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Stéphanie Despretz, à propos du SPAR du Grand Lyon : « L’ambition est d’aller plus loin que le simple respect de la loi »

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Portrait de Stéphanie Despretz
Chargée de mission à la Métropole de Lyon

Interview de Stéphanie Despretz

Stéphanie Despretz est chargée de mission au sein du service Usages et Expérimentation de la Métropole de Lyon.

De mai à novembre 2021, en lien avec la Délégation Pilotage ingénierie administrative et financière, elle a ainsi mis ses compétences au service de la préparation du nouveau Schéma de Promotion des Achats Responsables (SPAR), dans l’organisation et l’animation d’un dialogue ouvert aux entreprises.

Alors que le SPAR a été voté le 13 décembre 2021, Stéphanie Despretz nous explique comment cette démarche inédite a permis d’approfondir la compréhension mutuelle des enjeux environnementaux et sociaux liés à la commande publique territoriale.

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Date : 14/12/2021

Le Schéma de Promotion des Achats Socialement et Écologiquement responsables (Spaser), a pris la suite de l’ancien Schéma de Promotion des Achats Responsables (SPAR). De quoi s’agit-il, et quelle évolution ce changement sémantique traduit-il ?

Le nouvel exécutif de la Métropole est très concerné par le fait de lier systématiquement les questions de développement économique et d’impact environnemental

Le SPAR de 2014, renommé SPASER en 2015 dans la loi relative à la transition écologique, a encore été renforcé par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 : le législateur a tenu à préciser les enjeux liés à la notion de responsabilité sociale et écologique, pour élever le niveau d’exigence des 160 collectivités territoriales les plus importantes, dont les dépenses annuelles d’achats publics s'élèvent à plus de 100 millions d'euros HT. Désormais, elles seront tenues de rendre compte tous les deux ans du taux de marchés sur lequel des clauses environnementales et sociales ont été posées. À l’échelle de la Métropole, nous avons voulu profiter de cette évolution législative pour approfondir la stratégie que peut sous-tendre la commande publique dans son ensemble, avec sa dimension économique de promotion de nouveaux modèles. Notre collectivité dépense plus de 600 millions d’euros par an de commande publique, dont 57% de travaux. L’exécutif souhaite faire de chaque achat un levier majeur de la transition écologique et sociale, afin de lutter contre le changement climatique, et de favoriser l’accès ou le retour à l’emploi de celles et ceux qui en sont éloignés.

Le nouvel exécutif de la Métropole est très concerné par le fait de lier systématiquement les questions de développement économique et d’impact environnemental. Ainsi la première vice-présidente a choisi une méthode qui implique les entreprises pour établir ce nouveau schéma. Clairement, l’ambition est d’aller plus loin que le simple respect de la loi.

 

Sur quelles « bonnes pratiques » s’appuient déjà les acteurs de la commande publique ?

Nos échanges avec les entreprises convergent vers cette proposition d’aller plus loin en matière de contrôle des heures d’insertion et de qualité du suivi

L’achat responsable, c’est un achat dont les impacts environnementaux, sociaux et économiques sont les plus positifs possibles sur toute la durée du cycle de vie. Dans ce domaine, les différents services du Grand Lyon ont déjà une certaine expérience, acquise en particulier dans le cadre de la mise en œuvre des clauses sociales, qui représentent des centaines de milliers d’heures d’insertion sur les marchés de travaux publics et de propreté notamment (avec une marge de progression au niveau des prestations dites intellectuelles).

La Maison Métropolitaine d’Insertion pour l’emploi (MMIe), qui assure le suivi des clauses sociales dans les marchés publics, préconise d’aller au-delà des décomptes d’heures d’insertion pour avoir un meilleur effet de levier. Nos échanges avec les entreprises convergent vers cette proposition d’aller plus loin en matière de contrôle des heures d’insertion et de qualité du suivi. La conjoncture accentue cela car les entreprises, en particulier dans le BTP, peinent à embaucher et sont prêtes à former les personnes repérées par ces postes en insertion. L’application et l’intensification des clauses sociales constituent quelque chose d’inspirant, qui permet de formuler les bases d’autres actions pour les cadres d’achat des marchés publics.

