralité carbone, suppose de pouvoir s’appuyer sur un écosystème de petites unités fortes de la pluralité de leurs compétences, allant de la conception jusqu’à la réparation. Automatisation, ciblage de la demande, réactivité de l’offre, réduction des coûts : les technologies numériques (robotique et intelligence artificielle, maintenance prédictive, impressions 3D, etc.) laissent espérer un atterrissage moins brutal que ne peuvent l’annoncer les discours les plus pessimistes, notamment grâce la généralisation d’une économie circulaire orientant globalement les chaînes de production, au lieu de n’être que l’autre nom du recyclage.

Fait social total, une réindustrialisation désirable irait ainsi plus loin qu’une simple relocalisation. Elle devrait s’inscrire dans un projet de société. Pour laisser derrière elle la représentation négative d’une activité pénible et polluante, l’industrie devra investir le champ de la médiation, afin de permettre à chacun de se familiariser avec la production industrielle concrète d’aujourd’hui, depuis la compréhension de ses nouvelles chaînes de valeur jusqu’à l’attractivité retrouvée des carrières qu’elle offre.

Une forme de renaissance industrielle dépendrait donc de la vision commune, tout du moins majoritaire, qui pourrait l’impulser. Dans ce domaine, le débat public pourrait ainsi avoir besoin à l’avenir de se nourrir d’un partage équitable des connaissances, à travers une médiation industrielle à l’image du programme « L’industrie reconnectée au territoire et aux habitants », soutenue par la Métropole de Lyon. Circularité de l’économie, boucles de dialogues citoyens : dans ce monde en mouvement permanent, il s’agira d’actionner les rouages de cercles vertueux s’entraînant les uns et les autres.

 

Illustration d'industries
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle

 

Vers une nouvelle révolution industrielle, du global au territorial ?

 

Sans forcément disparaître, les gigantesques fonderies d’antan ne peuvent s’imposer comme un modèle dominant dans une industrie réinventée. Le rôle des ouvriers sera également à repenser, dans des sites de production réunissant des travailleurs moins nombreux, dont les tâches pourraient exiger une plus grande maîtrise technique, pour une moindre pénibilité. Même dans le cadre d’une numérisation des process, les savoir-faire devront être revalorisés en tant que tels, et l’image, autant que les conditions de vie de leurs détenteurs, améliorées, faute de quoi le secteur ne pourrait compter sur une main d’œuvre qualifiée et pérenne.

Le degré d’acceptabilité de nouvelles conditions d’emploi aura ainsi pour enjeu de retisser des liens d’attachement entre les salariés, l’activité productive et un territoire, comme cela put être le cas avec l’identification des habitants de certaines régions à leur patrimoine industriel. Cette évolution constituerait en soi une rupture importante, à rebours d’un capitalisme spéculatif à l’échelle mondiale qui a privilégié durant les 30 dernières années la recherche de performance de gains de productivité, préférant le financier à l’ouvrier. À cet égard, l’inscription de plus en plus habituelle des Scop dans l’appareil productif français décloisonne l’idée que l’on se fait de l’entreprise, du fait de de la place centrale qu’y occupent celles et ceux qui y travaillent.

Détenteurs des savoir-faire opérationnels, les salariés peuvent-ils collectivement devenir les manageurs de demain, pérennisant ainsi leur outil de travail, sans pour autant freiner ses ambitions, comme le démontre l’agilité de l’imprimerie Hélio Corbeil ? Ramenés à des activités essentielles, ces sociétés pourraient aussi approfondir leurs relations avec les collectivités territoriales, comme le permet déjà le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), qui autorise celles-ci à participer au capital jusqu’à un maximum de 50%. Grâce à ce type d’investissements citoyens, ces entreprises ancrées dans les territoires, y compris périurbains et ruraux, pourraient alors contribuer à rééquilibrer la répartition de la richesse, et fournir autant de cohésion et de sens que de biens ou de services.

 

Illustration d'un robot
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle

 

Réconcilier la société et son industrie

 

Imaginée à l’échelle des bassins d’emploi, la réconciliation entre l’industrie et la société civile peut ainsi être envisagée comme la clef de voute d’une transformation profonde de nos modes de vie. Des initiatives telles que la création de la Fondation Ilyse, dans le cadre du projet « L’industrie intégrée et (re)connectée à son territoire et ses habitants » porté par la Métropole de Lyon, lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt TIGA (Territoire d’Innovation de Grande Ambition), intègre cette thématique dans une approche destinée à améliorer la qualité de vie des habitants et la durabilité des territoires.

À croire que tout n’est finalement qu’affaire de définitions… En associant leurs forces vives – habitants, entreprises, collectifs de recherche académique, etc. – les territoires pourront dessiner les contours d’une transition écologique et sociale où l’économie résonnera de son sens premier, « l’organisation de la maison commune ». En privilégiant la question environnementale par rapport à celle de la rentabilité du capital, l’industrie de demain, envisagée comme un outil de progrès, se devra ainsi de revenir à sa source : l’adresse, l’habileté, la puissance de travail et de création, pour que la première rime venant après « production » ne soit plus « exploitation ».

 

Illustration du visage d'un robot industriel
© Métropole de Lyon - Charlotte Rousselle