 

Comment s’est déroulée cette démarche de dialogue avec les acteurs économiques ?

Pour la deuxième phase, la DPDP est venue en soutien de la Délégation Pilotage Ingénierie Administrative et Financière pour mettre à disposition ses savoir-faire en matière de dialogue

En amont au printemps 2021, des ateliers animés par le service d’accompagnement à la transformation (au sein de la Direction Valorisation & Modernisation de l'Action Publique [DVMAP]) ont mobilisé une centaine d’agents. Les acheteurs concernés ont pu présenter la nature de leurs besoins. Ont aussi participé le service des marchés, certains experts de la Métropole sur le développement durable, le Plan climat, l’insertion, ou des spécialistes du Plan alimentaire par exemple, pour les marchés liés à la restauration collective. En mettant à plat les volumes, l’importance et les types de marchés qui peuvent intégrer ces clauses, les questionnements de la Collectivité, cette première phase du travail a permis de repérer les marges de progrès et les attendus des échanges.

Pour la deuxième phase, la Direction de la Prospective et du Dialogue Public [DPDP] est venue en soutien de la Délégation Pilotage Ingénierie Administrative et Financière [DPIAF] pour mettre à disposition ses savoir-faire en matière de dialogue, pour  faciliter la participation des entreprises. Avec un cabinet rompu aux méthodes d’intelligence collective, nous avons multiplié les modes d’échanges, des premiers entretiens de ciblage aux ateliers finaux. Avec le confinement, nous avons d’ailleurs dû changer le principal format, en passant du présentiel à des visio-conférences de mai à juillet 2021. Nous avons réalisé en studio des émissions thématiques interactives, autour des grandes données des achats de la filière en question. Le Directeur des finances posait les données du sujet au départ, ensuite un vice-président de la Métropole et une entreprise inspirante prenaient la parole, puis les questions du chat leur étaient transmises. Chacun pouvait donner son avis sur les propositions.

Concrètement, quel a été le rôle du service Usages et Expérimentation lors de cette deuxième phase ?

Nous avons organisé un dialogue relativement original avec les acteurs économiques

Nous avons été mobilisés parce que la première vice-présidente, Madame Émeline Baume, et Monsieur Michel Soulas, le directeur général adjoint finances, ont souhaité travailler sur un SPAR approfondi, avec une volonté d’impliquer les entreprises des filières les plus concernées par la définition de ce plan. La DPDP a donc proposé les modalités d’un travail d’intelligence collective, et organisé ces échanges avec les acteurs économiques, afin d’obtenir le plus de coproductions possible sur les éléments structurant les futurs cadres d’achats.

Ce type de dialogue est autorisé en dehors des périodes d’appel d’offres, et il y a une appétence très forte pour cela de la part des entreprises, qui voient s’ouvrir une fenêtre. Elles ont déjà souvent des politiques de responsabilité sociale et environnementale, et ne vont pas tout réinventer pour les marchés publics. Elles ont des propositions à faire et veulent innover. Nous avons organisé un dialogue relativement original avec les acteurs économiques, ouvert et novateur.

 

En phase 1, au niveau interne, un travail transversal a donc été conduit pour analyser des besoins sur huit filières économiques. Lors de la phase 2, au moment de définir le panel d’entreprises avec lesquelles vous comptiez travailler, trois filières ont été sélectionnées : l’alimentation, les travaux et bâtiments publics, le traitement des déchets et le nettoiement. Sur quels critères les priorités ont-elles été définies ?

L’objectif était de mettre au centre du jeu la question de l’économie circulaire et de la réutilisation des matériaux

En ce qui concerne l’alimentation, c’est un secteur sur lequel la collectivité  peut avoir un véritable impact local. C’est d’ailleurs ce que prévoit la nouvelle stratégie alimentaire et agricole du Grand Lyon. Malgré les rigidités du Code de la commande publique, on arrive à toucher les producteurs de la région par différentes approches techniques, telles que le délai de livraison après cueillette. Il y a une volonté politique pour les cantines des collèges, pour le restaurant métropolitain et d’autres prestations, d’aller assez loin dans des clauses environnementales et de production bio, avec une priorité accordée aux circuits courts.

Ensuite, la filière Bâtiment et travaux publics est la plus importante au niveau des montants. Il était donc important de traiter ces questions avec des grandes entreprises du secteur. Elles ont été très impliquées, non seulement pendant les émissions, mais également dans le cadre des ateliers. L’objectif était de mettre au centre du jeu la question de l’économie circulaire et de la réutilisation des matériaux.

Enfin, la filière Déchets et nettoiement a un grand impact en matière de clauses sociales, mais aussi sur le plan environnemental, puisque les marchés d’élimination des déchets sont parmi les plus grands émetteurs de CO2. Or, la Métropole vise la réduction de moitié des déchets incinérés et les plus hauts standards possibles pour les conditions d’incinération

Une fois les entreprises de ces trois filières réunies, que leur a-t-il été demandé ?

La participation a été importante, avec plus de 400 personnes et plusieurs centaines de replays

Nous avons procédé par étapes. Il y a d’abord eu une vingtaine d’interviews avec des entreprises volontaires et quelques corps intermédiaires, qui ont permis de bien cerner les sujets de préoccupation, les points sur lesquels on allait mettre l’accent. Ensuite, on a invité très largement les entreprises à participer aux quatre émissions qui ont eu lieu entre fin mai et début juillet, une généraliste puis une pour chacune des trois filières. La participation a été importante, avec plus de 400 personnes et plusieurs centaines de replays. Nous avons eu des interlocuteurs qualifiés sur ces sujets, avec un panel assez complet d’entreprises.

Ont-elles évoqué des freins, notamment dans les critères d’accès à ces marchés ?

Le tissu économique est essentiellement composé de PME. En matière d’emploi, elles sont incontournables

Oui, on a constaté un effet de seuil. Les TPE et les petites PME de moins de 25 salariés ont peu de moyens humains pour répondre aux marchés publics et méritent une attention particulière. La Métropole achète principalement à des fournisseurs « PME » (jusque 250 salariés), le tissu économique est essentiellement composé de PME. En matière d’emploi, elles sont incontournables. Elles ont un vrai rôle pionnier dans les changements en cours. Dans l’exemple de  l’alimentaire, on a un écosystème qui comprend beaucoup d’acteurs de la transformation, et on sait qu’au niveau de la Métropole, seulement 3 % de notre consommation est produite dans un rayon de 50 kilomètres. L’idée est d’appuyer les agriculteurs qui se regroupent pour faire de la transformation, du conditionnement, de la vente directe. Cela va dans le sens de ces changements de société et de mode de consommation qui peuvent permettre une activité moins carbonée.

À cet égard, l’allotissement est un outil efficace pour aller chercher le « mieux-disant », plutôt que les économies d’échelles que ne peuvent proposer que les plus grands groupes. Il s’agit par exemple de partitionner par périmètre un marché de nettoiement qui puisse comporter d’une part le ramassage des poubelles, et d’autre part le nettoyage des caniveaux. Si l’on descend dans le détail de ces lots, plutôt que d’avoir la prestation globale « propreté de la voie publique », on peut ouvrir la porte à de petites entreprises. On peut aussi définir des créneaux où la convention collective serait assez protectrice.

En définissant ces lots, on peut donc permettre à de plus petites entreprises de répondre, tout en étant au plus près des besoins. Cela permet aussi d’éviter les sous-traitances en chaîne : même si les grands groupes, qui sont en mesure de remporter les marchés les plus importants, doivent annoncer leurs sous-traitants éventuels, on observe dans la pratique que cela entraîne souvent des conditions défavorables socialement pour les salariés des sous-traitants.

 

Quelle est la différence entre la responsabilité environnementale et sociale des entreprises et les ambitions que vous leur proposez avec ce nouveau SPAR ? En quoi les labels ne suffisaient-ils pas ?

L’idée de fond, c’est d’ouvrir le plus possible nos appels d’offres

Aujourd’hui, des sociétés spécialisées conseillent sur les bilans RSE. C’est une charge pour les entreprises de les établir, inaccessible aux Petites PME, avec des résultats très inégaux. Non seulement cela pénaliserait les PME, mais surtout cela ne serait pas conforme au Code des marchés publics d’exiger une charte RSE, car elles couvrent des domaines trop éloignés de chaque objet de marché.

Du débat sur les labels, il est ressorti que seuls certains très répandus et reconnus (ESUS en ESS par exemple) peuvent être pris en compte. L’idée de fond, c’est d’ouvrir le plus possible nos appels d’offres, afin de ne pas nous contenter des acteurs déjà engagés dans la transition de notre économie, mais aussi d’aller vers ceux qui souhaitent prendre leur part, mais qui ont besoin d’accompagnement en amont pour y parvenir.

Est-ce que parfois, un « principe de réalité » a démontré qu’il fallait choisir entre des ambitions sociales et écologiques ?

Dans certains cas, nos fournisseurs potentiels sont en avance sur nos attentes

Cela ne s’est pas présenté ainsi dans les discussions, notamment parce que les clauses sociales sont plus généralisées que les clauses environnementales. D’ailleurs, concernant les dispositifs à monter en faveur de la transition écologique, ils pourront s’inspirer des systèmes mis en place pour l’emploi, comme les heures d’insertion que la structure MMIE accompagne. Certes, les curseurs peuvent s’adapter. Si certaines entreprises vont bien au-delà des exigences sur le plan de l’insertion sociale, peut-être que les attentes sur certains impacts écologiques se limiteront aux critères de base, le temps que les exigences mûrissent pour la transition écologique.

Dans certains cas, nos fournisseurs potentiels sont en avance sur nos attentes. La collectivité travaille alors à monter d’un niveau ses demandes, à prendre en compte des avancées jusqu’à présent trop peu valorisées. Les évolutions législatives, comme la loi sur l’économie circulaire, vont intensifier également les clauses environnementales pour la filière Bâtiment et travaux publics, par exemple.

Les entreprises qui comptent sur les marchés publics ont donc compris que la donne avait changé, et que pour être concurrentielles dans les années à venir, il leur fallait anticiper une nouvelle hiérarchie dans les priorités de l’acheteur ?

En faisant évoluer nos exigences sociales et environnementales, nous assurons des débouchés à des activités plus responsables

Oui, elles comprennent que les cadres d’achat mettent en avant les efforts à la fois sociaux et écologiques, et visent à sélectionner les entreprises les plus vertueuses. Pour la transition écologique les éco-gestes des citoyens ne peuvent pas suffire. C’est aussi aux entreprises d’agir massivement pour la décarbonatation de leur production.

On a des entreprises qui répondent déjà largement à ce qui existe dans les cahiers des charges. Elles ont beaucoup d’idées, et ce dialogue a été profitable à tous. Dans l’un des groupes de travail, les entreprises elles-mêmes ont proposé un système de bonus/malus, en fonction du respect des exigences environnementales. Elles ont donc proposé un moyen de vérifier que tout le monde soit jugé de la même façon.

Une forme de transformation de l’institution a aussi été considérée comme l’un des enjeux du SPAR, particulièrement avec cette phase 2 qui associait les entreprises, et qui reste une expérience unique en France. Les évolutions vont dans le sens d’une transformation des pratiques, vers une meilleure analyse en amont des fonctionnalités recherchées, et d’une approche plus stratégique de la commande publique locale.

La délibération adoptant le SPAR a été voté par le Conseil métropolitain le 13 décembre 2021. À court terme, un travail de veille informationnelle et de sourcing se poursuivra sur les cadres d’achats, en prévision des marchés à passer dans les deux ou trois prochaines années. En faisant évoluer nos exigences sociales et environnementales, nous assurons des débouchés à des activités plus responsables. Dans cette perspective, les marchés publics sont vus comme des outils, des leviers de transformation de ces filières. L’achat devient une politique publique, dans le sens fort du terme.